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Règlement de comptes – Fritz Lang

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The Big Heat. 1953

Origine : Etats-Unis 
Genre : Film noir 
Réalisation : Fritz Lang 
Avec : Glenn Ford, Gloria Grahame, Lee Marvin, Jocelyn Brando…

Le sergent Dave Bannion, de la brigade criminelle, enquête sur le suicide de son collègue Tom Duncan. Cette mort lui paraît très vite suspecte, à la suite de quoi ses supérieurs lui retirent l’affaire. Déterminé à aller jusqu’au bout, il poursuit malgré tout ses investigations et découvre que Duncan s’était laissé soudoyer par Mike Lagana, grand patron occulte de l’industrie du crime, qui a à sa solde tous les fonctionnaires véreux.
Forçant la porte de la luxueuse résidence de Lagana, Bannion l’accuse ouvertement et lui montre qu’il n’est pas dupe de sa façade d’homme d’affaires prospère. La riposte ne se fait pas attendre : la voiture de Bannion est piégée, mais c’est sa femme Katie qui est tuée par l’explosion. Ivre de haine, Bannion démissionne de la police afin d’avoir les mains plus libres pour faire justice.
Rencontrant dans un bar Vince Stone, brute sadique et homme de main de Lagana, il le provoque délibérément. Stone se laisse jeter dehors. Sa maîtresse Debbie, est écœurée par sa lâcheté. Dépitée d’être ainsi abandonnée, elle se raccroche à Bannion et le suit jusqu’à son hôtel. Mais l’ex-policier repousse ses avances. Stone est fou de rage lorsque Debbie raconte son escapade et lui lance un pot de café bouillant en plein visage. Défigurée, elle se réfugie auprès de Bannion et elle lui révèle tout ce qu’elle sait du meurtre de sa femme et des activités de Stone et de Lagana. De plus en plus attirée par cet homme amer et solitaire, elle va encore l’aider à sa façon en tuant la veuve de Tom Duncan, dont Lagana avait acheté le silence…

En 1953, Jerry Wald, producteur exécutif à la Columbia, remarque une série de récits publiés par le Saturday Evening Post et consacrés au gangstérisme dans les grandes villes américaines. Le sujet passionne les lecteurs, à tel point que le magazine reçoit des milliers de lettres et que l’auteur, William P. McGivern, le reprend sous la forme de roman. Wald pense tenir là une excellente idée de scénario et il presse Fritz Lang pour en assurer la réalisation. Après avoir lu le texte de McGivern, le grand metteur en scène donne son accord : ainsi naîtra Règlement de comptes, dont la production est confiée à Robert Arthur.

Règlement de comptes, qui reste l’une des plus magistrales réussites de la période américaine de Fritz Lang, peut aussi être considéré comme le parfait archétype du film policier des années 50, s’apparentant encore à la tradition du film noir par son atmosphère oppressante, mais situé dans un contexte sociologique et politique bien caractéristique. A cette époque, en effet, la corruption politique et administrative et l’implantation du milieu criminel dans les structures économiques traditionnelles sont des thèmes fréquemment abordés, tant dans la presse qu’au cinéma. La dénonciation de cette puissance occulte de la pègre trouve alors un écho favorable chez un public qui a été sensibilisé par les révélations du comité Kefauver à propos des innombrables activités du “syndicat du crime” et des collusions existant, à l’échelon national, entre le monde des affaires et le gangstérisme organisé. L’opinion publique est profondément frappée par les sinistres méthodes de la “Murder Incorporated”, qui apparaissent dans des films comme La Femme à abattre (The Enforcer, 1951) de Raoul Walsh, Racket (The Racket, 1951) de John Cromwell, Au royaume des crapules (Hoodlum Empire, 1953) de Joseph Kane, ou Le Témoin à abattre (Illegal, 1955) de Lewis Allen.

Règlement de comptes offre ainsi le reflet d’un univers urbain à la quiétude trompeuse, dominé en réalité par la vénalité et la volonté de puissance, au sein duquel chaque destin individuel prend une valeur exemplaire. Mike Lagana apparaît comme le type même du gangster nouveau style, avide de promotion sociale : petite crapule élevée dans le ruisseau du quartier italien, il s’est hissé au sommet de la hiérarchie, assouvissant son désir effréné de respectabilité dans la personne de ses enfants, qui sont reçus dans la meilleure société et qui ignorent bien sûr l’origine de sa fortune… Sans doute l’honorabilité de Mike Lagana n’est-elle qu’une façade, qui vole en éclats dès qu’un élément perturbateur entre en jeu, mais cette façade a été édifiée avec la complicité tacite, sinon le concours, de tous ses concitoyens. A travers le regard impitoyable de Fritz Lang, ce n’est pas seulement le monde du crime qui est jugé, mais les fondements mêmes d’une société qui a choisi pour valeur suprême l’argent.
Dans ce monde de mensonges et de faux-semblants, c’est un évènement fortuit et imprévisible qui va déclencher la crise apocalyptique, comme le grain de sable qui bloque le rouages d’une immense machination : peu importe que Tom Duncan, un policier faible, mais pas assez cynique pour assumer ses actes, se soit suicidé ou ait été assassiné. C’est sa mort qui va entraîner la descente aux enfers de son collègue Dave Bannion. En faisant simplement son métier, Bannion met le doigt dans un engrenage qui va le broyer, détruire son foyer et le transformer en une bête sauvage assoiffée de meurtre et de vengeance, qui fait siennes les lois de ceux qu’il traque.

Une histoire de haine, de meurtre et de vengeance, tel était déjà le refrain de L’Ange des maudits (Rancho Notorious, 1951), et tels sont en effet les thèmes de prédilection de Lang, cinéaste essentiellement tragique, qui écrivait en 1947 : “Pourquoi suis-je intéressé par le meurtre ? Le meurtre surgit du plus noir du cœur humain ; il naît de désirs impérieux dont l’accomplissement, comme de longues années de civilisation nous l’ont prouvé, ne procure que malheur et frustration. Néanmoins, et quoique la civilisation nous ait apprivoisés et contienne nos désirs destructeurs au nom des intérêts de la société, il existe en nous assez de sauvagerie pour nous identifier momentanément avec le hors-la-loi qui défie le monde et s’exalte dans la cruauté. […] Est-ce donc vraiment surprenant que je m’intéresse au meurtre ?
Inutile de préciser qu’au-delà de transposer à merveille ces propos, Règlement de comptes demeure autant un chef d’œuvre qu’une œuvre d’une modernité absolue au vu de l’évolution sociétale qui s’est opérée depuis et qui ne cesse d’aller dans un sens unilatéral.

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