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J’ai tué Adolf Hitler – Jason

Jeg drepte Hitler. 2006

Origine : Norvège
Genre : Science-fiction
Dessins : Jason
Scénario : Jason
Editeur : Carabas

 

Au sein d’une bibliographie composée principalement de titres aussi peu évocateurs que Attends ou Chhht !, J’ai tué Adolf Hitler se démarque aisément. A la fois énigmatique (Qui est ce « je » ?) et prometteur (Jason se lancerait-il dans l’uchronie ?), ce titre se révèle rapidement être un leurre sur les intentions véritables de l’auteur. La figure de Adolf Hitler et la machine à remonter le temps qui permet de l’atteindre ne servent en fait que de gimmick à une intrigue qui sacrifie tout spectaculaire au profit de la réunion de deux êtres défiant les lois du temps.

Le héros de l’histoire exerce la profession peu gratifiante de tueur à gages. Un travail prenant tant la demande est élevée et dont il s’acquitte avec un grand professionnalisme. Un jour, un savant fou lui apporte la photo de son nouveau contrat : Adolf Hitler. Pour ce faire, il l’invite à se rendre à son laboratoire où se trouve la machine à remonter le temps qui lui permettra de remplir les termes de son contrat. Si le voyage s’effectue sans encombre, le tueur échoue et se retrouve prisonnier des nazis. Sur ces entre faits, Hitler entre à bord de la capsule temporelle et effectue le voyage en sens inverse. Arrivé à notre époque, pour le plus grand étonnement du savant fou, il s’écroule à peine le pied posé par terre, terrassé d’une balle tirée par notre tueur, désormais un vieillard. Professionnel jusqu’au bout, il a survécu toutes ces années pour achever le travail. Facétieux, le destin offre une deuxième chance à Hitler dont l’exemplaire de Mein Kampf rangé sous sa chemise l’a sauvé d’une mort certaine. Et voilà notre tueur rhumatisant à la poursuite du dictateur dans une Allemagne qui n’a pas connu la Deuxième Guerre Mondiale.

A la lumière de ce résumé, J’ai tué Adolf Hitler laisse augurer d’une traque haletante dans les rues de Berlin. Or, comme je l’ai évoqué en préambule, Jason se désintéresse très vite de Adolf Hitler. Passée la scène où il se rase la moustache et sa mèche de cheveux si caractéristiques, on ne le reverra plus ou presque. De même, les paradoxes temporels que la disparition de Hitler en 1938 a pu engendrer ne le préoccupent pas davantage. Que ce soit avant ou après le voyage temporel, l’environnement dans lequel se débattent les personnages demeure très fonctionnel. Seule émarge cette violence omniprésente d’individus incapables de régler leurs problèmes autrement que par les armes. Une violence persistante et intrinsèque à l’homme, quelque soit le contexte dans lequel elle s’exprime. Toutefois, Jason ne cherche pas à épiloguer sur le sujet, ne s’en servant que de toile de fond. Un bon moyen pour dépeindre la folie du monde à moindre frais. Jason n’est pas homme à s’embarrasser de détails, comme le démontre son dessin au trait simple mais terriblement efficace. Ainsi, pour figurer son héros en vieillard, il se contente d’une barbiche et de quelques traits judicieusement placés autour des yeux et sur le front. Une économie figurative qui confère à ses personnages un certain stoïcisme. Les malheurs du monde paraissent glisser sur eux sans les atteindre.

Au bout de seulement deux albums, il serait bien hâtif de ma part que je me laisse aller à quelques généralités quant aux thèmes chers à l’auteur. Pourtant, il existe des analogies entre J’ai tué Adolf Hitler et Mauvais chemin qui vont au-delà du simple clin d’œil (le laborantin pendu par la population en colère du second album travaillait pour le savant fou de l’histoire qui nous occupe présentement). On retrouve les notions de solitude et d’incommunicabilité, communes aux deux histoires. Et dans les deux cas, l’amour avec un grand A se retrouve au centre des débats, même si ici, il s’impose aux personnages plus qu’il n’est vécu. Du fait de sa relation de couple, le tueur bénéficie d’un minimum de vie sociale que le scientifique de Mauvais chemin était bien en peine d’envisager. Néanmoins, cela ne l’empêche pas de se sentir terriblement seul. Une solitude que Jason excelle à retranscrire en plaçant continuellement ses personnages face à un vide (notre tueur buvant seul dans un café, le même se concoctant un petit plateau repas qu’il consomme en regardant la télévision,…). Le vide de leur existence en quelque sorte.

Avec J’ai tué Adolf Hitler, Jason confirme un talent singulier. Il parvient progressivement à nous faire glisser d’une histoire extraordinaire (Hitler débarque dans notre époque) à une histoire des plus ordinaires (un homme et une femme s’ouvrent à l’amour) sans qu’on en vienne à regretter ce parti pris. Et en dépit de personnages anonymes et de l’inanité de leurs actions, se dégage une justesse du traitement et de l’approche des sentiments qui rend la lecture des plus agréables. Ce qui vient confirmer que le peu n’est pas l’ennemi du bien.

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