Un long dimanche de fiançailles – Jean-Pierre Jeunet
Un long dimanche de fiançailles. 2004.Origine : France
|
Nous sommes en 1920. Mathilde (Audrey Tautou), jeune fille née avec le siècle, ne veut pas se résoudre à faire le deuil de son fiancé (Gaspard Ulliel), condamné à mort 3 ans plus tôt avec quatre compagnons d’infortune pour mutilation volontaire alors qu’ils étaient sur le front. A partir des objets que les condamnés ont laissé pour leurs proches , Mathilde se lance dans une quête éperdue, bien décidée à conserver intact le mince fil d’espoir qui subsiste en elle.
Un long dimanche de fiançailles marque le grand retour de Jean-Pierre Jeunet suite au succès inattendu du Fabuleux destin d’Amélie Poulain. Le film qui suit un tel raz-de-marée, qui dans le cas présent a même viré au phénomène de société, tient souvent de la gageure. Ambitieux, et ayant les moyens de ses ambitions, le réalisateur -définitivement séparé de son binôme des débuts Marc Caro- s’attaque au roman éponyme de Sébastien Japrisot avec un grand souci de la reconstitution historique. Jouissant désormais d’une belle cote, Jean-Pierre Jeunet peut s’entourer d’une pléiade d’excellents comédiens et il maintient sa confiance en Audrey Tautou, intronisée star montante depuis leur précédente collaboration, en lui confiant une nouvelle fois le rôle principal.
Avec Un long dimanche de fiançailles, Jean-Pierre Jeunet joue sur du velours. L’enquête de Mathilde assorti du contexte historique font que l’attention du spectateur reste toujours en éveil. Nous sommes en présence d’un puzzle que Mathilde s’évertue d’assembler sous nos yeux, avec l’aide des nombreux témoins de cette fameuse nuit de 1917 à “Bingo crépuscule”. La réalisation brille par son emphase et Bruno Delbonnel magnifie la photographie du film alternant les images sépia du “présent” au gris des scènes de tranchées, en passant par les ambiances fantastiques des scènes autour du personnage incarné par Marion Cotillard. Au niveau du casting, on retrouve les habitués de l’univers Jeunet, Dominique Pinon, Rufus, Jean-Claude Dreyfuss et Ticky Holgado accompagnés de nouveaux venus comme Jodie Foster, Clovis Cornillac et Jean-Pierre Darroussin. Tous, malgré une présence à l’écran plus ou mois importante, parviennent à donner corps à leur personnage. Et pourtant, malgré ces points positifs, Un long dimanche de fiançailles ne parvient pas à emporter l’entière adhésion. Techniquement irréprochable, le film dispense son lot de belles images qui n’évitent pas toujours le chromo. Égal à lui-même, Jean-Pierre Jeunet conserve son style si reconnaissable -presque une marque de fabrique, désormais- s’accordant des apartés humoristiques dont il a le secret, et qui curieusement s’intègrent plutôt bien à la solennité de l’ensemble. Ils ont l’avantage d’insuffler un peu de vie à un récit dominé par la figure rapidement irritante de Mathilde. Cette dernière nous apparaît comme une gamine quelque peu capricieuse qui cherche à tout prix à avoir raison. Née avec un pied bot, elle parsème sa vie de mini défis dont le but est de lui donner le courage nécessaire pour poursuivre sa quête. Finalement, on la sent davantage obstinée qu’amoureuse. Et de cette obstination ne ressort aucune émotion, un comble pour un film qui repose sur l’espoir de retrouver l’être aimé.
Heureusement, le récit foisonne et nous offre d’autres destinées auxquelles s’attacher. Il y a notamment l’expédition vengeresse d’une prostituée incarnée divinement par la non moins divine Marion Cotillard, récompensée d’un César pour ce rôle. Tout ce qui se rapporte à ce personnage baigne dans une noirceur insondable qui n’est pas sans rappeler l’univers de Delicatessen, le premier film de Jeunet.
Dans un paysage cinématographique français souvent trop terre à terre, Jean-Pierre Jeunet détonne en osant la fresque romantico-historique. Un pari pas totalement réussi, mais parfaitement assumé. On regrettera néanmoins cette héroïne à la personnalité un peu étriquée, sans doute trop proche du personnage qui a fait son succès, et un peu trop unidimensionnel. Un long dimanche de fiançailles n’en reste pas moins un beau spectacle, mais un peu froid.