Révélations – Michael Mann
The Insider. 1999Origine : États-Unis
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Après avoir connu à plusieurs reprises de cuisants échecs publics avec ses films, Michael Mann voit enfin son talent reconnu et devient une valeur sûre pour les producteurs après avoir tourné Le Dernier des Mohicans puis Heat, qui attirent tous deux les spectateurs en masse. C’est en préparant le tournage de Heat que Michael Mann rencontre Lowell Bergman, producteur de l’émission 60 Minutes sur CBS. Mann est alors intéressé par l’adaptation d’un fait réel concernant un important trafic d’armes. Mais le projet ne se fera jamais, le réalisateur étant trop occupé par le tournage de son film. Entre temps la presse New Yorkaise se fait l’écho d’une affaire qui deviendra rapidement un scandale : Jeffrey Wigand, ancien vice-président du secteur recherche et développement de la Brown & Williamson Tobacco Corporation, s’associe avec Lowell Bergman pour témoigner contre Brown & Williamson et dénoncer leurs méthodes. Mais, les deux hommes sont victimes de pressions de la part de l’industrie pour empêcher la diffusion de l’émission contenant l’interview de Wigand. L’émission finit par être diffusée le 4 février 1996, suite à quoi l’entreprise Brown & Williamson attaque Wigand en justice avant de finalement abandonner le procès suite à une entente entre les procureurs généraux d’une quarantaine d’États américains et l’industrie du tabac.
Michael Mann achète les droits de l’article sur l’affaire paru dans Vanity fair et s’attèle à l’écriture d’un scénario en compagnie de Eric Roth (auteur entre autres du scénario de Forrest Gump et qui retravaillera avec Mann pour Ali). Il rappelle Al Pacino pour incarner Lowell Bergman et déniche Russel Crowe, révélé par le rôle de Bud White dans L.A. confidential mais contacte aussi quelques personnes pour qu’elles jouent leur propre rôle, comme c’est le cas par exemple pour Michael Moore (pas le cinéaste, mais le District Attorney du Mississipi).
Ainsi, le film suit et explicite de manière relativement fidèle l’affaire qui a vu s’opposer Jeffrey Wigand et Lowell Bergman aux industriels du tabac. Mais malgré la réutilisation des noms dans le film, la présence de personnes ayant eu un lien avec l’affaire au casting et le statut « d’histoire vraie » du scénario, Mann délaisse volontairement tout l’aspect documentaire qu’on aurait pu imaginer. Et finalement Révélations fait bien plus que de simplement relater des faits : il explore tout un panel d’émotions, donnant au film une profondeur et un impact particulièrement forts. Le véritable intérêt ne résidant pas tellement dans l’histoire qu’il développe mais dans les êtres humains qui en sont les acteurs.
Dès lors, le film ne raconte pas tant l’histoire d’un journaliste et d’un scientifique qui se battent contre l’entreprise Brown & Williamson en particulier que celle de deux hommes qui s’élèvent contre les intérêts de l’entreprise la plus capitaliste qui soit. De la même manière que Les Hommes du président partait d’un scandale très particulier pour nous livrer un message bien plus général sur le rôle que doivent jouer les médias dans la dénonciation de toute pratique condamnable motivée par un intérêt politique, Révélations opte pour la forme du thriller journalistique afin de dresser le portrait désabusé d’une société gouvernée non plus par la politique, mais par l’argent. Un monde dans lequel l’individu ne fait plus le poids face à l’argent et dans lequel les bénéfices des industriels du tabac passent avant toute question de santé publique. Et plutôt que de s’intéresser aux propriétés cancérigènes de la cigarette en elle même, le film évite l’écueil moralisateur en condamnant avant tout les pratiques mises en œuvre par Brown & Williamson pour étouffer l’affaire et empêcher à tout prix la diffusion du témoignage de Jeffrey Wigand. Cela va de l’intimidation à l’attaque en justice en passant par une large campagne de diffamation visant à décrédibiliser Wigand. Pour protéger ses intérêts, l’industrie va jusqu’à détruire la vie de l’individu qui a tenté de se dresser contre elle. Elle apparaît presque comme une mafia, sans visage et présente partout, toute puissante grâce à ses millions de dollars. Michael Mann insiste habilement sur ce sentiment de paranoïa naissante, qu’il parvient à faire ressentir au spectateur via de très belles séquences de suspense. En outre Wigand nous apparaît comme minuscule, incarné par un Russel Crowe bedonnant et au regard apeuré, impuissant face à un ennemi difficilement identifiable et gigantesque. Engagé dans un combat déloyal il nous semble déjà condamné.
