CinémaMusical

Yellow Submarine – George Dunning

yellowsubmarine

Yellow Submarine. 1968

Origine : Royaume-Uni 
Genre : Comédie musicale 
Réalisation : George Dunning 
Avec : John Lennon, Paul McCartney, George Harrison, Ringo Starr…

En 1968, il y a déjà de l’eau dans le gaz chez les Beatles : le voyage en Inde avait mis à jours des tensions qui couvaient déjà auparavant. Mais n’empêche, après A Hard day’s night et Help!, le groupe devait encore contractuellement un film à la United Artists. Guère satisfaits de leur précédente expérience sur Help!, et encore moins de leur téléfilm Magical Mystery Tour, les Beatles autorisèrent la conception de Yellow Submarine, scénarisé en fonction de plusieurs de leurs chansons déjà sorties et tourné en animation, ce qui leur permettait donc de rester loin de toute implication. La réalisation incomba à George Dunning, un des réalisateurs de la série télévisée d’animation The Beatles (qui dura quatre saisons de 1965 à 1969), pourtant dénigrée par le groupe. Les compositions instrumentales du film furent conçues par George Martin, producteur attitré des quatre de Liverpool, et les dialogues récités par des imitateurs. Quand aux chansons, hormis celles reprises des précédents albums, seules cinq originales allaient figurer dans le film : “All Together Now”, “It’s All Too Much”, “Baby You’re a Rich Man”, “Only A Northern Song” et “Hey Bulldog”. Et encore, les trois dernières avaient déjà été enregistrées pour des albums précédents avant d’être mises au placard… Bref, les Beatles n’en avaient rien à foutre de Yellow Submarine. Et il faut bien admettre qu’un film construit autour de chansons sans aucun lien entre elles n’avait a priori pas de quoi enthousiasmer son monde.

Et effectivement, l’intrigue du film n’est pas très recherchée : pour vaincre les Blues Meanies, des êtres vils et sinistres qui ont transformé la vénérable cité musicale de Pepperland en ville morte, Old Fred est envoyé sur Terre à bord du Yellow Submarine pour trouver un groupe capable de jouer à nouveau de la musique à Pepperland, et ainsi de redonner vie à la ville pour lui permettre de se débarrasser des Blue Meanies. Les Beatles, sosies de la fanfare de Pepperland, le Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band, seront les heureux élus.
Une histoire simple, commençant d’ailleurs par le sempiternel “Il était une fois”, et pourvu d’un propos somme toute plutôt classique à la fin des années 60 : aimez-vous et soyez heureux. D’un côté, les Blues Meanies, méchants, tristes et moches. Ils sont les représentants du conservatisme, et d’ailleurs le terme “blue meanies”, en anglais, réfère aux policiers ou aux politiciens réactionnaires. De l’autre, la joie de vivre, la couleur, la musique, le pacifisme, des valeurs qui finiront par l’emporter et même par gagner le coeur enfin révélé des Blues Meanies. La morale de l’histoire, en musique, est claire : “All Together Now”, “tous ensemble” au-delà des divergences. La chanson prend d’ailleurs des allures de karaoké multilingue, la phrase-titre défilant en plusieurs langues pour toucher tous les peuples qui verront le film un jour ou l’autre.
Vu comme ça, le film est profondément daté, s’attirant au passage un certain côté naïf imputable à la conviction avec laquelle ce message est asséné, typiquement d’époque. Mais ce n’est encore rien comparé au visuel du film lui-même, à son traitement et à son développement.

Ainsi, afin de mieux intégrer les chansons dans le film aussi bien que dans le but de surfer sur la mode psychédélique de l’époque, la narration est volontairement sujette à des errements plus ou moins long qui n’ont pas une grande influence sur l’histoire. Une très longue partie du film se déroule lors du voyage du sous-marin, qui emprunte un parcours semé d’embûches qui n’en sont pas, puisque rien de tout ce qui arrive aux personnages n’est réellement dangereux. Le film tient ainsi du long “trip” psychédélique, et ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les chansons furent séléctionnées en fonction de leur degré d’appartenance à ce style : “Lucy in the Sky with Diamond”, “With a Little Help from my Friend”, “Love you to”, “It’s all too much”, “Only a Northern song”, “Think for Yourself”… On constate d’ailleurs que les chansons signées George Harrison sont nombreuses, bien plus que pour un album “normal” des Beatles. Logique, puisque des quatre, Harrison, en plus d’être celui qui consommait le plus de substances illicites, fut celui qui fut le plus marqué par la culture hindoue, et de ce fait, imposa l’emploi de cithares au sein du groupe. Parfait pour accompagner des séquences multicolorées et kaléidoscopiques, dominées par des dessins simples mais surabondants.

Le style fait du reste quelque peu penser à ce que faisait Terry Gilliam pour le Monty Python à la même époque. D’autant plus que quelques collages typiquement “gilliamesques” interviennent au début du film, dans le monde “réel”, loin de Pepperland ou des diverses mers que traversera le sous-marin : The Sea of Time, The Sea of Science, The Sea of Monsters, The Sea of Nothing, The Sea of Heads, The Sea of Holes… Autant d’endroits non-sensiques (et autant de clips avant l’heure) dans lesquels le réalisateur expérimente toutes sortes de délires visuels : la mer des sciences et son univers géométrique, le “rien” (où apparaît Jeremy, le Nowhere Man), né de l’aspiration du décor par le monstre-aspirateur, la mer des trous dans laquelle Ringo ramasse un trou pour le mettre dans sa poche… Plus le sous-marin se rapproche de Pepperland, plus l’absurde gagne en intensité pour atteindre des sommets de psychédélisme qui ne dérangent pourtant pas tellement la quiétude des quatre Beatles. Dès le départ, avant même de partir en mission, ceux-ci évoluent dans une maison-musée brassant les références pop détournées et défiant les lois de la physique (“It’s all in the mind”, en français “tout est subjectif”, est ainsi l’un des credo du groupe). Alors ils ne s’étonneront guère de tout ce qu’ils traversent et feront preuve d’un flegme typiquement britannique. En bon amateurs des Monty Python (comme les dialoguistes, visiblement), ils se révèlent même tellement flegmatiques que leurs paroles eux-mêmes sont prises et à prendre au pied de la lettre (“j’ai un trou dans ma poche”), aboutissant à plein de jeux de mots et de traits d’esprits difficilement traduisibles en français (seule une bonne compréhension de l’anglais permet de comprendre toute la subtilité des dialogues), ainsi qu’à quelques répliques tout droits sorties de chansons du groupe ne figurant même pas dans le film.

Avec tout cela, nous en venons à oublier totalement de quoi parlait l’histoire. Dunning semble exiger que le spectateur se laisse porter par le spectacle, du moins avant le retour à Pepperland, dans lequel le script et la morale reprennent leurs droits, sans pour autant redevenir sobres à proprement parler. Désormais, avant même d’être un film, Yellow Submarine est le témoignage excessif d’une époque musicale, visuelle et idéologique. Une époque tellement particulière et à ce point différente de la notre que le film n’en paraît que plus exotique, voire, pour les amateurs d’étiquettes faciles, “kitsch”. En tout cas, il constitua une telle surprise positive pour les Beatles que les membres du groupes acceptèrent de conclure le film eux-mêmes, en “live”.

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