Silent Hill – Christophe Gans
Silent Hill. 2006
Origine : Etats-Unis |
Pour soigner sa petite fille Sharon de ses inquiétantes crises d’insomnie, Rose Da Silva l’emmène à Silent Hill, contre l’avis de son mari Christopher. Enfant adoptée, Sharon mentionne en effet cet endroit au cours de ses crises, et il y a donc de fortes chances pour que son traumatisme vienne de là… D’autant plus que Silent Hill est une ville désertée, rongée de l’intérieur par un feu de mine qui ne s’éteint pas. Une fois sur place -non sans avoir au passage semé temporairement une policière du nom de Cybil Bennett-, Rose est victime d’un accident et Sharon disparaît. Pour la retrouver, il va falloir naviguer entre les fanatiques religieux vivant toujours sur place et, surtout, les soudaines invasions d’un monde de ténèbres et de démons qui de temps à autre envahissent Silent Hill.
Peu prolifique, le Christophe Gans ! Entre la fin du magazine Starfix en 1990 et Silent Hill en 2006, seulement deux longs-métrages au compteur (Crying Freeman et Le Pacte des loups), plus son sketch de Necronomicon par lequel il se lança dans le métier de réalisateur. La raison de ce faible rendement ? Un mélange entre les difficultés à finaliser des projets et la volonté de s’investir dans ce qui lui tient à cœur. Son abnégation a fini par payer pour Silent Hill, puisque le forcing intensif auprès de Konami, firme éditrice de la série de jeux vidéo, lui a finalement valu de décrocher les droits d’adaptation tant convoités. Et avec eux, la pression qui en découle, apportée par la nuée de fans du jeu prêts à bondir au moindre écart. Loués pour leurs ambiances sombres, leurs scénarios fouillés et leur capacité à jouer sur un registre de frayeur très psychologique, les Silent Hill (au nombre de quatre lorsque Gans entreprit la réalisation de son film) se sont imposés comme des références du jeu horrifique, à côté des Resident Evil. Et comme cette dernière saga, fortement inspirée par les films de George Romero, les Silent Hill puisent leurs sources dans le cinéma et la littérature. L’Echelle de Jacob, les films de David Lynch, la nouvelle Brume de Stephen King, voilà quelques uns des titres dans lesquels a pioché Keiichiro Toyama, créateur de la saga vidéoludique.
Pour sa part, Christophe Gans ne peut se contenter d’inspiration : il doit coller aux jeux sans pour autant oublier qu’il œuvre sur un média différent. Un exercice qui tient de la gageure si l’on s’en fie aux précédentes adaptations : depuis l’essor des consoles de salon au début des années 80, pas une seule n’a su se rendre inoubliable… Faut-il y voir une marque d’incompatibilité, qui ne vaudrait d’ailleurs que dans ce sens (car les jeux tirés de films n’ont pas forcément tous mauvaise presse)? Probablement pas : en dépit de l’interaction induite par le jeu vidéo envers ceux qui le pratiquent (qui sont littéralement aux manettes) et que le cinéma ne pourra jamais atteindre, il n’y a pas de raison pour qu’un cinéaste ne parvienne pas à pondre un film basé sur un jeu vidéo. C’est d’autant plus vrai que les jeux sont désormais pris plus au sérieux et qu’il n’y a plus lieu de pondre des gamineries type Street Fighter ou Super Mario Bros elles-mêmes basées sur des jeux extrêmement linéaires, sans grand scénario et avec des niveaux ou étapes bien délimités que peu de choses reliaient entre eux. Les progrès technologiques ont amené des jeux plus élaborés, moins balisés et avec des scénarios plus riches. Le problème n’est donc ni une question de mode de narration, ni de scénario sur lequel se baser, ni même de raisonnements purement commerciaux : une adaptation comme le Silent Hill de Christophe Gans ne saurait être vu comme une simple extension opportuniste d’un titre à succès. Gans pratique lui-même le jeu, sa démarche est intègre. En revanche, la façon de procéder à la transition exige bien davantage…
