Phénomènes – M. Night Shyamalan
The Happening. 2008.Origine : États-Unis
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Au sortir de deux films aux destins confidentiels, M. Night Shyamalan réussit le coup parfait au crépuscule des années 90 avec Le Sixième sens, petit film d’angoisse dont l’épilogue bluffe tout le monde, ou presque. Fort de cette réussite et du soutien indéfectible de Buenavista, filiale plus « adulte » de Disney, il enchaîne les succès autant publics que critiques jusqu’au Village, film qui marque un début de rupture entre le cinéaste et ses aficionados de la première heure. Cette rupture affective précède celle plus professionnelle entre Shyamalan et Buenavista, les membres de la maison de production refusant tout net de financer son nouveau projet La Jeune fille de l’eau, dont le côté mièvre se marie fort mal avec les piques aussi haineuses que ridicules à l’égard des critiques de cinéma qu’un Shyamalan revanchard distille tout au long de son film. C’est finalement la Warner qui héritera du bébé, entérinant l’émancipation d’un cinéaste vis-à-vis de la maison mère qui l’a vu naître. C’est le flot de bile tari et l’esprit serein à l’idée de pouvoir désormais travailler avec le studio qui correspond le mieux au projet en cours que Shyamalan s’attelle à Phénomènes. Son dernier film en date fleure bon la série B, et par sa structure -à savoir un drame d’une grande envergure vécu de manière intimiste- rappelle La Guerre des mondes version Steven Spielberg. Cette fois-ci, M. Night Shyamalan choisit de ne pas ménager ses effets, nous plongeant directement dans le chaos.
Par une mâtinée tout ce qu’il y a de plus quelconque, New York devient subitement la proie d’une vague de suicides sans précédent. Un vent de panique souffle sur la population qui croit d’abord à une nouvelle attaque terroriste, avant de se rendre compte que cela est impossible vu l’ampleur du phénomène. En quelques heures, tout le nord-est des Etats-Unis est touché. La fuite s’organise en rang dispersé, chacun cherchant à quitter au plus vite la zone sinistrée sans que les autorités puissent réagir. Elliott et son épouse Alma font parties des fuyards. Responsables de Jess, la fille d’un ami à Elliott, ils tentent de survivre à cette menace aussi invisible qu’implacable, tout en réglant leurs problèmes de couple.
Jusqu’à présent, le fantastique chez Shyamalan se cantonnait, au plus large, à une communauté. Dans Phénomènes, le fantastique prend de l’ampleur et touche plusieurs millions d’individus. De par son propos et de par sa manière de le mettre en scène, on sent poindre une ébauche de radicalisation chez le cinéaste. Le point de départ du film étant des vagues de suicides, il prend logiquement le parti d’appréhender l’horreur de la situation de manière frontale, osant pour la première fois de sa carrière le recours à des scènes gores. Le résultat n’est pas toujours probant, donnant lieu à des scènes à tendance Z (l’homme dans la cage aux lions), à des scènes à l’efficacité réduite à néant par une mise en scène trop insistante (la première victime dans Central Park), ou à des scènes franchement réussies pour ce qu’elles impliquent de fatalisme et de renoncement (la scène du chantier). Le tout se trouve concentré dans la première partie du film, celle où les protagonistes ignorent encore devant quoi ils fuient. Pour nous autres spectateurs, M. Night Shyamalan parsème le début de son film d’indices qui ne laissent que peu de doute quant à l’origine de tout ce schmilblick. La profession de Elliott (professeur de sciences naturelles), le contenu de son cours (comment la disparition des abeilles aux Etats-Unis peut-elle s’expliquer ?) et le gros plan sur une citation de Albert Einstein écrite au tableau (« Lorsqu’il n’y aura plus aucune abeille sur la surface de la planète, alors l’humanité n’aura plus que quatre années à vivre ») constituent autant de preuves à charge contre la nature. Car le véritable but de Shyamalan est de nous alerter sur les conséquences que nos actes ont à l’encontre de mère nature. Tout film de genre qu’il soit, Phénomènes s’inscrit dans cette vague de films écologiques que des documentaires comme Une Vérité qui dérange ou La 11e heure – Le Dernier virage ont remis récemment au goût du jour. Si l’environnement intéresse finalement peu les hommes politiques au-delà de leurs ambitions personnelles, celui-ci tient à cœur de nombreux réalisateurs et autres vedettes du cinéma, qui se découvrent alors un penchant certain pour l’écologie. Les événements décrits dans le film de Shyamalan ont valeur d’avertissement quant à la menace qui plane au-dessus de nos têtes si tant est que nous poursuivions dans cette exploitation à outrance des richesses de la planète, sans jamais songer à les préserver. A force de ne penser qu’à nous, on en perd tout respect pour la nature et les multiples formes de vie qui la composent. Nous devenons les outils de notre propre destruction en acculant la nature à se comporter comme nous, de manière égoïste et prêt à tout tenter pour se maintenir en vie, quitte pour cela à réduire à néant toute menace éventuelle. En orchestrant toute cette litanie de suicides, M. Night Shyamalan donne corps de manière efficace à notre comportement irresponsable et autodestructeur. Quant aux émanations surnaturelles, on peut lui savoir gré d’avoir opté pour la simplicité. La nature et son pouvoir néfaste ne sont jamais personnalisés autrement que par le simple bruissement du vent sur la végétation environnante. Les personnages en viennent à s’effrayer d’un brin d’herbe qui s’agite, à enfin prendre en considération la végétation qui les entoure. Honnêtement, il est difficile de susciter la peur chez un public rompu à l’étalage de violence devant ces scènes au charme bucolique à l’écran, et pourtant porteur de mort intrinsèquement au film. On touche là l’un des gros points faibles de Phénomènes, à savoir qu’en dehors des quelques scènes chocs qui rythment le film, la peur brille par son absence. Le sentiment de menace permanente que Shyamalan a tenté d’insuffler à son récit devient de ce fait caduc. Et puis le traitement proprement honteux des principaux protagonistes instaure une distance malvenue qui n’aide pas à prendre tout ce qu’on voit au sérieux, tant le réalisateur lui-même semble prendre ses personnages de haut.
