Les Nouvelles aventures des insaisissables – Edmond Keosayan
Новые приключения неуловимых. 1968Origine : U.R.S.S.
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Plus que jamais au service des Rouges pendant la guerre civile russe, les quatre insaisissables se voient confier la tâche de dérober une carte militaire aux mains de l’ennemi. Plus exactement, le document se trouve dans le coffre d’un militaire dont le quartier général est lui-même situé au cœur d’une ville sous contrôle des Blancs, et peuplée d’une grande bourgeoisie qui n’a bien entendu pas la moindre sympathie pour les partisans de Lénine. La mission s’avère très périlleuse pour les quatre adolescents, d’autant plus que l’ataman Burnash avec lequel ils avaient été en bisbille lors de leur précédente aventure se trouve lui aussi en ville et n’hésitera pas à les dénoncer aux autorités si leur route venait à se croiser. Fort heureusement, les insaisissables pourront compter sur l’aide de leur ami le comédien Buba Kastorskiy, dont les opinions communistes demeurent un secret bien gardé.
Populaires en démocratie populaire, les justiciers insaisissables sont de retour un an après leur très bonne première apparition, conservant à peu près tout le monde devant la caméra et pas mal de monde derrière, dont le réalisateur scénariste. Alors quoi de neuf, depuis le temps ? Et bien visiblement, pas grand chose. Edmond Keosayan se désintéresse largement du vécu de ses justiciers qui les avait menés dans le premier film à s’impliquer dans la guerre civile. Tout juste nous montre-t-il Yashka, le jeune gitan, en proie à la mélancolie lorsqu’il retrouve des gens de sa communauté. Pour le reste, Danka, Ksanka et Valerka restent insensibles du début à la fin (ou du moins jusqu’à quelques secondes avant la fin), le dernier nommé poussant le vice jusqu’à se faire passer pour un pauvre enfant blanc afin de mieux infiltrer le camp ennemi en simulant un sentiment d’amitié pour un officier tsariste. A vrai dire, ces justiciers là, et essentiellement leur chef Danka, ont tout des guerriers professionnels, disciplinés et impitoyables. C’est à peine s’ils parlent entre eux, et encore, jamais pour autre chose que leur travail. Une froide détermination qui n’est pas loin de les rendre complétement transparents -quand ils ne le sont pas faute de rôle à jouer, comme Ksanka- alors que par ailleurs le réalisateur se plait à les immerger dans la société caricaturale formée par ces assemblées de citoyens et militaires bourgeois. Entre les minauderies des femmes et les rodomontades des hommes, cette foule est d’un ridicule achevé, qui nous vaut de nombreuses scènes comiques (la meilleure ? l’émeute entre les différents groupes politiques composant les armées blanches) ne laissant que peu de place aux quatre justiciers pour imposer leur présence. D’autant qu’en plus de leurs personnalités il faut aussi compter avec la nature de leur mission d’infiltration, exigeant de ne pas se faire remarquer. Bref, pour un peu, on aurait l’impression qu’ils ne sont là que pour faire progresser le maigre scénario jusqu’à l’obtention du McGuffin représenté par ce plan militaire dont l’utilité pour l’armée rouge ne nous est pas expliquée. A juste titre, Keosayan préfère miser sur tous les éléments comiques, sur les séquences musicales et sur les quelques scènes d’action plutôt que sur les héros en eux-mêmes, qui se retrouvent donc étouffés par la bourgeoisie et qui se font voler la vedette par le fantaisiste Buba Kastorskiy, ses pitreries, ses déguisements, ses danses, ses chansons (c’est d’ailleurs lui qui provoque sciemment l’émeute évoquée en chantant “Dieu sauve le Tsar”). Si ses jeunes amis ont la charge de vaincre la bourgeoisie, lui sert surtout à la tourner en ridicule. Moins professionnel et moins léniniste dans la méthode, certes, mais c’est cet irrévérence qui sauve un film tout de même nettement moins enlevé que son prédécesseur.
Au style western des Justiciers insaisissables succède cette touche d’espionnage vaudevillesque caractérisant Les Nouvelles aventures des insaisissables. Ne cachons pas que nous y perdons au change : malgré les efforts de Buba, malgré la qualité des chansons et plus généralement de la BO, et même malgré la mise en scène très mobile (et forcément un peu vaine) du réalisateur, le film est bien trop stagnant pour emporter pleinement l’adhésion. La ville ne permet pas la même exploitation du cadre, et à ce niveau aussi le scénario est décevant. Sans sous-texte politique ou personnel à même de densifier un peu l’aspect dramatique et en s’enferrant dans des intrigues sans intérêt et parfois cousues de fil blanc (le retour très opportuniste de l’ataman Burnash), il n’y souffle plus le même parfum de liberté qu’impliquait le mariage des grands espaces et de l’idéal révolutionnaire, et Keosayan ne peut magnifier ses images comme il le faisait. Ne subsistent plus que quelques rares scènes tirant avantage de certains points du scénario : un règlement de compte dans un manège où l’agilité de Yashka (et surtout celle de la caméra) fait merveille, deux ou trois plans très “film noir” et surtout un final plein de maestria à la mesure de celui des Justiciers insaisissables, où le réalisateur enchaîne les prouesses à base de nombreuses idées pertinentes de mise en scène qui ne l’empêchent pas de continuer les gags ou l’emballement de l’action pure et dure, cette fois revenue dans la mouvance du western. Et le scénario se clôt même sur un ultime et imprévisible rebondissement que l’on aurait jugé impensable dans un film familial. Un final frénétique qui donne malgré tout l’impression de vouloir compenser en une dizaine de minutes toutes les carences dont souffrait la première heure (l’ensemble dure moins d’1 heure 20). Un procédé ambigu qui laisse surtout des regrets en prouvant que le talent était toujours là et que tout aurait pu être du même tonneau, dans la foulée du précédent opus. Sans savoir au juste de quoi il en retourne, cette séquelle a tout du film conçu dans l’urgence. Si Boris Sichkin, l’interprète de Buba, aura trouvé l’occasion de confirmer sa popularité, il n’en va pas de même pour la série des justiciers, qui se mettra en sommeil jusqu’en 1972, avec La Couronne de l’empire russe (également titré À nouveau les insaisissables).