Robocop 2 – Irvin Kershner
Robocop 2. 1990.Origine : États-Unis
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Paul Verhoeven n’ayant jamais eu l’intention de réaliser la suite de Robocop -et par ailleurs déjà bien trop occupé par le tournage de Total Recall– le producteur Jon Davison et le studio Orion ont dû prospecter un certain temps suite au désistement de leur premier choix, le jeune et méconnu (encore aujourd’hui) Tim Hunter. Finalement, ils trouvent leur bonheur en la personne de Irvin Kershner, vieux de la vieille à Hollywood, et qui s’est fait contre son gré une réputation de réalisateur de suites (La Revanche d’un homme nommé Cheval, L’Empire contre-attaque). Rompu aux effets spéciaux, enthousiaste à l’idée de poursuivre les aventures de Murphy/Robocop, Irvin Kershner apparaît comme le choix idéal.
Malgré la présence de Robocop, Détroit est toujours à feu et à sang. La situation n’a même fait qu’empirer en deux ans, les agents de police ayant mis leur menace de grève à exécution afin de s’élever contre les conditions précaires dans lesquelles l’OCP les maintient. A cela s’ajoute l’arrivée en masse d’une nouvelle drogue, le nuke, dont l’instigateur se prénomme Caïn et agit comme un gourou. Imperturbable, Robocop, toujours accompagné de la fidèle Lewis, arpente les rues de Détroit dans l’espoir de l’arrêter et ainsi réussir à endiguer ce nouveau fléau. Ce qu’il ignore, c’est qu’en coulisses, les pontes de l’OCP travaillent d’arrache-pied pour lui trouver un remplaçant plus docile : le Robocop 2 !
En dépit du succès obtenu, Robocop ne correspondait pas vraiment aux canons hollywoodiens du blockbuster lambda : trop noir, trop violent, trop ironique. La crainte -légitime- pour tous les enthousiastes du premier film (dont je suis), était que Robocop 2 sombre dans l’édulcoration à outrance pour ne plus ressembler qu’à un gros film d’action sans âme et sans aspérités. Or, la première scène -une publicité- annonce d’emblée la couleur : Robocop 2 souhaite s’inscrire dans la continuité de son modèle en en conservant le côté rentre-dedans. Ladite réclame vante les qualités de Magnavolt, un antivol dernier cri qui transforme le siège conducteur en véritable chaise électrique pour qui aura eu l’imp(r)udence de s’asseoir derrière le volant sans que personne ne l’y ait invité. C’est garanti sans nuisances sonores pour le voisinage et ça ne décharge pas la batterie. Une sacrée affaire ! Le Détroit de Irvin Kershner ne diffère guère de celui de Paul Verhoeven. Les rues sont toujours aussi peu sûres et les gens tout aussi violents. L’OCP entretient sciemment le chaos ambiant en se montrant inflexible face aux revendications des policiers grévistes. Les ambitions du président de l’OCP n’ont pas beaucoup changé en trois ans. Il souhaite toujours chapeauter les travaux de Delta city, le nouveau Détroit, tout en se posant comme l’homme qui sera venu à bout de la criminalité. Loin d’être échaudé par l’épisode ED 209/Dick Jones, il alloue les moyens nécessaires à son secteur scientifique pour qu’il aboutisse à la création d’un Robocop 2, plus puissant et surtout plus docile que la première mouture. Et cette fois, il ne sera plus question d’en élaborer un exemplaire unique mais bel et bien d’en produire à la chaîne, meilleur moyen de rentabiliser les sommes investies et, à terme, de réduire de façon drastique les effectifs d’une police dépassée et trop encline aux mouvements sociaux. Le président de l’OCP vise tout bonnement le poste de maire, histoire d’officialiser sa mainmise sur Détroit.
En s’intéressant davantage aux arcanes de l’OCP et en développant quelque peu le personnage du président de l’OCP, dont on ne connaîtra jamais le nom au profit de son sobriquet « le vieux », Irvin Kershner accentue l’aspect politique de son film par rapport à son modèle. « Le vieux » se lance dans une guerre ouverte contre le maire actuel, bien décidé à lui faire mettre un genou à terre. Rien de plus facile pour lui qui détient un capital colossal lui permettant toutes les largesses monnayant de lourds intérêts. Pris à la gorge, le maire de Détroit n’a eu d’autre choix que de lui emprunter de l’argent pour assainir les finances de la ville. Une somme exorbitante dont le remboursement lui est impossible. Image pathétique que celle de ce maire qui s’accroche coûte que coûte au pouvoir, quitte pour cela à s’acoquiner avec les pires crapules au mépris de toute déontologie. Il faut le voir organiser un « Detroit-thon » pour recueillir la somme nécessaire au remboursement de sa dette pour le croire. Et je ne parle même pas de ce violoniste contorsionniste jouant le “Born to be wild” des Steppenwolf afin d’encourager des dons qui ne viennent que très parcimonieusement. Et pourtant, le personnage du maire apparaît comme le plus sympathique dans cet océan d’hypocrisie, de coups bas et d’arrivisme. A côté des cadres de l’OCP, le maire n’est qu’un gentil garnement. L’entourage proche du Vieux ne se compose que d’individus qui ont fait du profit leur maître mot, et de l’absence de fierté leur compagne de tous les instants. Ils boivent les paroles de leur patron et ne se privent jamais de lui servir la soupe appropriée en sa présence. Mais, dans son dos, ils se tirent tous allégrement dans les pattes afin d’être le seul à être dans ses bonnes grâces. Le Docteur Faxx jouit d’un avantage certain sur les autres puisqu’en sa qualité de femme, elle ne laisse pas insensible le vieil homme et ne se fait pas prier pour coucher avec lui dans le but d’obtenir la direction du projet Robocop 2. Elle perpétue cette fameuse tradition de la promotion canapé, celle qui veut que pour qu’une femme réussisse, elle soit obligée de jouer avec son corps. Les Robocop continue de véhiculer l’image machiste de notre société, et ce n’est pas l’ornementale Anne Lewis qui dira le contraire (qu’il semble loin pour Nancy Allen, le temps béni de sa collaboration fructueuse avec Brian De Palma !). A l’instar du film de Verhoeven, les vrais méchants de l’histoire ne se trouvent pas dans la rue (ils n’en sont finalement que les jouets) mais dans les bureaux cossus de l’OCP. Grâce à leur toute-puissance et à leur ribambelle d’avocats, ils jouissent d’une impunité détestable et contre laquelle personne ne peut rien, même pas Robocop qui se contente d’une sentence en forme de calembour sur laquelle se clôt le film.
