L’Expérience interdite – Joel Schumacher
Flatliners. 1990.Origine : États-Unis
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Nelson, étudiant en médecine, convainc quatre de ses condisciples de l’assister pour une expérience qui lui tient particulièrement à cœur : se mettre en mort clinique quelques dizaines de secondes afin de découvrir ce qui se passe dans l’au-delà. Sa tentative est un succès. L’émulation aidant, chacun d’entre eux, moins Randy Steckle, le plus timoré, veut tenter l’expérience à son tour. Ils s’apercevront bien vite que Nelson leur avait caché un détail de son voyage dans l’inconnu. A la suite de Nelson, Rachel, David et Joe se retrouvent peu à peu hantés par des visions cauchemardesques en lien direct avec leur passé.
Il est loin le temps où Joel Schumacher réalisait pour ses débuts au cinéma un obscur dérivé au féminin de L’Homme qui rétrécit (The Incredible Shrinking Woman – 1981). Plutôt que de se confiner à un seul genre, il a rapidement conféré un tour plus éclectique à sa carrière, se faisant notamment remarquer pour ses films tournant autour d’adolescents, que ce soit le drame St Elmo’s Fire ou le plus porté sur l’horreur Génération perdue. Le bonhomme s’est désormais fait sa petite place à Hollywood, à tel point que L’Expérience interdite lui a été proposé sur un plateau par Michael Douglas et Columbia après que le script ait longtemps circulé sans que le projet n’aboutisse. Fort d’un casting de jeunes acteurs en devenir desquels émergent Kiefer Sutherland, déjà un vieux briscard à seulement 24 ans (Comme un chien enragé, Stand by Me, Young Guns,…), Kevin Bacon (Footloose, La Loi criminelle) et surtout Julia Roberts fraîchement auréolée de l’incroyable plébiscite pour Pretty Woman, Joel Schumacher aborde le thème difficile de la mort sous un éclairage spectaculaire et finalement bon enfant. Une approche pour le moins frileuse mais finalement assez symptomatique du bonhomme.
Sous l’impulsion d’un Joel Schumacher alors très touché par sa rencontre avec de nombreuses personnes atteintes du Sida pour les besoins d’un documentaire sur le sujet, L’Expérience interdite se veut moins un film fantastique qu’un film à message. A la lecture du scénario, c’est d’ailleurs l’intimité d’une scène de repentance qui l’a définitivement convaincu de réaliser le film, plutôt que les nombreuses incursions dans l’au-delà. Ce qui à l’époque ne l’avait pas empêché de souligner que sa visualisation offrait d’incroyables possibilités picturales à même de distinguer L’Expérience interdite de la concurrence. Sur ce point, le résultat s’avère particulièrement décevant. S’il évite la sempiternelle imagerie du long couloir ponctué d’une lumière blanche, les différentes visions qu’il offre de l’au-delà se bornent à des visions cauchemardesques nanties d’une couleur dominante. Ainsi, les visions de Nelson sont à dominante bleue, une couleur froide pour un jeune homme méthodique et cassant, lorsque celles de Rachel privilégient le rouge en un soigneux rappel et de sa chevelure et du sang versé par son père lors de son suicide. En outre, le recours à ces couleurs permet de bien distinguer le basculement des personnages de la réalité aux moments oniriques dans le souci de ne jamais perdre les spectateurs. La confusion des personnages demeure donc constamment cadré et n’essaime jamais jusqu’à nous, spectateur passif de leur descente aux enfers. Le terme n’est pas anodin. Bien que Joel Schumacher s’en soit défendu, L’Expérience interdite dispense une morale très judéo-chrétienne à base de pardon et de repentance. Le récit se déploie alors sous la forme d’un chemin de croix au cours duquel chaque personnage devra subir divers tourments avant de pouvoir enfin expier ses fautes.
Le parcours de chaque personnage s’avère néanmoins inégal. Instigateur de l’expérience, Nelson occupe bien évidemment une place de choix. Il nous apparaît comme un jeune homme sans idéaux et à la vie vide à l’image de son immense appartement austère. Aux yeux de cet étudiant en médecine à la morne existence, la mort s’apparente au défi ultime, à la dernière terre à explorer. Sa démarche n’est pas tant scientifique que nombriliste. Il tient non seulement à prouver à ses condisciples que son projet est réalisable mais aussi à quel point il est courageux de se porter ainsi volontaire. Ce soupçon d’arrogance entraîne une surenchère au sein du groupe, chacun tentant de rester plus longtemps que le précédent à l’état de mort clinique au mépris des séquelles éventuelles. Cependant, tous n’agissent pas pour les mêmes raisons. Joe Hurley tente l’expérience dans le but de rabattre le caquet à Nelson et de plaire à Rachel. David s’enveloppe quant à lui dans une posture plus chevaleresque quoique un chouïa rétrograde, n’acceptant de jouer les cobayes que pour empêcher Rachel de risquer sa santé, ce qu’elle fera quand même à force de persuasion, affirmant ainsi qu’elle n’est pas là pour jouer la potiche de service. Contre toute attente, ce rôle est dévolu au cinquième larron, Randy Steckle, lequel ne rate jamais une occasion de jouer les rabats-joie, rappelant à tous à quel point ce qu’ils font est dangereux et pas déontologique pour un sou. Il incarne en quelque sorte la voix de la raison mais du genre fluette, sans grande conviction. Résultat, personne ne l’écoute, sauf lorsqu’il a une blagounette à sortir, petit sas de décompression au moment du climax. En réalité, ce personnage n’est là que pour apporter un contrepoids de circonstance, le scénario s’échinant à conférer une importance capitale à ladite expérience par sa dimension cathartique. Sans elle, aucun des quatre étudiants n’aurait ouvert les yeux sur ses erreurs et blessures passées. Cette aventure vise à leur faire prendre conscience de leurs mauvais comportements passés et à leur faire réaliser à quel point il est important de s’en repentir. On nage en plein angélisme, à l’image de David qui, afin de demander son pardon, retrouve la gamine que ses camarades et lui couvraient d’injures dans la cour de l’école. En somme, cette expérience acquiert des vertus purificatrices amenant une poignée de jeunes gens à se laver de leurs pêchés et à soulager leur conscience. Comme quoi, braver l’interdit a parfois du bon.
Moralisateur en diable, L’Expérience interdite se réclame d’un fantastique inoffensif aux images léchées (Jan De Bont est à la photographie) mais à l’inspiration en berne. L’au-delà n’intéresse pas Joel Schumacher au contraire du passage qui le précède, cette espèce de tribunal devant lequel tout à chacun doit comparaître afin de solder ses comptes. Une fois qu’on a compris le principe où les visions des uns et des autres se résument à des traumatismes ou à leurs erreurs passées, l’intrigue perd en intérêt. Ce triste spectacle n’a pas pour autant empêché le film de rencontrer un franc succès au point qu’à l’époque, une suite ait rapidement été envisagée. Celle-ci ne verra jamais le jour, au contraire d’un remake dont la sortie, 27 ans après l’original, est imminente.