Qu’il ait voulu nous faire vivre ces événements tragiques par le petit bout de la lorgnette n’est pas dommageable en soi. Après tout, c’est un parti pris à la mode qui de Cloverfield à La Guerre des mondes (on y revient) a trouvé un écho chez bien des réalisateurs. Par contre, cela réclame la présence de personnages solides aussi bien sur le plan de l’interprétation que sur celui de l’écriture. Or, dans ce domaine, le bât blesse, et ce n’est pas peu dire. Elliott et Alma (l’insipidité de Wahlberg opposée à l’hébétude permanente de Zooey Deschanel) forment un couple sans enfant, mignon comme tout, mais sur lequel pèse le lourd poids des non-dits, source de bien des tensions. Comme si la mort qui se propage à vitesse grand V ne suffisait pas à nourrir les relations entre les personnages, Shyamalan joue sur divers tableaux. Le plus imposant d’entre eux insiste sur l’éventuel adultère dont se serait rendu coupable la jeune femme. Il injecte une dose de problèmes domestiques à une situation qui dépasse l’entendement, amenant le couple à se poser cette question cruciale, surtout en pareille circonstance : Manger un tiramisu avec un collègue de travail alors qu’on était censé faire des heures supplémentaires, est-ce tromper ? Vous imaginez un peu le dilemme cornélien auquel les personnages sont confrontés. Et cela est énoncé le plus sérieusement du monde, noyé sous les sanglots, par une jeune femme qu’on sent proche de perdre la tête à chaque instant. Dés lors, le louable message écologique passe au second plan au profit de la restructuration du couple autour de Jess, pauvre petite fille que son père n’a pas hésité à abandonner pour se lancer dans le sauvetage illusoire de son épouse, et qui sacralise tout ce dont manquent Elliott et Alma. Cette scène de passation de paternité entre Julian -le père de Jess- et Elliott donne l’occasion à Shyamalan d’introduire superficiellement de la tension via l’œil noir et le verbe acerbe du père pris entre deux feux à l’égard de Alma, coupable à ses yeux de susciter bien des tourments à son ami. Les choses en resteront là, jusqu’au moment où Elliott, Alma et Jess trouvent refuge chez une vieille dame à l’attitude lunatique. Là, sans crier gare, Shyamalan construit son histoire comme s’il s’agissait d’un film de maison hantée avec ses secrets enfouis et sa maîtresse de maison au comportement plus que louche. A force de se disperser, il en vient à tomber dans le hors sujet. Et le périple des deux époux de se clore par une scène choc aux doux accents de film d’horreur.
Plus que tous les autres films de M. Night Shyamalan, Phénomènes contenait tous les ingrédients susceptibles d’emporter mon adhésion : une ambiance de fin du monde reposant sur un constat on ne peut plus d’actualité, un traitement sobre et la promesse de scènes à fort potentiel horrifique. Or, la naïveté envahissante du réalisateur, doublée de sa propension à la nunucherie, amoindrit considérablement le potentiel d’un tel film. Finalement, que des millions de gens soient morts n’a pas vraiment d’importance puisque la cause de leur mort aura au moins permis à un couple de rester uni et, qui sait, de donner naissance à l’espoir que tout le monde attend. L’espoir d’un monde meilleur par la grâce des actions d’une nouvelle génération qui se sent nettement plus concernée par les problèmes environnementaux que la précédente. Et en creux se dessine le désormais inévitable portrait de l’Amérique de l’après 11 septembre, dont la paranoïa latente dans laquelle cet acte terroriste sans précédent l’a confortée trouve sa parfaite illustration lors de la mort des deux adolescents qui accompagnaient le couple et la petite Jess, victimes de la peur qui étreint aujourd’hui une majorité d’Américains. Cette scène, d’une totale gratuité, se révèle être la plus traumatisante du film car révélatrice du vrai fond humain. Lorsqu’il y a panique à bord, le chacun pour soit l’emporte sur le tous pour un.