Rencontres du troisième type – Steven Spielberg
Close Encounters of the Third Kind. 1977.Origine : États-UnisGenre : Science-fictionRéalisation : Steven SpielbergAvec : Richard Dreyfuss, Melinda Dillon, François Truffaut, Teri Garr… |
Partout à travers le monde, d’étranges phénomènes venus du ciel sont constatés. Ici, ce sont des avions de la Deuxième Guerre mondiale portés disparus qui réapparaissent. Là ce sont des notes de musique reprises en cœur par des autochtones. Et encore ailleurs, plus exactement dans l’Indiana, ce sont des lumières qui sont signalées et qui ont d’étranges répercutions sur les témoins. Roy Neary (Richard Dreyfuss) est de ceux-là, et il se prend alors de folie… Il lui faut absolument reconstituer l’image mentale d’une montagne qui lui a visiblement été mise dans le crâne par le passage des OVNI, quitte à ce que se soit dans son salon à l’aide de divers végétaux volés dans le voisinage. Ce qui risque fort de perturber sa vie familiale, d’autant plus qu’il est désormais au chômage. Quoiqu’à tout prendre, il reste mieux loti que Jillian Guiler (Melinda Dillon), autre témoin, qui pour sa part a carrément reçu la visite des entités mystérieuses venues kidnapper son fils. Elle aussi est obsédée par la montagne. S’étant croisés la fameuse nuit des observations, Roy et Jillian se retrouveront après avoir remarqué à la télévision que leur lubie correspond à un véritable lieu, situé dans le Wyoming. Une catastrophe industrielle s’y serait déroulée. A moins que ce ne soit l’excuse des autorités pour écarter les témoins gênants de l’endroit désigné par la musique entendue en Inde, qui n’était en fait qu’un code pour poser un rendez-vous s’annonçant historique.
Depuis son enfance, Steven Spielberg est fasciné par l’espace et par le plus grand mystère qu’il contient : y a-t-il une vie extraterrestre ? A 18 ans, alors qu’il n’était encore qu’un amateur autofinancé par son argent de poche, le cinéaste réalisait déjà un film de plus de deux heures sur le sujet (avec pour titre Firelight, aujourd’hui en partie perdu, et qui n’a jamais été destiné à être projeté à une autre échelle que celle du quartier). Devenu professionnel, il n’attendait que le moment opportun pour s’y remettre. Ça aurait dû être avant Les Dents de la mer, mais ce fut après, ce dont Spielberg ne put que se féliciter. Tout auréolé d’un triomphe, il bénéficia alors d’une grande liberté pour entreprendre ce projet qui lui était cher. Il profita de cette carte blanche à tous les stades de la production, usant ainsi de nombreux scénaristes, se permettant le luxe de dépasser (et de loin) le budget et la durée de tournage qui lui étaient impartis. On ne lésine pas avec un projet aussi personnel, et Spielberg de s’attacher également les services de J. Allen Hynek, astronome et ufologue de renom, ex collaborateur de l’U.S. Air Force pour laquelle il participa aux enquêtes sur les OVNI et à qui l’on doit tout simplement les classifications des rencontres d’un autre type. La troisième étant bien entendue la plus poussée de toute. A l’aune du titre Rencontres du troisième type, caractérisé par une caution scientifique, on peut d’ores et déjà deviner que la démarche de Spielberg n’est pas de nous placer face à une nouvelle invasion extra-terrestre, et encore moins de nous faire admirer les panoramas de planètes fictives peuplées de créatures laides comme des pangolins (La Guerre des étoiles est sorti l’été précédent Rencontres du troisième type). Elle est de nous faire assister à la résolution imminente de la question relative à l’existence des extra-terrestre. A ce titre, Spielberg œuvre dans un suspense qu’il teinte allégrement de merveilleux et de frisson, les deux faces d’une même pièce, celle de la réponse tant attendue à ce qui est pour le réalisateur un des plus grand mystère de l’univers. La promesse de la découverte s’orne d’une solennité quasi mystique, équivalente à certains grands évènements mentionnés dans la bible (les dix commandements, dont la version cinématographique est diffusée à un moment au domicile de Neary).
A ce titre, les extra-terrestres, même lorsqu’ils ne sont encore que des OVNI sont clairement vus comme des entités supérieures aux hommes. Peut-être même plus que le fait qu’ils existent, c’est d’imaginer leur supériorité à tous les niveaux qui motive Spielberg en tant que cinéaste. Les extra-terrestres se doivent de se montrer au niveau des attentes qu’il y a toujours eu autour d’eux et ne peuvent se contenter d’être des bonshommes verts dans une soucoupe volante en forme d’enjoliveur. Il faut du majestueux, de l’imposant, de quoi laisser les personnages bouches bées, en pleine féérie. C’est donc un énorme défi d’effets visuels et sonores qui ne peut se comparer qu’au 2001 de Kubrick, à ceci près que ce dernier ne voulait pas regarder son mystère spatial avec un regard d’enfant émerveillé, mais bien plonger son spectateur dans des nouveaux abîmes. La vision enfantine est la vision choisie par Spielberg, qui ne peut imaginer qu’un tel évènement tourne au tragique et qui au terme du film a apporté une réponse claire, mais laissant tout de même encore place à l’imaginaire (ainsi, on ne saura rien de la vie des extra-terrestres). Sa vision est quelque part semblable à celle du gamin de Jillian, attiré par les visiteurs avant même que ceux-ci ne soient officiellement amicaux (notons qu’il était alors rarissime que les extra-terrestres se montrent amicaux et que Spielberg en joue pour faire naître la peur). Au vu de la réussite de son entreprise, on ne saurait lui reprocher de ne laisser aucune place aux interprétations personnelles. S’appuyant sur les effets visuels de Douglas Trumbull, de la désormais célèbre musique minimaliste de John Williams et dans une moindre mesure sur les créatures de Carlo Rambaldi, Spielberg organise ainsi quelques manifestations lumineuses virevoltantes avant d’enfoncer le clou dans un climax mémorable, pensé pour sa théâtralité dans un décor choisi et conçu pour favoriser une rencontre du troisième type cérémonieuse (et encore, cet adjectif est un euphémisme). Le colossal vaisseau extra-terrestre, bardé de lumières clignotantes réfléchissant une prise de contact musicale est devenu à juste titre une image classique du cinéma américain, et à ma connaissance le même cinéma n’a depuis jamais réussi à montrer ce type d’engin (ou même une “rencontre du troisième type”) sous un jour aussi décisif. Même les personnages en sont écrasés et perdent leur importance… Mais en ont ils réellement eu ?
