Les Enfants de la crise – William A. Wellman
Wild Boys of the Road. 1933.Origine : États-Unis
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Edward Smith, dit Eddie, et Tommy Gordon sont amis à la vie, à la mort. Et dans cette Amérique en crise, l’amitié s’avère la plus grande des richesses. Vivant seul avec sa mère, Tommy envisage sérieusement d’arrêter les études pour trouver un travail et ainsi pouvoir aider sa mère sur le plan financier. Il demande donc à Eddie si son père ne pourrait pas appuyer sa candidature pour intégrer l’usine dans laquelle il travaille. Sauf que le soir même, Eddie apprend que son père vient d’être à son tour licencié. Le voilà à son tour contraint de trouver de l’argent. La situation se compliquant, et refusant d’être une charge pour ses parents, Eddie convainc Tommy de parcourir le pays à la recherche d’un travail. Ils découvrent alors qu’ils sont loin d’être les seuls dans ce cas-là. Après s’être liés d’amitié avec Grace, ils pensent trouver un point de chute à Chicago, ville où vit la tante de la jeune fille, mais une descente de police les envoie de nouveau sur la route.
A travers En un combat douteux, Des souris et des hommes et surtout Les Raisins de la colère, qui lui valut le prix Pullitzer, John Steinbeck s’est imposé comme l’incontournable chroniqueur de La Grande Dépression que traversent les États-Unis depuis le crash boursier de 1929. Hollywood s’en est elle aussi fait l’écho. Quelques années avant l’adaptation que John ford a tiré du roman de John Steinbeck en 1940, Frank Capra a été l’un des premiers à traiter ouvertement de la panique et des difficultés engendrées par cette crise avec La Ruée dès 1932. Avant lui, William A. Wellman se montrait prophétique en filmant déjà les milieux déshérités à la suite d’une orpheline coupable d’avoir tué le tuteur qui la maltraitait et d’un clochard la prenant sous son aile dans Les Mendiants de la vie en 1928. Réalisateur particulièrement sensible aux injustices sociales, William A. Wellman ne pouvait donc pas passer à côté de la Grande Dépression. Il l’aborde sous un angle bien précis puisqu’il choisit de suivre les pérégrinations de trois adolescents tentant désespérément de trouver du travail, tournant ainsi brutalement le dos à leur insouciance. A une époque où le public s’enthousiasmait pour de jeunes acteurs (tous les studios voulaient leur Shirley Temple ou leur Judy Garland) dans des films généralement pétillants et légers, William A. Wellman en prend le parfait contrepied. Ses personnages ne sont pas là pour amuser la galerie mais pour raconter par la marge ce que le pays est en train d’affronter.
Dès le début du film, William A. Wellman suggère que l’heure n’est déjà plus à l’amusement. Il ne se cache derrière ce postulat aucune posture morale. Il s’agit seulement d’un constat, qui du reste ne s’étend pas à tout le monde. Ce bal de l’école dont le prix d’entrée – 75 cents ! – devient un gouffre financier pour celui qui n’a pas le sou marque la fin d’une époque, et plus uniquement la fin de l’année scolaire. Pour Tommy Gordon, cela revient à déjà devoir se confronter à la vie active, moins par envie que par nécessité. Seulement travailler où et dans quoi ? Il n’est ici nul question d’orientation ou d’avenir à éclaircir. Tommy doit mettre du beurre dans les épinards et peu lui importe comment. Enfin ça, c’est la théorie. En pratique, on ne le voit guère s’épuiser à chercher du travail. Cela tient à la fois à sa personnalité – c’est un dilettante plus suiveur que meneur – et aux choix narratifs de William A. Wellman qui préfère se concentrer sur le sort d’Edward Smith. Dès le départ, il apparaît comme le plus débrouillard et le plus énergique du duo. Face aux malheurs de son ami, il concentre tous ses efforts pour entretenir au maximum l’illusion d’une vie normale. Il n’agira pas autrement après l’accident de Tommy, allant jusqu’à commettre un larcin dans le but d’améliorer son quotidien. Edward s’impose en quelque sorte comme le ciment du groupe. Un meneur naturel derrière lequel tout le monde se range sans rechigner. Un bon gars qui pense toujours aux autres même si c’est à son détriment. Partir sur les routes ne l’enchante pas plus que Tommy mais il estime que cela relève de son devoir. Eddie refuse de devenir un poids pour ses parents qu’il cherche donc à aider comme il le peut. William A. Wellman réussit une belle scène de complicité père-fils où les deux hommes s’étreignent sans un mot après avoir chahuté, manière pour le patriarche de remercier son enfant pour son altruisme et lui signifier tout son amour. Une séquence d’autant plus poignante qu’elle s’apparente à des adieux. Cependant, William A. Wellman évite toute sensiblerie. La situation que traversent ces adolescents s’avère déjà suffisamment dramatique pour qu’il ne cherche pas à nous apitoyer sur leur sort. A ce titre, le terrible accident dont est victime Tommy est traité comme un simple contretemps, la vie reprenant rapidement ses droits. Le réalisateur ne perd pas de vue que ce sont encore de jeunes gens qui peuvent éprouver une joie juvénile à repousser les assauts des adultes à coups d’oeufs, sans se rendre compte de l’énorme gaspillage que cela engendre. Ils vivent au jour le jour, se bercent parfois d’illusions mais la dure réalité finit toujours par se rappeler à leurs bons souvenirs. L’époque n’est facile pour personne mais elle se montre particulièrement dure pour ces adolescents. Dans cette société en crise où les adultes ne trouvent déjà pas de travail, les adolescents courent après un rêve illusoire. William A. Wellman montre un pays dans l’impasse qui se refuse à ses forces vives. Rejetés, déboussolés, ils deviennent des proies faciles pour des hommes mal attentionnés qui n’hésitent pas à exploiter qui leur faiblesse (la fille restée seule dans un wagon violée par le mécano de la locomotive), qui leur crédulité (la pègre, sans qu’elle soit nommément citée qui utilise Eddie comme messager). Si Les Enfants de la crise ne se complaît pas dans la noirceur – les adolescents arrivent malgré tout à trouver matière à se divertir – William A. Wellman ne cherche pas non plus à embellir les choses. La fin au tribunal n’en paraît que plus étrange, ouvrant grand les portes à un avenir radieux pour les trois amis qui s’inscrit en porte-à-faux avec tout ce qui a été montré au préalable. Comme si soudain pris de remords, William A. Wellman avait voulu ménager une porte de sortie à ses personnages.
Sorti à une époque où le code Hays n’était pas encore en vigueur – il le sera à partir de 1934 – Les Enfants de la crise n’est pourtant pas à l’abri de toute censure. En l’occurrence, le producteur du film Jack Warner, peu enclin à encourager la vision aussi pessimiste que réaliste de William A. Wellman lui impose de tourner cette fin trop gentillette pour être honnête, qui vient en quelque sorte récompenser les efforts et l’abnégation des trois amis. Une fin dommageable qui ne suffit cependant pas à ternir tous les efforts de William A. Wellman. Comme à son habitude, il réalise un film sec, sans fioritures et, personnages adolescents oblige, d’une grande vitalité. Une ode à la solidarité, moteur essentiel en ces temps troublés pour espérer de meilleurs lendemains.