Sleepy Hollow – Tim Burton
Sleepy Hollow. 1999Origine : États-Unis
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Lorsqu’il démarre Sleepy Hollow, Tim Burton est à la recherche d’un projet facile, sans pression. Il vient de perdre un an de sa vie à travailler sur un Superman Lives avec Nicolas Cage, qui finalement ne se fera jamais. Le script de Andrew Kevin Walker (scénariste de 8 mm et de Se7en) arrive donc à point nommé, pour employer une expression populaire à la con. Une adaptation de la vieille légende narrée au XIXème siècle par Washington Irving, qui livrait ici un des seuls récits du folklore américain, un folklore forcément très pauvre eu égard à la courte histoire des Etats-Unis. Quoi qu’il en soit, l’histoire permet à Burton de laisser libre court à son imagination, tant au niveau visuel qu’au niveau thématique. Car oui, Sleepy Hollow n’est pas le film creux que tout le monde dit. Sleepy Hollow est un village paumé en Nouvelle-Angleterre, qui doit faire face à une série de meurtres étranges, des décapitations, perpétrées selon les habitants du coin par le fantôme d’un cavalier sans tête, un cavalier qui terrorisa autrefois le coin avant de se faire lui-même décapiter. Ichabod Crane, un jeune inspecteur New-yorkais aux méthodes rationalistes modernes, est envoyé sur place. Sceptique, il essayera en vain de prouver que le tueur n’est pas un fantôme.
Avant toute chose, Burton nous présente donc l’histoire d’un matérialiste pur et dur, un type de la ville, aux convictions modernes, confronté à des esprits restés profondément ancrés dans les vieilles croyances. De ce décalage va naître une confrontation idéologique entre d’un côté le rationaliste et de l’autre côté les villageois crédules, confrontation dont l’arbitre va être le cavalier sans tête. Et qui, dans ce combat, va perdre ? Les perdants vont être des deux côtés, certes, mais Ichabod Crane sera le plus grand perdant. Car le cavalier sans tête est bel et bien réel, et les pensées cartésiennes de Crane vont échouer. Pourtant, les villageois n’ont pas non plus tout à fait raison. Le retour du cavalier sans tête est bel et bien motivé par une raison plus matérielle, à savoir l’avidité de Mary Van Tassel. Ainsi, puisque aucun des deux côtés ne l’emporte réellement, aucun des deux n’est détruit. La situation continuera en statu quo, avec d’un côté les rationalistes et de l’autre le scientifique. Mais pourtant les deux auront appris à relativiser leur point de vue : Crane concevra désormais l’existence du surnaturel et les villageois apprendront à être moins naïfs. C’est cette interaction entre les deux mondes qui fait que Sleepy Hollow est une oeuvre purement burtonnienne, absolument pas creuse et en rien contradictoire avec ce que le réalisateur a pu faire auparavant. En ne faisant pas gagner de camp particulier, il ne tombe pas dans le manichéisme, il ne verse pas dans la facilité. Tout comme à la fin d’Edward aux mains d’argent ou de Batman, les personnages principaux seront restés fondamentalement les mêmes, mais auront appris à tolérer le mode de vie des autres. Une tolérance à la base même de la carrière de Burton, que certains refusent de voir, ne désirant rien d’autre qu’un pamphlet violent contre la société moderne. Mais Burton n’est pas un révolutionnaire, il ne l’a jamais été. Il se contente de donner sa vision du monde et de revendiquer le droit d’existence de la marginalité, sans pour autant imposer celle-ci comme certains voudraient qu’il le fasse. Or si la marginalité est imposée partout, elle cesse d’être marginale. Là est le point faible des détracteurs de Burton. Ils veulent modifier la société, ses tolérances, en imposant leurs propres critères, qu’ils érigeraient en règle. Mais Burton ne fait pas cela, Burton ne souhaite rien d’autre que les gens restent eux-mêmes sans avoir à subir une quelconque forme d’oppression morale. Et c’est de cela que parle Sleepy Hollow. Le film est l’anti Le Village. Son discours, beaucoup plus subtile que le “la société est violente” de Shyalaman, évite de tomber dans les lourdeurs qui semblent être la mode à Hollywood, où tout doit être souligné au marqueur pour que le public, qui est à l’évidence pris pour un con, puisse percevoir le discours…
