Shock, les démons de la nuit – Mario Bava
Schock. 1977.Origine : Italie
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Sept ans après la disparition de son ex mari, Dora (Daria Nicolodi) revient s’installer dans l’ancienne demeure conjugale en compagnie de son fils Marco (David Colin Jr.) et de son nouveau compagnon Bruno (John Steiner). Elle se sent rapidement oppressée par cet environnement à la fois si familier et si inquiétant, guère aidée par l’attitude on ne peut plus étrange de Marco. Ce dernier, adorable envers son beau-père, se montre particulièrement odieux avec sa mère, allant même jusqu’à la menacer de mort. Alors que Bruno tente de la rassurer en minimisant la portée des propos tenus par un enfant, Dora ne sait plus sur quel pied danser, sombrant peu à peu dans la psychose.
Père du giallo et longtemps chef de file du fantastique transalpin, Mario Bava semble vouloir reprendre la main en cette fin des années 70. Ou tout du moins se jouer de la jeune garde, en tête de laquelle trône Dario Argento, dont le dernier film –Suspiria– a considérablement marqué les amateurs du genre. Facétieux, l’aîné des réalisateurs embauche l’épouse de son impétueux cadet pour lui faire vivre mille tourments. Une manière pour lui de montrer par procuration qu’il reste encore le maître du jeu. Loin de ce genre de considérations, Daria Nicolodi se donne sans compter pour le rôle, passant même les 20 dernières minutes du film à hurler à s’en claquer les cordes vocales, comme si elle briguait le statut de scream queen en chef, avant même que le terme n’entre dans le langage cinématographique courant. Toutefois, on dénote dans son jeu une certaine pudeur, la demoiselle rechignant à se dévoiler complètement devant la caméra de Mario Bava. Quoiqu’elle montre son popotin à quelques reprises…, donc à moins qu’il ne s’agisse d’une doublure, cela témoignerait juste d’un complexe ciblé. De toute manière, il n’était pas dans les intentions du réalisateur de jouer la carte de l’érotisme. Tout au plus injecte t-il un soupçon d’ambivalence trouble dans les rapports entre Dora et son fils, sans non plus trop insister sur ce point.
Épaulé au scénario par son fils Lamberto Bava (futur réalisateur –entre autres– de La Maison de la terreur et de Démons) et Dardano Sacchetti (déjà complice sur La Baie sanglante), Mario Bava tente d’apporter deux niveaux de lecture à son récit. Les événements peuvent ainsi être envisagés sous l’angle de la culpabilité de Dora, celle-ci resurgissant à la faveur de ses retrouvailles avec les lieux de sa précédente idylle. Le drame qu’elle y a vécu se dessine progressivement, chacune de ses visions horrifiques (à chaque fois une main dans un état de décomposition avancé qui la caresse, l’attrape ou bien la menace) la rapprochant un peu plus d’une vérité qui s’est jusque là refusée à elle. Les auteurs parsèment autant d’indices qui vont dans le sens d’une inclination de la jeune femme à la psychose. Au détour d’une conversation entre deux convives, dont l’ex psychanalyste de Dora, Mario Bava nous dresse le portrait d’une femme fragilisée depuis le décès de son ex mari, héroïnomane patenté qui a mis fin à ses jours sous ses yeux. La culpabilité de Dora aurait donc trait à cette inévitable sensation d’impuissance face à la mort d’un être cher qu’on a pu (su) empêcher. Dans ce contexte, nous comprenons mieux pourquoi Bruno a tendance à minimiser les crises d’angoisse de sa femme, donnant que peu de crédit à ses propos. Cependant, le fait qu’il se satisfasse de leur emménagement dans le lieu même où son épouse a vécu le pire moment de sa vie laisse à penser qu’il y a anguille sous roche. Néanmoins, si le récit s’était borné à jouer la seule carte de la culpabilité de Dora, assorti d’un semblant de rejet envers un fils lui rappelant trop son ex mari, Shock aurait pu s’avérer particulièrement perturbant. Malheureusement, Mario Bava n’en a pas voulu ainsi, nous proposant une autre vision des choses qui au final se mêle étroitement à la première.
