Motor Psycho – Russ Meyer
Motor Psycho. 1965Origine : Etats-Unis
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Dans un coin paumé de Californie, trois motards prennent du bon temps en persécutant les belles femmes qu’ils croisent et en molestant les hommes si besoin. Le vétérinaire Cory Maddox (Alex Rocco) voit rouge lorsque son épouse est violée en son absence et, bien décidé à se venger, il se lance à la poursuite du trio dirigé par un certain Brahmin (Steve Oliver), ancien combattant du Vietnam. En cours de route, il porte secours à Ruby (Haji), à tort laissée pour morte en plein milieu du désert. Quand à Brahmin, il perd ses esprits et se croit revenu au Vietnam.
Juste avant le véritable envol de sa carrière avec les désormais célèbres Faster, Pussycat ! Kill ! Kill !, La Vallée des plaisirs et la série non officielle des Vixen, Russ Meyer réalise ce mitigé Motor Psycho, véritable film schizophrène partagé entre un amateurisme d’exploitation flagrant et une profondeur visionnaire qui n’a d’égal que le voyeurisme sur les décolletés des actrices. Une dualité qui s’exprime d’abord par la construction même du film, qui démarre tel un léger démarquage de L’Équipée sauvage en annonçant l’imminente mode de la bikersploitation avant de se poursuivre sur un mode paradoxal mi-comique mi-dramatique en ouvrant la voie (et ça doit être un des premiers films à le faire, sinon le premier) aux futures préoccupations sur le retour à la vie civile des combattants du Vietnam. De prime abord, Motor Psycho a apparemment tout de la série B indépendante façon American International Picture : le format 4/3, le noir et blanc, les acteurs médiocres (des débutants pour la plupart, tel Steve Oliver, qui hérite malgré tout du rôle le plus difficile), les motards, les filles charmantes, la sur-utilisation d’une musique anonyme, la durée d’une heure et quart et une histoire calibrée pour ne pas dépasser un budget minuscule ne dépassant pas les 40 000 dollars, c’est à dire encore plus fauché que les cormaneries de la même époque. Les motos rudimentaires tout droit échappées de la seconde guerre mondiale témoignent du manque de moyens, au même titre qu’une localisation quasi unique (le désert, plus deux ou trois maisons) et qu’un casting très réduit, dans lequel on retrouve Meyer lui-même pour un petit rôle peu glorieux, celui du shérif passif. Ce contexte pour le moins modeste dans lequel évoluent ces acteurs peu inspirés au niveau dramatique est un frein de taille pour la prise au sérieux d’un film par ailleurs assez maladroit. Il est en effet possible de le diviser en trois parties distinctes les unes des autres par leur tonalité.
Meyer commence d’abord par une emphase sur l’exploitation : les motards sont violents, les femmes aux seins en obus sont lascives et la musique est très rock’n’roll. A ce stade, Motor Psycho n’a presque pas de scénario. Il ne fait alors aucun doute qu’il s’agit d’un film sexy et provocateur, les scènes de viol (suggérées par quelques symbolismes, notamment par le biais des enchaînements du montage, et par quelques dialogues plein d’allusions) allant de pair avec le côté débonnaire des assaillants. En soit, ceci est déjà assez osé pour l’époque. Meyer se fait déjà le chantre de la poitrine féminine, mise en valeur par un choix d’actrices qui ne doit rien au hasard. Le film aurait très bien pu se limiter à cet objectif, qui le place de toute façon en précurseur du cinéma ouvertement érotique et satirique des années 70. Mais Meyer ne s’arrête pas là : dans un second temps, il procède à une transition vers une partie bien plus sérieuse et non moins dérangeante. On ne sait alors plus sur quel pied dancer : d’un côté l’aspect “rock’n’roll” reste de mise, mais de l’autre le réalisateur donne de la consistance à ses personnages principaux, masculins (le vétérinaire et le chef de gang) et féminins (la femme du véto, Ruby). Le viol de Gail Maddox a beau n’être que suggéré, il n’en demeure pas moins qu’il est autrement plus choquant que le premier, commis dans l’ouverture sur une vacancière en bikini pas franchement très futée. Ici les violeurs pénétrèrent dans l’intimité d’une femme esseulée que l’on a déjà appris à connaître, et qui contrairement à ce que l’ont pouvait penser initialement dispose d’une jugeote normale. Meyer joue avec les clichés : là où toutes ces femmes sexuellement actives et dotées d’un physique avantageusement mis en valeur passent généralement pour de fieffées idiotes (comme dans l’introduction), celle-ci est “normale” : elle est attachée à son mari, qui le lui rend bien en refusant les avances d’une nymphomane du coin. Ce mari aussi est décrit de façon réaliste, et réagit de façon impulsive au viol de sa femme, comme le feront par exemples les “vigilente” (ou vengeurs) de la décennie suivante. Le viol est bien quelque chose de crapuleux, et l’humour provocateur du réalisateur commence à faire rire jaune.
Il ne fera plus rire du tout dans la troisième partie du film, avec le personnage incarné par Haji (fidèle de Meyer recrutée dans une boîte de strip-tease, là où il dénicha aussi Erica Gavin et Tura Santana, ses autres égéries). Une fois décidée à se venger et alliée à Cory Maddox, le fort caractère de celle-ci cesse d’être une source de rire pour s’expliquer rationnellement : le comportement frondeur est en fait un moyen de défense pour une femme qui a déjà eut son lot de déboires avec la gent masculine. Sa féminité reste pourtant intacte, comme le prouve son attitude maternelle face à la blessure de son allié, mordu par un serpent (une péripétie qui aurait par ailleurs été à sa place dans la première partie, mais qui est ici déplacée). Tout en jouant encore sur l’aspect sexy, Russ Meyer fait preuve d’un incontestable sens féministe reposant sur un constat social dont la pertinence se mesurera pleinement quelques années plus tard, lorsque les femmes se libéreront. Quand au camp adverse, celui des motards, à l’instar du vétérinaire, il a lui aussi muri en cours de film : il ne s’agit plus de profiter les jeunes femmes et de tabasser les hommes. C’est une lutte pour la survie. Les deux amis de Brahmin prennent conscience de la folie qui ravage leur chef, qui, acculé par ses poursuivants se croit revenu au Vietnam. Il n’y a alors plus de musique : Meyer se pose la question de la réintégration des anciens du Vietnam, déjà traumatisés par un conflit dont l’intensité ne culminera que quelques années plus tard. Son style devient très sec, volontiers pessimiste pour tous les personnages. Chacun fut marqué par un évènement dramatique, et chacun réagit violemment, entrainant un cercle concentrique vicieux qui les poussera à la destruction.
En même pas une heure et quart, Russ Meyer aura renversé son film : la farce aura mal tournée. Et au passage, il se sera montré en avance sur son temps, tant au niveau du cinéma d’exploitation standard (violence et sexe) qu’au niveau des thématiques sociales. Savoir mêler ces deux domaines est déjà une qualité rare, mais quand en plus un film anticipe de futures évolutions, cela confine à l’exception. Et pourtant, il est très difficile de considérer Motor Psycho comme une œuvre parfaite, certains côtés incroyablement amateurs au sein d’un film aussi riche faisant franchement taches. Sa construction laisse aussi à penser que Meyer ne se rendit compte que trop tard du potentiel de son film, ce qui le conduisit à une narration chaotique, chaque évolution intervenant trop brusquement pour être naturelle. Bilan mitigé, donc, pour un film à fort contrastes.