Toryok, la furie des barbares – Guido Malatesta
La Furia dei barbari. 1960Origine : Italie / Yougoslavie
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Les cités de Nissi et de Rutar ont de la chance : elles vivent en paix alors qu’autour d’elles, un siècle après la chute de Rome, le nord de l’Italie est dévasté par les conflits. Il s’en est pourtant fallu de peu pour que les choses dégénèrent… Kovo (Livio Lorenzon), futur chef de Rutar, a en effet assassiné l’épouse de Toryok (Edmund Purdom), le chef de Nissi, alors qu’il tentait de la violer. Le malotrus eut la bonne idée de mettre les voiles et de se réfugier en Lombardie. La paix a donc été préservée, même si Toryok ne manquera pas de saisir sa chance de vengeance lorsqu’elle se présentera. Deux ans plus tard, Kovo revient à Rutar pour en prendre le trône qui lui revient. Il est accompagné de Leonora (Rossana Podestà), sa future épouse, et d’une armée de lombards qu’il ne manquera pas d’utiliser pour tenir son peuple en respect et pour répondre à une éventuelle anicroche avec Toryok. Dans ces conditions, les relations entre les deux cités sont rompues, la guerre est inévitable.
Les tuniques et les sandales, c’est bien gentil, mais l’Histoire est suffisamment riche pour ne pas se concentrer uniquement sur cette période de l’Italie, fut-elle de loin la plus glorieuse et la plus cinégénique. Au milieu de la vague de péplums des années 50 et 60, les films en costumes prenant pour contexte une période postérieure à l’antiquité (parfois même sise en dehors de l’Italie) ont fait sporadiquement surface, même si il faut bien avouer qu’ils restaient dans l’esprit autant que dans leur conception très proches du péplum. Les tout premiers westerns d’avant Sergio Leone en étaient eux-même encore assez proches. C’est aussi le cas de Toryok, dont le réalisateur allait bientôt se spécialiser dans les Maciste sans rechigner pas non plus à l’occasion sur un Samson ou un Goliath, parfois au titre de scénariste. Pour l’heure, pas de beaux décors mythologiques ou d temples immaculés sur les rives de la méditerranée. Place à la nature sauvage et aux fortifications grossières flambées en deux lancers de torche. Nous sommes à l’époque des barbares… Des gens qui, au moins pour leurs chefs, ont fait une croix sur les belles tuniques colorées et les slips de luxe pour revêtir des cuirasses en écailles bardées de plumes (une tenue qui m’a étrangement fait penser à la marionnette de Jacques Chirac dans le Bébête Show), qui peuvent porter fièrement la moustache (Kovo) aussi bien que, et c’est le comble de la barbarie, le brushing (Donar, le frère de Toryok). Quoiqu’il faut tout de même admettre que Malatesta et ses scénaristes -dont l’auteur du roman sur lequel se base le film- ne se sont pas seulement concentrés sur les éléments visuels et qu’ils ont fait un effort louable pour se montrer un peu plus violents que les péplums habituels, souhaitant ainsi justifier l’ambiance “barbare” sans foi ni loi évoquée par la voix off de l’introduction. Plus de morts, y compris des femmes et des personnages importants, des héros un peu moins moraux qu’à l’accoutumé -Toryok et son désir personnel de vengeance entraînant son peuple à la guerre- et surtout des scènes de combats qui si elles ne brillent pas par leur chorégraphies se démarquent par leur relative démesure. Le feu est ainsi souvent utilisé en arrière plan dans des plans larges, rongeant petit à petit les décors et donnant aux combats une portée qu’ils n’auraient pas atteint si ils ne s’étaient pas pour quelques uns d’entre eux déroulés dans ce cadre. Précisons que le film fut tourné dans la région de Zagreb avec l’appui d’une compagnie yougoslave, ce qui a permit de mettre un peu de beurre dans les épinards et beaucoup de figurants dans le champ, donnant ainsi l’impression d’assister à de véritables batailles et non à des bagarres de rues. Mais même avec tout ça, parler de “furie des barbares” est un peu exagéré…
Comme la plupart des péplums n’entrant pas dans le cadre mythologique, Toryok repose avant tout sur des questions de personnalités, couplées à des intrigues amoureuses elles-mêmes liées à des questions politiques. Côté Runar, nous avons un chef revenu d’exil qui impose sa tyrannie sur son peuple avec l’aide d’une armée privée au leaders intéressé. Pour contrebalancer ce profil de méchants classiques, Malatesta utilise Leonore, la fiancée de Kovo, qui, prenant conscience de la nature de son mari et apprenant son forfait passé, se rebelle et se pose en seule et unique opposante, graciée par l’amour sincère mais inavoué (quand on veut jouer aux durs, ça ne se fait pas !) que lui porte son moustachu. Voilà un conflit qui aimerait bien revêtir des tonalités shakespeariennes mais qui du début à la fin se contente de rester en surface des choses, évitant même soigneusement de nous montrer un peuple qui vient de se prendre inopinément un autocrate en plaine face. C’est du théâtral de série B, trahissant des acteurs pourtant pas mauvais, mais dont les rôles ne disposent pas d’assez de profondeur pour faire réellement ressentir quoi que ce soit à leur encontre, ni même croire que le film a été conçu avec un autre objectif que de surfer sur une mode fructueuse. On ne sent pas le réalisateur vraiment impliqué à ce niveau. Par contraste, les scènes d’action bénéficient de plus de soin, tout comme les quelques scènes de danses qui interviennent au début de film pour lui insuffler un peu de sensualité à bon compte. C’est la même désinvolture, peut-être un peu moins marquée, dans le camp d’en face, à Nissi. Toryok est un chef populaire, mais son envie de revanche est mal perçu par les notables de la citée, qui débattent de l’opportunité de le remplacer par son frère Donar. Ça parle, ça parle, mais concrètement ces compréhensibles envies de remettre en question les motivations du chef ne provoquent aucun remous. Pas même du côté du frangin Donar, bien trop occupé à choyer sa jeune épouse et par conséquent trop dévoué à Toryok pour penser à la politique. Encore une fois, le réalisateur reste à la surface et n’ose pas sauter le pas qui aurait mis à mal le manichéisme et remis en question le statut même du héros. De fil en aiguille, Malatesta résout les problèmes de coulisses pour imposer un schéma couru d’avance, celui par lequel la vengeance du chef épousera les intérêts politiques de sa citée, tout en lui offrant la perspective d’une nouvelle reine, à savoir la fiancée de Kovo. Les conflits internes de chaque camp n’auront servi qu’à densifier le scénario sans même s’être donné la chance d’être pris au sérieux. La sagesse frileuse traditionnelle du péplum l’emporte sur la furie des barbares, laquelle ne s’exprime à petite dose que dans les escarmouches et dans les batailles ouvertes qui anticipent le décevant règlement de compte final au corps à corps. Les quelques jolis plans larges conçus par Malatesta achèvent de faire de Toryok un film résolument moyen, que l’on aurait pu juger pas mal si ses concepteurs ne s’étaient pas montrés aussi ouvertement sélectifs et paresseux.