Primer – Shane Carruth
Primer. 2004Origine : Etats-Unis
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Dans un garage de banlieue, quatre ingénieurs passent leur temps libre à travailler sur des brevets qu’ils espèrent commercialiser. Parmi eux, Abe et Aaron développent une machine, appelée “la boîte”, capable de réduire la masse des objets. Mais alors qu’ils la testent, ils découvrent que l’échelle temporelle n’est pas la même à l’intérieur de la boîte qu’à l’extérieur. Grisés par cette découverte, ils construisent un modèle suffisamment grand pour pouvoir y entrer eux mêmes et utilisent les propriétés de “la boîte” pour acheter des actions dont il savent qu’elles subiront une forte hausse. Mais rapidement ils se sentiront dépassé par ce qui leur arrive…
Étrange film de science fiction, Primer est une œuvre à nulle autre pareille, sortie tout droit du cerveau du jeune Shane Carruth. Diplômé en mathématiques, Shane Carruth travaille d’abord pour des sociétés d’ingénierie avant de se tourner vers l’écriture de nouvelles puis de se lancer dans la réalisation de films. Ignorant tout de la mise en scène et disposant d’une culture cinématographique plutôt limitée, le jeune ingénieur passe d’abord son temps à réécrire plusieurs fois son scénario afin de le peaufiner au maximum, puis se familiarise avec l’outillage technologique dont il aura besoin en interrogeant les maisons de production sur le rôle de chaque caméra. Soucieux de donner une patine particulière à son image, il teste différents éclairages et étudie leur rendu sur la pellicule au moyen de l’appareil photo qui lui sert également à faire un story board. Ayant une idée très précise de ce qu’il souhaite obtenir à l’écran, Shane Carruth utilise son appareil photo pour travailler la composition et l’éclairage de chaque plan.
Enfin, avec seulement 7000 dollars en poche et une caméra 16mm, il débute le tournage de son film. C’est ainsi qu’il occupe le poste de scénariste, de réalisateur, de directeur de la photo et d’acteur. Il s’occupera également du montage et de la musique du film. Le manque de moyens contraint le réalisateur à ne se contenter que d’une seule prise pour chaque plan. Mais cela semble être le seul et unique sacrifice effectué pour Primer, tant l’absence d’argent est invisible à l’écran. En effet, l’image du film est très belle et témoigne d’un soin évident. Les cadrages sont très étudiés et les éclairages donnent aux images un aspect à la fois très moderne et particulièrement envoûtant. La mise en scène reste cependant très sobre, presque effacée, mais c’est un atout pour le film, qui y gagne en réalisme. D’autre part le scénario, plutôt complexe voire hermétique, aurait sans doute souffert d’une mise en scène trop tape à l’œil.
Primer se distingue des autres films de science-fiction par son coté anti-spectaculaire et très réaliste. Ce qui est plutôt rafraîchissant au milieu de toutes ces œuvres qui versent dans la surenchère gratuite. Le réalisme du film est appuyé par un discours scientifique assez opaque, qui donne parfois au film une dimension ésotérique qui risque de rebuter certains spectateurs. En outre, la narration du film est assez difficile à suivre, elle revêt pourtant une importance capitale puisque c’est par elle que ce film de science-fiction se transforme en un thriller particulièrement malin et inquiétant. Le scénario va à l’essentiel et évite toute redondance didactique. De même, il se détache assez rapidement du point de vue des personnages ainsi que du temps de la narration. C’est à dire que les dialogues, et la bande son plus généralement ne colle pas toujours avec les images, le réalisateur usant assez habilement de ce procédé cinématographique (généralement associé au flash-back, au rêve et à toute autre représentation de l’irréel au cinéma) pour insinuer un doute dans l’esprit du spectateur. Ainsi, à l’instar des personnages du film, on ressent très vite une impression assez confuse et étrange qui nous amène à douter de ce que l’on voit. L’utilisation de la voix off renforce aussi ce trouble de la perception de la temporalité. Ainsi que le montage du film : privilégiant un recours fréquent à l’ellipse, le réalisateur n’explique pas grand chose, et laisse au spectateur le soin de faire lui même le lien entre les différentes scènes qu’il voit. Le film paraît ainsi très obscur par moments et sans doute plusieurs visions sont nécessaires afin de parfaitement appréhender la quantité astronomique d’idées que Shane Carruth a injecté dans son film. Primer est finalement très dense, sa profusion d’idées excitantes et sa structure originale en font une œuvre très stimulante pour les yeux et l’esprit.
Primer est un film très particulier, qui allie un scénario d’une densité et d’une complexité parfois difficilement supportables à une utilisation intelligente et originale des techniques cinématographiques, qui s’accompagne d’une ambition esthétique très marquée. Un réel travail a été fourni sur tous les plans et la très forte implication de Shane Carruth se voit clairement à l’écran. Un film qui sort des sentiers battus et qui ravira tout les cinéphiles un peu curieux de découvrir quelque chose de fondamentalement différent.