Au-delà de la culpabilité de Dora, les événements du film peuvent aussi être vus sous le prisme de la possession, les actes du fiston paraissant visiblement dictés par l’aura maléfique et revancharde de son défunt père. Sous l’emprise du paternel, Marco s’assombrit dès qu’il se retrouve seul avec sa mère, éprouvant à son égard des sentiments mêlés de haine et d’attirance sexuelle (en plein jeu avec elle, il la fixe soudain avec concupiscence ; cherche à dormir dans son lit sous de faux prétextes ; lui dérobe une petite culotte). Et curieusement, il redevient jovial et rieur en compagnie de son beau-père. A l’exception notable d’une scène lors de laquelle, suivant des pratiques vaudous, il tente de faire se crasher l’avion de ligne que pilote Bruno à l’aide d’une photo de lui punaisée à une balançoire en mouvement. Seule scène ouvertement fantastique du récit, car ne pouvant être interprétée comme une vision psychotique émanant de Dora, celle-ci exprime en outre pour la unique fois la jalousie que peut légitimement nourrir le défunt à l’égard de son successeur. Mais dans l’absolu, Bruno demeure étranger à tout ce qui se trame dans la maison, l’essentiel de l’intrigue se jouant entre la mère et son fils. A ce propos, confier un rôle important à un enfant n’est jamais chose aisée, tant leur interprétation peut souffrir d’approximations aussi compréhensibles qu’immanquablement irritantes. Sur ce point, le jeune David Colin Jr. ne fait pas de miracles, limitant l’essentiel de sa prestation à une mine renfrognée un peu trop systématique. Pour autant, loin de desservir le film, sa prestation quelque peu apathique offre le réceptacle idéal à l’idée de possession qui le sous tend. D’ailleurs, plus qu’une idée, il s’agit d’une évidence. A peine entré dans la maison, Marco se sent irrésistiblement attiré par la cave, et plus particulièrement un mur de briques au fond de celle-ci, entérinant de facto l’idée de connexion entre une âme en peine et le gamin. Il n’en faut pas plus pour titiller nos méninges de fantasticophile et placer cette histoire sous l’égide de Edgar Allan Poe et sa célèbre nouvelle Le Chat. Au funeste animal se substitue le garçonnet pour une issue qui ne surprendra guère que les spectateurs les plus distraits. A l’aune de cette scène inaugurale (ou presque), Mario Bava brise d’emblée tout mystère, se tirant par là même une balle dans le pied. De fait, tous les mécanismes qu’il emploie par la suite tournent à vide. Les visions et les cauchemars de Dora, notamment, échouent dans leur fonction effrayante, Mario Bava ne parvenant jamais par sa mise en scène –très sage au demeurant– à créer une sensation de malaise. Et c’est bien ce qui surprend le plus à la vision de Shock, ce côté totalement aseptisé. Mario Bava ne va pas assez loin ni dans l’horreur, ni dans la tragédie, ni dans le suspense. Il en oublie même toute expérimentation au profit d’une mise en image terne et glacée, jusqu’au dénouement attendu, qui se montre un peu plus prolixe en recherches graphiques, sans non plus atteindre des sommets.
Triste fin de carrière pour Mario Bava. Son dernier film officiel (le téléfilm La Venere d’Ille doit certainement plus à son fils qu’à lui-même) révèle un cinéaste exsangue, dépourvu d’idées et définitivement enterré par la nouvelle vague émergente. Une nouvelle vague à laquelle tentera de se rattacher son fiston, sans jamais pouvoir y apposer sa marque, en dépit de quelques succès aussi surprenants que sans lendemains.