Robocop justement, qu’advient-il de lui dans cette seconde mission après qu’il se soit accepté tel qu’il est devenu ? Et bien pas grand-chose, et c’est le gros point noir du film. Suite oblige, il accomplit des actes encore plus extraordinaires qu’à ses débuts. Sa voiture explose et valdingue en tous sens à plusieurs reprises sous les roquettes d’un bandit, et lui en sort frais comme un gardon, l’armure plus rutilante que jamais. Il se permet aussi de rouler en Harley Davidson et de se projeter dans les airs. Il bénéficie d’une souplesse insoupçonnée compte tenu de ses mouvements saccadés. Ce qui était de l’ordre de l’interprétation dans le premier film devient ici évident : Robocop ressemble vraiment à un héros de comic book, et la présence de Frank Miller au scénario n’est pas étrangère à l’affaire. Certes, ses tourments issus du premier film ne sont pas oubliés mais se retrouvent confinés aux premières minutes de l’intrigue, pour un résultat guère convaincant. En gros, pour peu qu’il admette devant son ex-épouse qu’il est bien Alex Murphy, celle-ci serait prête à revivre avec lui. Irvin Kershner le dit lui-même, il a éprouvé beaucoup de difficultés pour rendre Robocop plus humain, alors qu’il considère ce personnage comme très limité. Faire intervenir sa femme est la seule idée qu’il a trouvé, ce qui en dit long sur ses difficultés à appréhender Robocop. En l’état, cette scène marque le réel point de départ du film avec un Robocop tout entier voué à sa tâche et à sa mission d’éradication du nuke. Il fonce tête baissée, ne se souciant pas des problèmes affectant ses collègues policiers, et fait montre d’une naïveté confondante au moment de se rendre dans la cachette de Caïn. Une cachette qui rappelle furieusement celle de Clarence Boddicker et, par voie de conséquence, le premier film jusque dans la conclusion de la scène, où Robocop en ressortira sérieusement meurtri. Toutefois, là où chez Paul Verhoeven Murphy prenait à ce moment précis une autre dimension en s’attirant les faveurs du public, chez Irvin Kershner, cette scène prend valeur de simple péripétie, juste un petit contretemps sur le parcours de Robocop. On se sent alors plus spectateur que réellement impliqué par ce film volontairement orienté vers le spectaculaire et ce combat titanesque entre les deux robots sur lequel le projet s’est vendu. Robocop n’est plus qu’un jouet. Dans la fiction, entre les mains de l’OCP qui n’hésite pas à le reprogrammer à sa convenance lors d’une scène ouvertement satirique qui singe ce qu’on peut imaginer d’une réunion du comité de censure américain pointant du doigt tout ce qui peut choquer dans un tel personnage (sa violence en premier lieu) et proposant tout un tas d’idées pour le rendre plus inoffensif et plus conforme à la bonne morale (poli, préférant la discussion au coup de poing, soucieux du respect de l’environnement…). Et dans la réalité avec tout le merchandising qui a suivi la sortie du premier film.
Si Robocop 2 reste un film tout à fait honorable doublé d’un spectacle de bonne facture (maestria des effets spéciaux qui, par leur conception, rendent un hommage appuyé au maître Ray Harryhausen), Irvin Kershner en a néanmoins perdu son combat, son film cédant trop à la déshumanisation inhérente à la majorité des blockbusters. Caïn ne prend une réelle dimension (de même que son affrontement avec Robocop) qu’à partir du moment où il devient Robocop 2, attestant de la supériorité de la machine sur l’homme, là où dans le premier film, Clarence Boddicker s’avérait bien plus dangereux que ED 209. Nous sommes loin de la catastrophe à venir (Robocop 3 puis la série qui en découle) mais aussi à des coudées du film de Verhoeven qui reste comme l’un des rares exemples de blockbuster profondément personnel.