Le Joyau des sept étoiles – Bram Stoker
The Jewel of Seven Stars. 1903Origine : Royaume-Uni
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L’avocat Malcolm Ross est appelé en urgence chez Margaret Trelawny, une jeune noble avec laquelle il s’est récemment lié d’amitié, sinon plus. La demoiselle est bouleversée par l’état de santé de son père, un égyptologue tombé en catatonie. Les médecins ne s’expliquent pas cet état, mais on peut légitimement penser qu’il a un lien avec les mystérieuses agressions dont le corps de Mr. Trelawny est victime une fois la nuit tombée. Elles-mêmes ont probablement un rapport avec les singuliers artefacts égyptiens disposés dans sa chambre, tels que cette main momifiée à sept doigts ou encore ce joyau “des sept étoiles”. L’arrivée de Corbeck, égyptologue associé à Trelawny, confirmera que les objets les plus intrigants ont été trouvés en Égypte, et plus précisément dans le tombeau de la Reine Tera, celle à qui appartenait la main, et qui était férue d’occultisme au point d’avoir préparé sa résurrection au moment de son trépas. Le fameux joyau n’est en fait rien d’autre que la clef de cette renaissance.
Dracula n’était pas un roman parfait. Mais il avait suffisamment de qualités pour justifier sa reconnaissance : l’inspiré mode de narration partagé entre journaux intimes, coupures de presse, échanges épistolaires, son histoire héritée d’un folklore méconnu et donc fascinant, sa retranscription d’une atmosphère particulière, partagée entre gothique anglais et exotisme est-européen et puis bien entendu son vampire majestueux. Son principal défaut ? Un penchant trop marqué de l’écrivain pour les états d’âme romantico-victoriens de certains de ses personnages, en fait tous ceux concernés par l’amour. On se croirait parfois dans du Jane Austen. Le hic, avec Le Joyau des sept étoiles, c’est que son fantastique est constamment hypothétique, et qu’en attendant le final nous devons subir la narration d’un seul et unique personnage, justement amoureux, à laquelle s’ajoute l’amour paternel entre la fille et le père Trelawny une fois celui-ci réveillé. La prose s’en trouve fortement affectée, et les dialogues avec. On ne compte plus les superlatifs employés pour décrire la bravoure, la beauté, la fragilité de Margaret Trelawny, ceux insistant sur la crainte (ou le soulagement, ça alterne) de Ross pour sa Margaret chérie, ou encore sur ses doutes quant à l’avis du père Trelawny sur cette relation. Sans compter les citations de Margaret ou de son père eux-mêmes, qui sont tout autant insupportables, par exemple dans ce dialogue :
– Père ! Mon cher, cher père !
– Mon enfant ! Margaret, ma chère, chère enfant !
– Oh père, père !
A force de se rouler dans de telles exacerbations romantiques comme un goret dans sa fange, Stoker finit purement et simplement par rendre ses personnages insupportables. Les personnalités victoriennes, pour pompeuses qu’elles soient, n’en restent pas moins à l’état d’ébauche : Margaret est une demoiselle raffinée en détresse, son père est un brave vieux savant, et Ross se pose en chevalier servant. Il n’est même pas loin d’être un simple larbin, puisque son utilité dans le gros du roman (une histoire de momie, en fait) se limite à la narration parasitée par ses sentiments exacerbés. Il ne participe à rien, ne fait rien à part surveiller le père Trelawny lors de son sommeil, mais reçoit malgré tout les confidences et la confiance de tous. Tandis que certains autres personnages, davantage légitimes, deviennent transparents dès qu’ils ont effectué leur tâche. C’est le cas du flic, du médecin, mais aussi de Corbeck, l’égyptologue dont la seule fonction est de raconter les virées égyptiennes de Trelawny. Il aurait pourtant été plus à même de porter un jugement sensé sur les évènements, ce qui aurait bien plus contribué à l’immersion du lecteur que les atermoiements de Malcolm Ross.
Il y a cela dit une raison au fait que le personnage le plus inutile soit aussi celui qui occupe une place centrale. Et cette raison est que l’intrigue fantastique est très mal conçue. Que Stoker repousse la renaissance de sa momie à la toute fin du livre n’est pas dommageable en soit : c’est une façon de s’éloigner de Dracula, roman qui dans le cas contraire aurait paru bien trop proche. Par contre, la repousser par manque d’idées n’est pas excusable. Toute la première partie du livre se perd en conjonctures sur l’état de Trelawny, et les points importants nous sont donnés au compte goutte. Jusqu’au chapitre dix (sur vingt), une fois passées les présentations et les descriptions des objets qui s’avéreront utiles à la résurrection de Tera, il n’y a plus que le néant. Dans des intrigues finalement semblables (la route vers une résurrection monstrueuse), Lovecraft avait recourt à un rythme crescendo vers la terreur, ce que Stoker ne fait pas. Il offre parcimonieusement les pièces du puzzle qu’est cette affaire, puis à partir du chapitre dix balance tout le reste en un bloc avec le récit de Corbeck, apparenté à un récit d’aventure. Le puzzle se résout sans aucun suspense au moment du réveil de Trelawny, qui marque le point de départ d’explications fumeuses, extrêmement désagréables à lire tant elles s’efforcent de donner dans un mysticisme pseudo scientifique tentant de relier l’Égypte antique, l’astronomie et la science moderne. Un charabia étalé sur de longues, très longues pages, que l’on parcourt sans faire attention et sans retenir ce qui est expliqué sur le corps astral, le “ka”, le “khu” et autres grands concepts métaphysiques titillant nettement moins l’intellect que ne le fait la mythologie lovecraftienne (l’homme de Providence savait donner un aspect de grandeur cataclysmique à ses récits). Pas un grand mal, puisque “l’expérience”, comme les personnages la nomment avec emphase, est rudimentaire et ne saurait pas plus exploiter ce foisonnement de détails que se rapprocher de la folie douce des écrits de Lovecraft. Ce sont pourtant les seules pages réussies du livre, puisqu’à ce stade nous avons atteint le point où enfin les mystères égyptiens ont une réelle emprise sur le présent et où Stoker cesse enfin de faire patiner son intrigue pour basculer dans un fantastique se rapprochant des classiques gothiques. Ce n’est pas du grand art, mais au moins sortons nous de l’eau de rose et des pseudo-sciences théoriques pour quelque chose de plus concret débouchant sur un final abrupt qui sauve l’honneur… Du moins si vous avez la chance de lire l’édition originale, puisqu’à la demande des éditeurs Stoker en ré-écrivit une autre, moins sombre, plus adaptée aux sensibilités victoriennes. Le Joyau des sept étoiles ressemble follement à un livre écrit pour les conventions de son époque, et aucune valeur ajoutée ne vient le sauver. Peut-être peut-on rattacher ce conformisme à la personnalité de Stoker, irlandais protestant, non favorable à l’indépendance, proche des idées politiques du libéral Gladstone, intégré à la haute société londonienne. Il s’oppose en cela à une certaine tradition de la littérature fantastique, dont les meilleurs œuvres nous viennent d’écrivains assez rebelles comme Mary Shelley ou Sheridan Le Fanu pour ne citer que ceux du XIXème siècle. Il est de toute façon fort probable que Le Joyau des sept étoiles serait tombé dans l’oubli si il n’avait pas été signé par l’auteur de Dracula. Quant à la rumeur comme quoi Stoker aurait inventé le mythe de la momie avec ce roman, je me contenterai de dire que Théophile Gautier avait déjà écrit Le Roman de la momie (et même d’autres histoires sur le sujet) cinquante ans plus tôt.