Des femmes qui tombent – Pierre Desproges
Des femmes qui tombent. 1979Origine : France
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Seul et unique roman signé de l’incomparable plume du grand Pierre Desproges, Des Femmes qui tombent est un savant mélange de policier campagnard et de science-fiction débile auquel le dramatique réalisateur M.N. Shyamalan parvint malgré lui à rendre hommage dans son aberrant Signes en 2002.
Mais revenons au roman de Desproges. Celui-nous narre l’histoire des tragiques décès qui frappent la gent féminine du petit village de Cérillac, “pittoresque bourgade aux confins du riant Limousin et du verdoyant Périgord“. Tout démarre avec l’éventration de la modeste Adeline Serpillon, qui “conservait dans la mort cet air con des mercières mesurant l’élastique à culottes” et se poursuit avec les étranges trépas de nombreuses autres Cerillacaises, pour le plus grand malheur des époux, mais pour le plus grand bonheur des journalistes qui trouvent ici un sujet à exploiter et pour celui des autochtones qui à l’instar du boucher Labesse ne s’expriment que par lieux communs (“on est bien peu de choses“). Le médecin local Jacques Rouchon tâchera de préserver la vie de sa femme et de son handicapé physique et mental de fils, tout en enquêtant sur ce mystère, aidé en cela par le journaliste consciencieux François Marro.
Une histoire policière, donc, qui finira en pleine science-fiction apocalyptique. Mais ces genres ne sont bien entendu par les principales préoccupations de Desproges, qui malgré son passage de la chronique télévisée, radiophonique ou écrite au roman ne s’intéresse ici et comme à son habitude qu’à l’humour grinçant et à la satire féroce. La satire du français dans toute sa splendeur, du villageois beauf de la vieille-France au politicien se complaisant à afficher sa fausse compassion à la face de l’électorat potentiel, en passant par la brochette de journalistes mouches à merde et par la police qui maîtrise la situation tout en restant au point mort. Desproges ne prend même pas la peine d’épargner son “héros”, Jacques Rouchon, buveur patenté et médecin aux idéaux cancerophobes oubliés au profit d’une moins reluisante guerre aux hernies ouvrières. Il s’acharnera même sur lui, lui attribuant une femme adultère pour oublier son chagrin ou son ennui (comme bien d’autres Cerillacaises) et surtout un gamin handicapé, sur lequel Desproges ne tarit jamais de dénominations peu compatibles avec le politiquement correct en vigueur de nos jours : “cette contrefaçon d’homoncule“, “l’ersatz“, “l’approximation filandreuse“…
Vous l’aurez compris, Des Femmes qui tombent est un livre très grinçant, enraciné dans la culture française. Une sorte de démarcation acide des comédies françaises chauvines voire beaufs, dans laquelle l’auteur se plaît également à insérer des sujets qui lui sont chers (parfois au risque de reprendre mot pour mot des traits d’esprits déjà utilisés dans d’autres textes) par le biais de digressions surréalistes et comme toujours très cyniques. Le dénouement du roman sera d’ailleurs un vrai monument d’humour noir, qui tout comique qu’il soit se révèlera extrêmement cruel. Le tout dans un style hautement littéraire irrésistible et fixé dans un récit sans queue ni tête pour les puristes du roman policier ou de la science-fiction. Un livre essentiel, donc, que l’on pourra lire ad vitam æternam, tant la richesse du vocabulaire de Desproges rend impossible la perception immédiate de toutes les subtilités comiques que contient ce roman.