Vertige – Abel Ferry
Vertige. 2009Origine : France
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Cinq amis se retrouvent en Croatie pour se confronter à la via ferrata de Risnjak. Malheureusement, ils découvrent sur le site qu’elle est désormais fermée. Loin de se laisser abattre, Fred, l’initiateur du projet, convainc les autres qu’il est toujours possible de la faire. Mal lui en prend. Aux incidents qui se succèdent, témoignant de la vétusté du site, s’ajoute un danger qu’ils n’auraient jamais imaginé, une sorte d’enfant des bois qui traque tous ceux qui profanent son territoire.
Dans le domaine de l’horreur et du fantastique, le cinéma français actuel fait plutôt grise mine. Le genre a du mal à (re)décoller. Faute de moyens d’une part, mais aussi faute de spectateurs, le public français étant peu enclin à se rendre en salle pour soutenir les efforts de réalisateurs locaux dans ce domaine. Il faut reconnaître que jusqu’à présent la qualité a rarement été au rendez-vous, lesdits films croulant le plus souvent sous le poids de leurs références quand ils ne sombrent pas tout simplement dans le ridicule (les deux n’étant pas incompatibles, comme l’a prouvé La Horde). Et pour quelques succès, à néanmoins relativiser compte tenu du budget et du nombre de salles allouées (Le Pacte des loups, Vidocq), combien de petites productions sorties à la sauvette (Maléfique, Dans ma peau), sacrifiées sur l’autel de la rentabilité ? En dépit de cet état des lieux guère reluisant, il est louable que certains réalisateurs continuent envers et contre tout à offrir une alternative hexagonale aux sempiternelles grosses comédies qui trustent et les écrans, et les deniers des producteurs. On peut juste regretter que les bonnes intentions affichées ne se concrétisent que trop rarement à l’écran. Dans le marasme ambiant, Vertige s’inscrit à la croisée des chemins. Là où les optimistes préféreront voir le verre à moitié plein, les pessimistes le verront à moitié vide. J’aurais tendance à me ranger du côté des seconds pour la simple et bonne raison que le film se délite à mesure que le récit avance, laissant ainsi sur une mauvaise impression.
Pour son premier film, Abel Ferry n’a pas choisi la facilité. Non content de s’adonner au survival, genre de plein air s’il en est, il s’ajoute une difficulté supplémentaire en tournant à la montagne, à flanc de falaise, via une activité en plein essor, la via ferrata. Dès le départ, il avait pour ambition de tout tourner en décors naturels et sans adjonction d’effets spéciaux. Les acrobaties que nous voyons à l’écran sont donc véritablement effectuées par les acteurs, au prix de quelques astuces de mise en scène. Il ressort de ces séquences, soutenues par des cadrages appropriés promptes à retranscrire le vertige des uns et des autres, une tension permanente que nourrissent également les rapports entre les personnages.
Sans se perdre en de fastidieuses scènes d’introduction, Abel Ferry esquisse rapidement ses personnages, posant d’emblée une situation à forte teneur explosive du fait de la présence imprévue d’un cinquième larron. Et pas n’importe quel larron puisqu’il s’agit de Guillaume, un vieil ami du groupe – moins Loïc – et ancien compagnon de Chloé. La virée entre couples envisagé au départ – Karine et Fred d’un côté, Chloé et Loïc de l’autre – se mue alors en probable casse-tête pour Chloé d’une part, mais surtout pour Loïc. Profondément jaloux, il goûte peu la présence de Guillaume qu’il voit en rival, et devant lequel il convient de faire bonne figure pour ne pas se sentir rabaissé aux yeux de Chloé. C’est le premier enjeu de l’ascension, durant laquelle Loïc rivalise d’efforts, luttant vaillamment contre sa peur du vide, alors que Chloé suit ça d’un œil détaché, presque absent. Pour peu enthousiasmante que soit cette sous-intrigue de prime abord, elle nourrit plutôt efficacement la première partie du film, Abel Ferry ayant la bonne idée de ne pas lui consacrer plus de place qu’elle n’en mérite. Pourtant, les prémisses du naufrage à venir sont déjà là. Cette sous-intrigue, associée aux flashbacks sur-signifiants concernant le trauma de Chloé, prépare le terrain à ce qui est le point faible du film, alors même qu’il en constitue la raison d’être : la partie survival pure et dure.
Le survival présente l’inconvénient d’être assez limité dans ses thématiques. On assiste le plus souvent au schématique affrontement entre l’homme civilisé et l’homme sauvage dans un environnement hostile, le premier devant renouer avec son animalité pour espérer s’en sortir. En élève consciencieux, Abel Ferry se plie de bonne grâce aux ficelles du genre sans tenter d’y apporter un œil neuf. Il réussit néanmoins parfaitement le basculement de la tension inhérente à l’ascension chaotique à celle relative à l’incompréhension qui saisit les protagonistes face à la disparition de Fred. Leur désarroi est palpable, amplifié par une caméra instable qui multiplie les à-coups. A usage homéopathique, ce procédé aurait pu s’avérer aussi efficace que pertinent. A en user ainsi de manière systématique, Abel Ferry rend son histoire pénible à suivre, à plus forte raison lors des scènes nocturnes pour lesquelles il se permet en outre des coquetteries à base de vue subjective de l’une des victimes se faisant traîner à travers bois. Plan magnifique de la caméra basculant objectif contre terre, nous laissant dans le noir complet pendant quelques longues secondes. A ce stade là du film, Abel Ferry avait déjà perdu une bonne partie de son crédit, la faute à des péripéties hasardeuses qui ont trait à l’héroïne et dont il aurait aisément pu faire l’économie. Son trauma complaisamment exposé, il apparaît comme une évidence que Chloé est l’héroïne du film. Pourtant, le réalisateur s’échine à brouiller les cartes en donnant l’illusion que n’importe lequel des protagonistes pourrait être la prochaine victime. Or, protégée de son aura héroïque, Chloé se sort comme un charme d’une chute vertigineuse dans une cavité sertie de pals affûtés, n’ayant à déplorer qu’une blessure légère. Solide la môme, et il le faut lorsqu’on est à ce point plombé par la fatalité. Le tour cauchemardesque pris par cette escapade, dont le but initial était de lui changer les idées, la renvoie constamment à son inaptitude à sauver les gens qui l’entourent. La férocité qui l’anime au moment d’affronter le poids de cette fatalité, symbolisée par l’autochtone belliqueux, naît de cette frustration. Loïc connaît lui aussi son lot de frustrations, plombé par une caractérisation ingrate qui s’ingénie à enfoncer le personnage tout au long du récit, jusqu’à raviver sa rivalité sous-jacente avec Guillaume au moment le plus inopportun. Déjà antipathique, il en devient pathétique à se battre comme un beau diable pour crever bêtement, puni de ne pas avoir capitalisé sur sa position avantageuse. Le vain combat du second rôle qui ne pourra jamais briguer le strapontin du héros.
En dépit de la bonne volonté de son réalisateur, Vertige est un survival lambda dont la réalisation chaotique dans sa seconde partie et une approche finalement trop timorée du genre annihilent la moindre scène potentiellement perturbante. L’économie cinématographique française étant ce qu’elle est – frileuse, à plus forte raison dans le domaine horrifique – Abel Ferry n’a pour l’instant pas eu droit à une seconde chance, se contentant de la réalisation de modules sponsorisés pour gagner sa pitance.