Shutter Island – Dennis Lehane
Shutter Island. 2003Origine : Etats-Unis
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En quelques romans et un duo récurrent (les détectives Patrick Kenzie et Angie Gennaro), Dennis Lehane s’est rapidement imposé comme un auteur important du roman noir. Adapté une première fois par Clint Eastwood (Mystic River, 2003), Dennis Lehane voit sa réputation dépasser le seul microcosme littéraire. Par la suite, Ben Affleck, grand fan de ses romans, transpose à l’écran un épisode de la série Kenzie – Gennaro, que je considère comme son meilleur livre, Gone, Baby, Gone. Et en 2010, ce n’est autre que Martin Scorsese qui s’est à son tour confronté à l’univers de l’auteur en adaptant Shutter Island, confirmant un intérêt croissant de Hollywood pour cet écrivain.
Shutter Island, justement, occupe une place à part dans la bibliographie de Dennis Lehane. Pour la première fois, il abandonne la ville de Boston, théâtre de tous ses ouvrages, au profit de l’île du titre pour un huis clos à ciel ouvert. Et pour bien marquer le changement, il délaisse notre époque pour une plongée dans les années 50. L’histoire est simple : dans l’hôpital psychiatrique qui a élu domicile dans les vestiges d’un fort construit pendant la Guerre de Sécession, une patiente du nom de Rachel Solando a disparu de sa chambre capitonnée, fermée de l’extérieur et dépourvue de toutes ouvertures. Deux hommes, le Marshall Teddy Daniels et son coéquipier Chuck Aule débarquent du continent pour élucider ce mystère.
Avec ces précédents romans, Dennis Lehane nous a déjà habitué à des intrigues particulièrement sombres d’où émarge une violence latente aux confins de l’horreur. Il en va de même ici puisque cette enquête lui sert de prétexte pour nous immerger dans les méandres de la folie tout en jetant un regard sans concession sur les méthodes pratiquées dans ces hôpitaux psychiatriques. Des traitements particulièrement inhumains qui renvoient le Marshall Teddy Daniels à de douloureux souvenirs, lui qui a participé à la seconde Guerre Mondiale et qui a découvert les atrocités commises par les nazis lors de la libération des camps de concentrations. Homme particulièrement marqué par la vie -sa femme est morte assassinée-, cette enquête lui fait totalement perdre pied et foi en sa propre raison. Nous autres lecteurs sommes comme lui, totalement perdus, éprouvant des sentiments parfois contradictoires. La peur, la compassion, la méfiance mais aussi un intérêt qui ne se dément jamais (Dennis Lehane demeure un admirable conteur), accompagnent constamment notre lecture. Et, chose inédite chez l’auteur, l’environnement joue un rôle déterminant. De par sa nature, l’île prend un tour oppressant que la tempête alentour rend encore plus prégnant. Cette violente tempête qui bloque nos deux agents sur l’île est décrite avec une telle minutie qu’on a l’impression de la vivre réellement. Elle sert de musique de fond à tout le roman, ne se faisant jamais totalement oublier. Elle figure aussi l’extériorisation du tumulte des pensées tourmentées de Teddy, un personnage dont la vulnérabilité grandit au fil des pages.
Curieusement, alors que tout s’y prête, Teddy Daniels suscite finalement peu d’empathie. La faute à Dennis Lehane qui a eu la main particulièrement lourde en ce qui concerne ses malheurs. Et puis ce personnage manque énormément de recul sur les événements qu’il affronte. On ne retrouve plus cette ironie mordante si présente dans les romans mettant en scène Kenzie et Gennaro. Au contraire, Dennis Lehane choisit d’en rajouter dans la noirceur donnant parfois à son histoire des allures de récit horrifique. Quant à cette fin, celle-ci jette un trouble sur notre appréhension du livre. Elle est bien amenée, rien à dire là-dessus, Lehane a du métier et ça se sent. En outre, elle éclaire toute l’intrigue et la personnalité de Teddy Daniels d’un jour nouveau, tout en reposant sur une logique sans faille. Pourtant, je n’ai pu m’empêcher de ressentir comme un goût d’inachevé. A trop jouer des grosses ficelles, Dennis Lehane s’y est cette fois-ci quelque peu empêtré, donnant à Shutter Island des allures de déception. La première.