L’Homme vert – Kingsley Amis
The Green Man. 1969Origine : Royaume-Uni
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Kingsley Amis est un homme atypique et quelque peu excessif. Adhérant dans sa jeunesse au Parti Communiste, jurant plus tard ses grands dieux qu’il continuerait toujours à être un homme de gauche malgré sa sortie du Parti, il se retrouva peu de temps après à collaborer avec Robert Conquest, le soviétologue le plus violemment opposé au communisme, et il rédigea quelques années plus tard une dystopie que l’on ne peut que rapprocher du 1984 d’Orwell. Rallié aux conservateurs dès les années 60 (il laissa un essai expliquant son orientation), il finira sa vie anobli. Parallèlement à ses engagements politico-philosophiques, notre homme se fit aussi connaître par son hédonisme, ne rechignant jamais à aller lever abusivement le coude au pub du coin, ni à tromper ses femmes. Cette façon d’être fut la sienne toute sa vie durant. Voilà une vie bien remplie. On en oublierait presque que Kinglsey Amis est aussi un romancier, un essayiste et un professeur d’université. A n’en pas douter, son goût des plaisirs typiquement britannique et son côté “conservateur aristocrate” en fit l’homme idéal pour succéder à Ian Fleming, créateur littéraire de James Bond et personnalité voisine de celle de Amis. Déjà auteur d’un essai sur l’agent 007, Amis fut ainsi choisi pour être le continuateur de Fleming après la mort de ce dernier, ce qu’il accepta bien volontiers malgré la notoriété glanée par son roman Sept Jours de malheur, généralement considéré comme un des chefs d’œuvre de la littérature britannique du XXème siècle. Tâche ingrate que celle de prolonger (sous pseudonyme !) le travail de Fleming, dont il ne s’acquitta qu’une seule fois, pour Colonel Sun. Le manque de succès du livre n’encouragea pas les éditeurs à poursuivre l’expérience. Peut-être est-ce cet échec qui encouragea Amis à rédiger un livre aussi saugrenu que L’Homme vert, œuvre païenne en diable dans lequel le héros, Maurice Allington, semble être une représentation de l’auteur lui-même, qui se tourne en dérision.
Maurice Allington est le gérant de L’Homme vert, vieille auberge en pleine campagne dans laquelle il vit avec sa femme, sa fille et son père. Alcoolique et adultère, Maurice vit sa vie de façon égoïste, ne portant que peu d’intérêt à sa famille et à son travail. Il en portera encore moins lorsque sa routine quotidienne sera troublée par le fantôme du Dr. Underhill, assassin et pervers qui possédait la bâtisse il y a quelques siècles de cela.L
Bien que se présentant sous les oripeaux du fantastique, L’Homme vert est loin d’être un roman de maison hantée classique. Voire loin d’être un roman de maison hantée tout court. Amis ne se soucie nullement de l’épouvante, et Underhill s’apparente davantage à un personnage physique, en ce sens que les manifestations paranormales qu’il provoque, déjà rudimentaires, ne sont pas là pour effrayer Maurice Allington (même si son père en fait une crise cardiaque assez tôt) mais au contraire pour l’intriguer, pour le faire enquêter, et en fin de compte le pousser encore davantage à s’isoler de sa famille et de ses autres proches. C’est par cet isolement que Amis fait naître la dérision pour ce personnage aux forts relents d’alter ego. Sa chasse au fantôme, à peine dissimulée aux yeux de ses proches, n’est que la nouvelle lubie de cet alcoolique de Maurice, jamais en retard d’une excuse pour fuir une réalité trop responsabilisante pour cet égoïste notoire. Ainsi, en plus d’éviter soigneusement de s’occuper du mal-être de sa fille, témoin de la mort violente de sa mère (première femme de Maurice, remarié ensuite avec Joyce), il fuit désormais le deuil de son propre père. L’excuse du fantôme d’un homme comme Underhill, meurtrier et dépravé, est franchement un peu grosse aux yeux de ses proches. Amis joue sur le contraste entre les conseils donnés à Maurice par tout un tas de personnes bien intentionnées et le je-m’en-foutisme du principal concerné, adepte des promesses en l’air. La mort de son père semble le cadet de ses soucis. Surtout que Maurice n’a pas qu’Underhill en tête : il a aussi Diana, femme de son ami le docteur Maybury. Encore un bon prétexte pour prendre du bon temps et éviter les responsabilités que cette femme qui se laisse entraîner dans les sous-bois pour une partie de jambes en l’air. Les motivations de Diana sont pourtant concentrées non sur une réelle envie d’être prise par Maurice mais sur la fascination qu’elle éprouve pour cet homme étrange, qui va jusqu’à lui proposer une séance de triolisme avec Joyce. Ainsi leurs rencontres sont marquées par les véritables interrogatoires auxquels elle se livre, et auxquels Maurice répond avec une désinvolture trahissant une fois de plus son propre égoïsme. Tout est bon pour se farcir la femme de son meilleur ami, même répondre à ses questions inquisitrices ! En un sens, Maurice est à sa famille ce qu’Underhill est pour lui : un fantôme. Tel un fantôme perturbant les humains en revivant sa propre histoire, Maurice perturbe le quotidien normal de ses proches, errant au milieu d’eux et provoquant leur peine sans s’en émouvoir. Ce n’est pas la seule chose qui le rapproche de Underhill : son goût des orgies et son égoïsme évoque aussi la mémoire de ce bon docteur. Pas étonnant que celui-ci en vienne à déclarer avoir choisi Maurice pour refaire parler de lui. Le dilettantisme de l’aubergiste est la clef pour un bon come-back, finalité orchestrée par Underhill, qui par delà les siècles est à la recherche de ce qu’il goûtait durant sa vie : le sexe et le meurtre. Sans trop en dévoiler, disons que Underhill a totalement manipulé son sujet, accentuant le ridicule et l’absence totale de sens de la vie de celui qui a tout plaqué pour une chimère incluant le spectacle des orgies organisées naguère par Underhill. Plus ses recherches s’intensifient (d’abord les papiers d’Underhill, puis visite aux archives du coin, puis fouille de sa tombe), plus Maurice s’enfonce dans le ridicule, tant il est évident que ses recherches ne pourront aboutir qu’à des résultats désastreux, tant pour Maurice que pour sa famille. Pour parler familièrement, disons que cela lui pendait au nez, et qu’il aurait mieux fait d’écouter le pasteur du village, personnage savoureux considérant la foi avec dédain et ne cachant pas ses opinions d’extrême-gauche. D’ailleurs, en parlant religion, signalons que Dieu en personne intervient au cours du récit sous les traits d’un jeune homme nonchalant, rappelant à Maurice ses responsabilité (et prenant comme argument sa propre envie de rigoler un bon coup en envoyant un dinosaure à Londres, chose qu’il ne peut se permettre, bien entendu).
Roman léger (et court) portant sur la fuite des responsabilités sous un angle humoristique, L’Homme vert se lit relativement bien, sans toutefois rester inoubliable. Il y manque une certaine excentricité à la Terry Pratchett qui lui aurait permis de se montrer davantage corrosif, et que l’on ne retrouve finalement que dans les personnages religieux, pourtant secondaires. Si il est parvenu à s’imposer dans le milieu littéraire, Kingsley Amis ne s’imposera en tout cas pas comme un grand écrivain de fantastique.