Ainsi le thème du film est surtout celui du combat de l’individu contre un système capitaliste qui fait passer l’argent avant tout. Mais il traite aussi des médias, de l’entreprise, de la justice, de la famille, etc… et finalement c’est un portrait assez complet du fonctionnement (ou des dysfonctionnements?) de nos sociétés occidentales que le film propose. Un portait qui n’est pas beau à voir et qui fait réfléchir. Et paradoxalement, si Révélations parvient ainsi à questionner le spectateur et à l’amener à réfléchir, c’est parce qu’il l’implique émotionnellement dans chaque scène. Il donne ainsi à son message un poids concret en permettant au spectateur de s’identifier aux personnages, et une portée universelle en mettant l’humain au centre de toutes les questions.
Cette implication émotionnelle passe inévitablement par une grande dramatisation de l’intrigue qui comporte alors des scènes de suspense, des passages poignants, émouvants, etc. Il s’agit de rendre le film vivant et de faire passer toutes ces émotions par une mise en images des sentiments des personnages. Et en fin de compte c’est sur ce point précis que le film acquiert un statut de réussite incontestable. D’une part parce que les émotions servent à donner à la description de la société que propose le film un aspect particulièrement sombre, plutôt que de distraire le spectateur, et d’autre part parce que Michael Mann se révèle être un véritable artiste parvenant à retranscrire via ses images des choses aussi immatérielles que les émotions de ses personnages. Pour cela il déploie avec talent tout l’attirail mis à sa disposition par le langage cinématographique, n’hésitant pas parfois à transgresser avec efficacité des règles parmi les plus fondamentales du cinéma. Comme par exemple lors de ces scènes de dialogues, filmées en champ-contrechamp, où le réalisateur transgresse à plusieurs reprises la loi des 180° (c’est à dire le fait que la caméra doit toujours se trouver du même coté de la ligne imaginaire joignant les deux personnages qui discutent, sous peine d’empêcher le spectateur de se représenter la scène dans l’espace) de manière à signifier de façon quasi invisible que le rapport de force entre les deux personnages qui discutent à changé ! De la même manière, Michael Mann joue avec l’échelle des plans, avec ses cadrages et avec la profondeur de champ pour à chaque fois figurer les sentiments du personnage filmé. À ces procédés de mise en scènes que le spectateur ne perçoit pas, mais qu’il ressent, s’ajoutent des méthodes plus identifiables qui reposent sur le jeu des acteurs et sur l’utilisation de la musique. Enfin, la couleur émotionnelle de chaque scène est aussi figurée par la beauté frappante des images du film. Dante Spinotti, directeur de la photo sur tous les films de Michael Mann depuis le splendide Manhunter (à l’exception toutefois de L.A. Takedown que Mann tourne pour la télévision en 89) fournit encore une fois un travail remarquable et donne aux images filmées par Michael Mann cette beauté froide qui convient si bien aux sujets traités par le réalisateur.
Ainsi, en choisissant de traiter son sujet presque comme une histoire de fiction très dramatisée et en s’éloignant au maximum d’une conception documentaire du cinéma, Michael Mann parvient à faire de Révélations un très grand film et une référence en matière de thriller qui mérite de devenir un classique du genre et un modèle à suivre.