Première remarque : plutôt que de se focaliser sur un seul jeu, Gans (co-auteur du scénario avec Roger Avary et son ex compère Starfixien Nicolas Boukhrief) choisit de s’appuyer sur les quatre parus jusque là, en privilégiant tout de même le premier pour ce qui est du scénario. Mais il prend malgré tout certaines libertés : le personnage principal devient ainsi une femme inexistante chez Konami, dont le mari évolue dans une sous-intrigue parallèle en fait imposée à Gans par son studio, lequel trouvait que tout cela manquait singulièrement de présence masculine. Et c’est un premier point négatif : l’aventure de Sean Bean et du flic qui l’accompagne pour retrouver Rose et Sharon à Silent Hill tombe à chaque fois comme un cheveu sur la soupe, ne mène nulle part, casse le rythme et s’avère inintéressante au possible. Bref, sa nature artificielle prend le dessus, et contribue à alourdir davantage un film qui se montre déjà assez brouillon comme ça… Car Gans, en bon connaisseur des jeux, se plaît à incorporer dans son histoire les lieux les plus marquants, sans pour autant se montrer capable des les utiliser. L’école, l’hôpital, l’hôtel, l’église, la ruelle, voilà les lieux incontournables des jeux trouvant leur chemin jusqu’au film, lequel les considère à la fois dans leur réalité et dans leur aspect cauchemardesque, puisque le monde des ténèbres envahit Silent Hill à intervalles réguliers. Ainsi, Gans donne certes du mouvement à son film, il nous fait voir du pays, mais l’intérêt scénaristique de tout cela n’est pas très évident. Rose, avec l’aide de la flic Cybil Bennett, court après sa fille qu’elle aperçoit de temps à autres. Et en chemin, elle rencontre des monstres, observe des visions cauchemardesques… Et c’est à peu près tout.
Les jeux adoptaient la même structure, mais s’appuyaient sur des énigmes et exigeaient des explorations intensives au milieu de ces ambiances viciées. C’est par ce biais que le scénario évoluait, lentement, et que le frisson pouvait gagner le joueur. C’était même peut-être le point déterminant du jeu. Silent Hill le film saute cette étape -pouvait-il faire autrement ?- et se limite à n’être qu’un train fantôme dans lequel Gans en est longtemps réduit à faire jouer les effets spéciaux (pas forcément très bons) et les scènes d’action. Certes, son “Pyramid Head” (le grand méchant iconique de la saga apparu dans Silent Hill 2) en impose, mais il s’inscrit dans une frayeur ponctuelle qui ne parvient pas à s’imposer dans la longueur. Et à vrai dire, de longueurs, Silent Hill n’en manque pas. Sans dire que l’on s’y ennuie, les virées de Rose et Cybil laissent froid, faute de savoir équilibrer un sujet qui n’est pourtant pas stupide (la ville, ses monstres et les ténèbres étant les reflets des traumatismes subis par la petite Sharon) mais qui est ici traité de façon bancale. Plutôt que de laisser petit à petit l’évidence s’imposer, Gans choisit -essentiellement par le biais de la horde de bigots- de grossir le trait. Il n’y a que peu d’identification avec les personnages et les malheurs qu’ils subissent ou ont pu subir. Le jeu vidéo était subtil et procédait par petites touches, son adaptation veut saisir à la gorge et fait plus dans l’effet choc. C’est à se demander si finalement, Gans n’aurait pas été plus à sa place dans l’adaptation de Resident Evil.
Tout n’est pourtant pas à jeter : Gans sait manier la caméra et fait de gros efforts pour exploiter l’atmosphère tout en brume ou en décrépitude de Silent Hill. Mais tout cela reposant sur du vent, le film en est réduit à une coquille à peu près vide, résumé maladroit de jeux vidéos qui eux, pour le coup (du moins les deux premiers) sont aptes à conquérir un public au-delà du seul cercle des amateurs de jeux vidéos. A la vision du film, on peine à se dire qu’un spectateur aurait envie de devenir joueur…