Le Parfum de la dame en noir – Francesco Barilli
Il Profumo della signora in nero. 1974Origine : Italie
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Au grand dam de son ami Roberto (Maurizio Bonuglia), Silvia Hacherman (Mimsy Farmer) est une femme obnubilée par son travail. Cependant, une soirée chez un savant africain va bouleverser la donne. L’hôte va parler à Silvia des rituels de magie noire africains, et va agir étrangement avec elle quelques jours plus tard, au court d’une partie de tennis. Troublée, Silvia va se mettre alors à avoir des visions lui remémorant son enfance, et plus précisément sa mère décédée. De plus en plus fortes, de plus en plus réelles, ces visions conduisent peu à peu Silvia vers la folie.
A défaut d’entretenir un quelconque lien avec l’aventure du reporter Joseph Rouletabille écrite par Gaston Leroux, ce Parfum de la dame en noir-là s’inscrit de façon presque conventionnelle dans la branche “freudienne” du giallo, elle-même largement influencée par des œuvres telles que Ne vous retournez pas de Nicholas Roeg. Une référence que Francesco Barilli, réalisateur débutant, semble avoir particulièrement gouté puisque sa première incursion dans le giallo fut pour le scénario de Qui l’a vue mourir ?, le très honnête thriller vénitien d’Aldo Lado. Avec sa première réalisation, Barilli reste dans le domaine de l’enfance, mais prend le parti de retracer celle de son héroïne, dont les visions ne sont rien d’autre que les éléments d’un puzzle permettant à terme au spectateur de reconstruire le fameux traumatisme d’enfance, tournant autour de la mère, cette fameuse dame en noir. Contrairement au père, dont le souvenir n’est mentionné qu’oralement et en termes nostalgiques, la mère apparaît concrètement dans un miroir en train de se parfumer, puis dans la chambre en train de se faire besogner sauvagement par un homme qui n’est pas le père de Silvia… Autant de souvenirs laissant entrevoir une personne débauchée. L’absence répétée du père idéalisé, marin de profession, semble avoir déséquilibré la fillette jusqu’à lui faire ressentir une certaine haine pour sa mère. Jamais dépassée, cette haine prend donc désormais la forme d’hallucinations inquiétantes de réalisme. Les visions s’adressent ainsi directement à Silvia, et celle-ci, hantée, replonge dans son enfance. Les fantômes semblent lui faire croiser la route de vieux symboles de cette époque (un vase, une boîte à musique) détruisant peu à peu la fragile protection que s’était construire Silvia en se plongeant dans son travail, et en vivant tout près d’une amie résolument moderne. Le retour en enfance sera littéral : Silvia commencera à se comporter en gamine et à un certain stade partagera même sa vie avec l’enfant qu’elle a été. Véritables fantômes ? Folie ? Francesco Barilli ne tranche pas, balance l’opinion du spectateur d’une interprétation à l’autre, et va même jusqu’à ouvrir une troisième voie elle aussi typiquement “giallesque” : celle du coup monté. A l’insu de Silvia, Roberto semble étrangement proche de Andy, le savant africain féru de magie noire.
A vrai dire, l’origine de toutes ces visions n’a pas réellement d’importance. Seule compte la dérive mentale de Silvia, de plus en plus accentuée. Si l’intrigue psychologique et labyrinthique du film est typiquement dans la tradition “giallesque”, la façon dont elle est traitée permet de la ré-évaluer à l’aune d’un style que Barilli n’emprunte à aucun des maîtres du genre. Car, chose étonnante pour un premier film, Le Parfum de la dame en noir (titre non utilisé en France tout simplement parce que le film y est inédit) relève de l’exercice de style. Le film ne fut de toute évidence pas produit pour ramasser de l’argent facile et témoigne d’une grande recherche technique, traduite à l’écran par un agencement tout particulier des décors, par des positionnements de caméra calculés en fonction du champ et par un découpage de scènes visant à établir un rythme lent et contemplatif. Aucune scène choc ne vient amoindrir l’angoisse diffuse véhiculée par le travail de Barilli, et même le final, cédant pourtant au gore, est porté par les mêmes considérations atmosphériques. Le réalisateur mise sur l’instauration d’un climat “d’inquiétante étrangeté” (notion popularisée par Freud signifiant en gros la rupture avec la prudente réalité du quotidien) basé sur le soin apporté aux décors choisis, et plus particulièrement à l’appartement dans lequel vit Silvia. Pièces aux couleurs criardes, architecture massive et baroque, tapisseries complexes… Le petit nid douillet qu’aurait dû être ce lieu n’ayant rien à envier au Bramford de Rosemary’s Baby se transforme au gré de la lente replongée en enfance de Silvia en sinistre cellule encourageant la jeune femme à se replier sur elle-même. De là naît la corruption des symboles enfantins, en premier lieu duquel nous trouvons une boîte à musique permettant au compositeur Nicola Piovani de livrer une obsédante bande originale en forme de contine. Plus Silvia se laisse aller à sa folie, plus l’angoisse s’impose, jusqu’à un paroxysme inspiré d’Alice au pays des merveilles. L’excellente prestation de Mimsy Farmer joue aussi un grand rôle dans cette réussite, l’actrice parvenant à rendre crédible la schizophrénie générationnelle de son personnage sans verser dans le ridicule.
D’un scénario solide mais banal, Francesco Barilli réussit donc à extraire un film sophistiqué. Rares sont les réalisateurs débutants à avoir su tirer leur épingle du jeu avec un culot aussi prononcé (le film n’a vraiment rien de l’extrémisme vendeur -quoique très sympathique- d’un Torso, par exemple, sur lequel il aurait été facile de copier). Hélas, les grandes heures du giallo étaient déjà passées, et Barilli n’eut l’occasion de réaliser qu’un seul autre film du même acabit, Pensione Paura, trois ans plus tard. Un écart plutôt long entre deux films à l’échelle du cinéma italien, mais qui témoigne de la minutie d’un réalisateur esthète qui comme le très réfléchi Giulio Questi ne signa que trois films.