Sang pour sang – Joel & Ethan Coen
Blood Simple. 1985Origine : États-Unis
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Au Texas, par une nuit pluvieuse, Ray, employé dans un bar, déclare sa flamme à Abby, la femme de Marty, propriétaire du bar et patron de Ray. Les amants passent la nuit dans un motel, sans se douter que dehors, Visser, le détective privé engagé par le mari soupçonneux, les prends en photos… Fou de jalousie et de rage, Marty décide de payer Visser pour qu’il tue les amants, mais le détective a une bien meilleure idée…
Comme ce bref synopsis nous le laisse deviner, les frères Coen suivent une intrigue très classique pour leur premier film. Le trio mari trompé, femme infidèle, amant, agrémenté du détective privé véreux est une constante vue et revue du film noir. On pourrait ainsi croire que l’on est en terrain connu et que Sang pour sang ne sera qu’un nouvel et tardif avatar du film noir classique (en 1985, l’âge d’or de ce genre est fini depuis longtemps), mais c’est sans compter le talent et la créativité des deux frères !
En effet, dans ce premier film, ils s’appliquent à dynamiter la structure et l’univers du film noir classique à la fois dans le scénario et dans la mise en scène. Tout d’abord via cette idée géniallissime de transposer l’action dans le Texas profond, loin des grandes métropoles corrompues (qui servent de cadre habituel au film noir). Le lieu de l’action n’est pas anodin, et l’atmosphère lourde et moite du Texas, ses immenses étendues désertes servent magnifiquement l’histoire. De même il règne dans le film cette impression qu’aucun personnage n’aura d’avenir dans ce coin de campagne boueux. Tous les personnages du film sont des losers, qui mènent une vie banale, sans intérêt et à qui le futur n’offre aucun espoir de changement. Quelque part, Sang pour sang est l’antithèse de films comme Le Parrain. Il n’y a pas de mafieux charismatiques et maniérés dans l’univers des frères Coen, que des petites crapules, qui ratent la plupart du temps leurs coups. Des losers, qui commettent des erreurs, qui ne voient pas les failles de leurs plans… Ces personnages nous sont cependant immédiatement sympathiques. Les deux cinéastes portent un regard à la fois cynique et incroyablement tendre sur ces humains qui tentent de se débattre dans les conséquences de leurs crimes. Et c’est finalement tout ça qui fait la spécificité de leur cinéma, la modestie des personnages, le cynisme de l’intrigue et la tendresse qu’ils éprouvent pour les losers. Ainsi on trouve déjà dans Sang pour sang tous les éléments qui définiront la première partie de la carrière des frères Coen (c’est à dire jusqu’à Fargo en 1995). On y trouve une histoire très habile à l’humour macabre, des scènes qui deviendront référentielles (la tentative de meurtre compromise par l’arrivée de voitures sur une route) ainsi que l’apparition de membres de la « famille Coen » comme Frances McDormand ou M. Emmet Walsh qui feront d’autres apparitions dans les films des deux frères. Le scénario est également représentatif de la filmographie des réalisateurs. Sans temps morts, il enchaîne ses multiples rebondissements sans redondance ni surenchère. Le film brasse donc dans la plus parfaite harmonie des passages humoristiques, grinçants, sanglants, référentiels etc. Sans que jamais la cohérence de la narration en souffre. Le film ne s’embarrasse pas de prétention, et n’a d’autre objectif que de faire passer un bon moment au spectateur, ce que cette histoire novatrice et rythmée arrive à faire sans aucuns problèmes.
Le talent de Joel et Ethan se situe dans leur maîtrise déjà parfaite du langage cinématographique et de la narration, qu’ils cachent derrière cette histoire simple en apparence. Jamais la mise en scène, d’une rare limpidité, ne perd le spectateur, et ce malgré l’utilisation abondante de travellings au ras du sol, de jeu avec la géométrie des décors et la profondeur de champs. Sans doute doit-on voir dans ces éléments la fréquentation de Sam Raimi ami et collaborateur des jeunes cinéastes (Joel a fait le montage de Evil Dead, et signe avec son frère le scénario de Mort sur le grill de Raimi, Tandis que ce dernier signe celui du Grand saut).
Bref, Sang pour sang est un petit film auquel on a du mal à ne pas vouer une sympathie proche de l’adoration tant il regorge de personnages attachants et de scènes d’anthologies (le nettoyage du lieu du crime ! Le duel final !). Une très grande réussite, assurément.