Le Lézard lubrique de Melancholy Cove – Christopher Moore
The Lust Lizard of Melancholy Cove. 1999Origine : Etats-Unis
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Christopher Moore est pour le moins un auteur énigmatique… Il a abandonné ses études à 16 ans, a étudié l’anthropologie, la photographie, nourrit une passion pour l’océan et les animaux, et vit dans une forteresse sur une île perdue du pacifique ( ! ). Son écriture lui a permis de se soigner de ses problèmes causés par l’alcool et les femmes. Il est ainsi l’auteur de neuf romans, mais hélas seuls quatre ont réussi à atteindre les rivages français… Et si tous ces romans sont de la même trempe que ce Lézard lubrique de Melancholy Cove, c’est vraiment dommage qu’il ne soit que si peu connu chez nous, tant son écriture transforme le polar en quelque chose de complètement déjanté, fou, démentiel, et surtout incroyablement drôle…
Jugez plutôt, ce roman parle de la morne station balnéaire de Melancholy Cove, dans laquelle évoluent un flic qui cultive de la marijuana, une schizophrène qui a jadis connu le succès en jouant dans des séries Z post-apocalyptiques, une psychiatre aussi folle que ses patients, un pharmacien cupide qui ne rêve que d’accouplements avec des marsouins, une cyborg serveuse, et un bluesman poursuivit par un monstre marin en rut dont il a tué le petit 40 ans auparavant… Monstre en rut dont l’arrivée inopinée dans la petite ville provoquera bien des catastrophes…
Eh oui, vu comme ça on se demande bien quel rapport il existe entre ce machin complètement halluciné et le polar… Seule la trame de départ se rattache au genre, une enquête policière suite à la mort par pendaison d’une maniaque du ménage. Mais ce qui intéresse Moore ce n’est pas l’enquête en elle-même vous l’aurez compris, mais plutôt de dresser une galerie de portraits déjantés et de personnages tordus, qu’il prend un malin plaisir à faire évoluer en quelques phrases bien senties tout au long de son histoire. Tous les personnages du roman sont excellents, du flic attachant constamment drogué et d’une fabuleuse incompétence au bluesman qui ne craint que de devenir heureux et de ne plus pouvoir jouer en l’absence de son « blues ». De plus l’auteur n’a pas son pareil pour faire de son histoire une aventure grandiloquente et hilarante, en multipliant les situations burlesques et les évènements incroyables. Pour nous faire rire, il s’arme d’un féroce sens du second degré et d’un cynisme acéré. L’humour joue sur tout les niveaux : situations décalées, personnages comiques et répliques d’une incroyable ironie abondent dans ce roman décidément pas comme les autres. L’humour y est noir, scato, fin, de bon goût, de mauvais goût, tout y est. Le style de Moore est génial et nous emporte comme un torrent dans son univers si particulier. Et l’auteur va très loin dans son délire, articulant avec un talent certain toutes sortes de situations rocambolesques autour de son histoire. Le lecteur n’a qu’à se laisser emporter dans cette folle aventure et oublier tous ses préjugés et ses acquis. Moore réinvente totalement le monde pour nous. Signalons aussi que le livre possède un sous-texte d’une rare pertinence. Avec délicatesse et savoir-faire, Moore traite finalement des différences et de l’anormalité dans son roman. De la manière dont les marginaux vivent et comprennent différemment notre monde. Mais cela reste toujours discret et secondaire. L’important pour Moore c’est avant tout de nous traîner dans son histoire déjantée à la narration d’une merveilleuse anarchie.
Le Lézard lubrique de Melancholy Cove, c’est un roman différent et hilarant, un roman qui se dévore et dans lequel on plonge avec une surprenante facilité, un roman qui nous fait oublier nos tracas du quotidien et nos vies mornes, un roman exceptionnel !