Mais bien sûr, Sleepy Hollow est loin de n’être que le véhicule du discours de Burton. C’est aussi, comme tous ses films, un hommage au cinéma qu’affectionne le réalisateur. A savoir ici l’horreur gothique, directement influencée des films Universal des 30s, ou de la Hammer des 50s et 60s. Le personnage d’Ichabod Crane est partiellement inspiré des rôles et du style de Peter Cushing. Tout en légèreté et en confiance de soi-même. Une confiance qui sera mise à rude épreuve, et qui va -et là c’est un élément imputable à Burton uniquement- s’évanouir régulièrement tout au long du film, tandis que la fille, Katrina Van Tassel, restera sans sourciller. Burton ici s’amuse à jouer avec les codes du cinéma d’horreur, qui imposent souvent que ce soit les femmes qui tombent dans les pommes pour que les jeunes premiers puissent venir à leur secours. Les villageois sont aussi un autre poncifs des films d’horreurs de l’époque classique, dont les valeurs sont renversées. Ici, comme à l’habitude, ils sont effrayés et particulièrement naïfs. Pourtant, ils vont se différencier des films d’antan par le fait qu’ils sont tous plus pourris qu’ils n’ont l’air, et plus lâches aussi (ils ne finissent pas par se révolter au pied du moulin, par exemple). Si Burton prend quelques libertés dans les conventions (ce qui est tout à son honneur, et qui distingue l’hommage du repompage), en revanche il n’en prend pas dans la photographie de son film, signée du mexicain Emmanuel Lubezki (avec qui Burton partage le goût du cinéma à base de catcheurs masqués tels que Santo ou Blue Demon). Toute dans les teintes automnales, sombres, dorées, la photographie du film rend ainsi hommage à la campagne anglaise telle que l’on a pu la voir dans les films Hammer. Cela dit, Burton se permet d’inclure quelques éléments personnels : l’épouvantail, l’arbre maudit charriant des flots de sang… Sans oublier d’opposer les instruments modernes de Crane (qu’on dirait tirés du Faux-semblants de Cronenberg) aux méthodes rustiques en vigueur à Sleepy Hollow. Histoire de prolonger matériellement l’opposition moderne-traditionnel entre Crane et les villageois.
N’oublions pas non plus de parler du scénario, qui explore l’un des rares mythes américains. Le cavalier sans tête devient sans aucun problème un des plus beaux “méchants” qu’il ait été donné de voir ces dernières années. Le jeu de Christopher Walken, est, à l’instar de celui de Johnny Depp, inspiré de celui des films Hammer. Mais si Depp s’inspire librement de Cushing dans son côté têtu, Walken prend quant à lui son inspiration auprès de Christopher Lee, traditionnel ennemi de Cushing à l’écran, imposant et menaçant. Logique. D’ailleurs, Christopher Lee fait un caméo dans le film, où il interprète le sévère supérieur envoyant Crane à Sleepy Hollow. Une manière de rattacher encore le film à ses sources d’inspiration.
L’intrigue du film permet quant à elle quelques débordement vaguement gores, assez audacieux pour un film de ce calibre, à la distribution grand public. L’histoire d’amour difficile entre Crane et Katrina Van Tassel (un nom d’ailleurs bien particulier, qui évoque le romantisme germanique ou flamant) est elle aussi en dehors des sentiers battus, comme nous l’avons vu plus haut, avec le renversement des valeurs homme-femme, et l’homme qui s’évanouit pour un rien. De plus, Crane n’hésitera pas à la plaquer en cours de route pour revenir à elle, après s’être rendu compte de son erreur de jugement, tant au niveau de sa personne qu’au niveau de l’enquête. L’histoire d’amour est donc présentée autrement qu’avec la traditionnelle drague fleur bleue que l’on est habitué à voir dans les molasses comédies romantiques.
Enfin, parlons des rêves d’Ichabod Crane. Ceux qui parlent de la condamnation et de la mise à mort de sa mère. Outre qu’ils révèlent des éléments sur son passé (et qui donc contribuent à modeler un personnage plus profond que le guignol qu’il peut sembler être à première vue), constituent des petits chefs-d’oeuvre d’esthétisme (avec l’évocation cette fois du printemps, par opposition au climat automnal du film, et avec la présence de la superbe Lisa Marie). Et surtout, ils sont d’une cruauté assez incroyable dans un film de ce calibre. Rappelons que Crane est un gamin lorsqu’il voit sa mère condamnée pour sorcellerie à être enfermée dans un sarcophage à pointes, renvoyant tout droit au Masque du Démon de Mario Bava (autre film gothique des 60s).
Bref, scénaristiquement et esthétiquement, le film est irréprochable. C’est un magnifique tableau gothique. Qui se permet en plus le luxe de défier les conventions hollywoodiennes, et qui sert de véhicule à la pensée marginale de Burton.
J’avais pas pensé à opposer le film de Burton avec Le Village de Shyamalan, alors que c’est vrai qu’il y a des similitudes. Des créatures fantastiques sèment le trouble dans un village américain du 19ème siècle où des villageois bien sous tous rapport cachent un secret qui risque de mettre à mal l’unité de leur communauté.
Sleepy Hollow reste pour le moi le dernier bon film de Burton, après c’est devenu moins bon.