C’est bien là le triste constat que l’on peut faire de Rencontres du troisième type : si Spielberg excelle à retranscrire et à faire partager ses sentiments face à un évènement qu’il s’évertue à magnifier, il ne parvient pas à les amener sans accroc. Pour assister aux prémices du climax, il se repose sur des personnages qui comme trop souvent chez lui pêchent par manque de réalisme. Que ce soit Jillian et la séparation d’avec son fils ou Roy et sa folie qui le coupe de sa famille (et le met au chômage, pour grossir encore un peu le trait), les deux sont franchement difficiles à prendre au sérieux malgré leurs drames personnels. Surtout Roy. Lui faire construire une montagne dans le salon pour montrer qu’il est obsédé et qu’il a été mentalement imprégné par ce qu’il a vu n’aide franchement pas à le rendre attachant, ni même comique. A vrai dire, on dirait un hippie new wave sur le retour, et je me demande encore ce que l’on est censé ressentir pour un tel personnage. Le voir trépigner de la sorte (seul ou avec ses compagnons new wave) ne sert en tout cas pas à intensifier davantage l’attente ressentie face à la promesse d’une rencontre prochaine. Pour cela, Spielberg aurait dû faire plus sobre, en faire davantage un rêveur qu’un illuminé. Tout au plus peut-il permettre de représenter la société civile dans un climax où figurent surtout des scientifiques ou des militaires. “Je voulais faire de Rencontres du troisième type une histoire très accessible au sujet d’un homme ordinaire confronté à une vision qui bouleverse sa vie” a déclaré Spielberg. Très accessible, cette histoire l’est effectivement, au point que cette citation suffit presque à résumer toute la destinée du personnage. Presque, car Roy permet aussi de faire ressortir les germes de certains thèmes qui seront (sur)développés et deviendront à la mode vingt ans plus tard avec X-Files, ceux de la théorie du complot. L’armée et la science se réservent ainsi la primauté de la rencontre et écartent les simples citoyens, quand bien même ceux-ci seraient concernés au premier plan (Jillian et son fils). Cela dit, Spielberg ne pousse pas très loin en ce sens, il ne s’agit en gros que d’un simple moyen de réserver quelques péripéties au personnage principal avant le final, et dédouane même les scientifique de tous les torts en faisant de leur chef (joué par François Truffaut) un homme sympathique et clairvoyant, sachant voir au-delà de sa seule compétence professionnelle et lui aussi fasciné par la portée de ces évènements dans l’histoire du monde. Peut-être représente-t-il Hynek, l’ufologue consultant, ancien sceptique devenu croyant, qui au moment du film avait rompu les liens avec l’armée pour travailler en solitaire.
L’objectif principal visé par Spielberg est largement rempli : Rencontres du troisième type donne libre cours au rêve sans l’entacher de considérations trop galvaudées par le cinéma de science-fiction qui en auraient réduit l’impact. Sur ce point, c’est une réussite totale. En revanche, on pourra reprocher au réalisateur de s’être à ce point investi dans ce sujet principal qu’il a traité le reste par dessus la jambe, notamment au niveau scénaristique. En un sens, voilà un film qui condense bien des caractéristiques de la filmographie de Spielberg : un réalisateur au talent certain, mais parfois aveuglé par la finalité de ses productions. Grossir le trait sera par la suite un défaut récurrent de ses œuvres, ce qui amènera certains ratés de grande ampleur lorsqu’il se piquera de réaliser des films centrés sur des histoires purement humaines, et plus particulièrement familiales (en passant, signalons qu’il a déclaré que s’il avait déjà été père à l’époque, il n’aurait pas fait rompre les liens entre Roy et sa famille). Non seulement Rencontres du troisième type symbolise au mieux le cinéma de Spielberg, mais l’énorme succès qu’il rencontra l’a en outre consacré comme le nouvel enfant chéri (gâté ?) d’Hollywood. Il s’agit certainement du point décisif dans sa carrière, celui à partir duquel il allait être l’un des rares réalisateurs à bénéficier d’une liberté quasi totale. Ce qu’il doit autant à son sens inné du spectacle et des attentes du public qu’au consensus de vues qu’il entretient avec les studios.