Mais ne nous délivrez pas du mal – Joël Séria
Mais ne nous délivrez pas du mal. 1970Origine : France
|
Anne et Lore sont deux jeunes filles issues de familles aisées ou carrément de lignage aristocratique. Internes dans une école catholique, elles ne supportent plus leur vie médiocre, dogmatique et consensuelle. C’est ainsi qu’elles passent leur temps à se consacrer au mal. Les vacances qui s’annoncent seront pour elle le summum de leur jeune vie de pécheresses.
Premier film de Joël Seria et première collaboration avec son égérie, l’actrice Jeanne Goupil, qu’il retrouvera quelques années plus tard, entre autres, dans les graveleuses Galettes de Pont-Aven et la comédie San Antonio ne pense qu’à ça inspiré bien entendu de Frédéric Dard, Mais ne nous délivrez pas du mal préfigure de plus de vingt ans le Heavenly Creatures de Peter Jackson. L’intrigue est grossièrement la même (on peut décemment penser que les deux films s’inspirent du même fait divers), mais là où Jackson mise sur le lyrisme, Joël Séria, lui, verse dans un réalisme acharné, surtout que le film se déroule dans la campagne française et que le côté franchouillard est assez présent. Du moins graphiquement. Car si on a effectivement droit au paysan attardé, aux bourgeois coincés et aux religieux un peu pervers, rien de tout ça n’est gratuit et se justifie amplement par le propos du réalisateur. Séria épingle en effet tout ce qui a conduit les deux adolescentes à se conduire de la sorte.
En premier lieu la religion catholique, hyper contraignante et franchement peu adaptée à l’épanouissement de deux adolescentes traversant un âge généralement prompt à susciter une rébellion à la mesure de l’oppression. Et puisque cette oppression religieuse et si accentuée, Anne et Lore pousseront le vice jusqu’à se réclamer de Satan. Elles remarqueront en outre toute l’hypocrisie de ce système religieux, où les nonnes et les curés se livrent en privé à des choses interdites aux élèves et aux pratiquants en général (les nonnes lesbiennes, le curé aux tendances pédophiles inavouées). Tout cela s’accompagne pour les deux héroïnes d’une vie familiale toute aussi cloisonnée, dictée par des parents conformistes tout aussi coincés dans leurs valeurs que peut l’être l’Église, qui passent leurs journées à jouer aux échecs et à parler de tout et de n’importe quoi, encourageant leurs enfants à suivre la même médiocre destinée. Une vie peu conforme aux aspirations de ces enfants, qui ont donc décidé de trouver refuge, non pas dans l’escapade onirique comme c’est le cas dans Heavenly Creatures, mais dans le pêché. Une vie dédiée au mal, dont les excès iront croissants pendant les vacances. De la simple lecture de revues cochonnes à la provocation sexuelle face à un paysan attardé, en passant par le vandalisme, la torture des animaux de compagnie d’un pauvre bougre et par une communion sataniste, toutes les pistes seront explorées. Mais jamais gratuitement.
Jamais Séria ne donne l’impression de faire un film pour jeunes ado en mal de sensations trash. Car tout ce à quoi se livrent ces deux adolescentes reste encore aujourd’hui d’actualité: la criminalité se trouve ainsi expliquée en raison du contexte social. Prenons l’exemple des mouvements satanistes, qui en ce vingt-et-unième siècle, plus de trente ans après la réalisation du film, restent toujours plébiscités par des ados en mal de sensations fortes. Même chose pour le viol, puisqu’une des deux filles se fera à deux reprises pratiquement violer, à force d’avoir trop cherché à “allumer” un homme sans s’être souciée le moins du monde des conséquences de son “allumage”, à savoir des paroles ouvertement sexuelles et des postures en sous-vêtements sans équivoques. Tous les méfaits de Lore et de Anne sont avant tout réalistes et restent des conneries bassement provoc de la part d’adolescentes trop brimées par cette société qui les a indirectement poussées à faire cela. C’est pourquoi tout ce qu’elles font ne sont pas des choses malsaines. Juste des conneries de jeunes filles pas encore mûres (y compris à un niveau physique). En revanche, ce sont les conséquences de leurs méfaits qui, elles, seront malsaines, et les plongeront à la fin du film dans une situation tragique qu’elles ne désiraient pas et de laquelle elles n’auront pas la force ou la volonté de s’échapper.
On ne peut réellement dire que l’on s’attache à ces deux jeunes filles, avant tout immatures. Mais en revanche, on comprend leur rejet de cette société qui nous est présentée, cette société française réactionnaire dictée par des principes moraux obsolètes pour une jeunesse née dans l’après-guerre. On retrouve ici l’esprit de la fin des années 60… Mais on se dit aussi que finalement, les choses n’ont pas tellement évolué depuis. C’est ce qui fait de ce Mais ne nous délivrez pas du mal une petite perle française honteusement méconnue. Et c’est d’autant plus regrettable que la prestation des deux actrices principales (surtout celle de Jeanne Goupil) est en tous points remarquable, et avec l’aide d’une mise en scène lente et inspirée, rend tangible la perversité de ces deux gamines qui ont rejeté l’innocence attribuée généralement d’office à leur jeune âge.