Les Conquérants du Pacifique – José Maria Eliorrieta
Los conquistadores del Pacifico. 1963Origine : Espagne / Italie
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Pour échapper à ses créanciers, Vasco Nunez de Balboa (Frank Latimore) est aidé par des amis qui le cachent dans un baril sur le navire où ils officient et dont le commandant est le conquistador Enciso. Lorsqu’il se révèle aux yeux de ce dernier, la côte est déjà loin. Sous la pression de son équipage, Enciso décide d’employer Balboa dont les connaissances du terrain où ils se rendent seront fort utiles. Cependant, le sauvetage d’une poignée d’hommes à la dérive menés par Francisco Pizarro change la donne. Désormais, l’équipage fait cap sur la contrée hostile où la compagnie de Pizarro s’est faite décimer par les indiens. Balboa connait déjà un peu le coin, et il sait qu’à l’autre bout de ce territoire se trouve une mer sur laquelle aucun européen n’a jamais vogué. Pour être le premier, il va falloir passer par bien des aventures et par l’animosité d’Enciso, vexé d’avoir été de facto remplacé par Balboa et bien décidé à présenter ce dernier comme un traître au Roi de Castille.
Le patrimoine n’a pas de prix, et par conséquent, même sans budget hollywoodien, pourquoi se priver d’un film exploitant le patrimoine national ? C’est ainsi que les espagnols se sont lancés dans cette modeste production retraçant les aventures de Vasco Nunez de Balboa, premier européen à avoir officiellement vu l’Océan Pacifique, en l’an 1513. Ils n’ont cependant pas été seuls pour cette ambitieuse tâche : les italiens, avec lesquels les relations cinématographiques ont toujours été fructueuses, leur ont prêté main forte. Et puis ils ont aussi bénéficié de l’aide du gouvernement de Panama, remercié en grandes lettres dans le générique d’ouverture, et dont la participation à un film sur Balboa n’est guère surprenante. Étant passé par leur territoire, et étant le premier à l’avoir traversé d’un océan à un autre, le conquistador est en effet un héros national au Panama, à tel point que la monnaie nationale n’est autre que le balboa. Cette aide qui permit notamment un tournage près des lieux historiques, suppose tout de même un regard pour le moins dénué de neutralité envers le sujet traité… Certes, Balboa ne fut pas le plus impitoyable des conquistadors, mais il ne fut pas non plus ce chevalier au grand cœur incarné par Frank Latimore. Sa mansuétude -irrégulière- envers les autochtones s’expliquait plutôt par l’intelligence : pourquoi risquer des pertes inutiles et la rancune tribale alors que les indiens n’étaient pas forcément hostiles et qu’en outre la géographie était déjà le plus grand des périls ? Policé, ce Balboa de fiction ne fait pas qu’accentuer la proximité de ce chef avec ses hommes ou son humanité envers les indiens : il noue même une relation amoureuse avec la fougueuse fille d’un cacique tribal, d’abord réticente (elle fut donnée à lui en guise de cadeau pour sa victoire) puis séduite par son immense générosité et sa bravoure. Une entorse absolue à la réalité historique, ce qui par l’artificialité d’une telle romance se ressent fortement au cours de la vision du film. En dehors de ça, ma foi, sauf peut-être pour les plus pinailleurs ou les plus érudits sur le sujet, Les Conquérants du Pacifique n’a pas l’air trop éloigné de l’Histoire. Quelques simplifications sont à noter, principalement concernant les relations entre Balboa et Enciso, mais leur teneur est plutôt bien rendue, et il était de toute façon difficile d’aller dans les détails sans perdre de vue ce qui fait l’intérêt premier de l’expérimenté réalisateur José María Elorrieta, bien conscient que le succès d’une exportation à l’international ne pouvait être atteint qu’en marchant sur les pas du cinéma d’aventures pur et dur. Il a tout de même de la chance que cette partie de la vie de Balboa fut ce qu’elle fut, c’est à dire un support parfait pour le cinéma. A titre d’exemple, précisons que le conquistador entra effectivement en fraude sur le bateau d’Enciso à bord d’un baril…
Qui dit Amérique Centrale au cinéma dit aussi indiens, forêt vierge, animaux méchants et paysages exotiques. Tous ces éléments sont utilisés à des degrés divers et avec une réussite variée dans Les Conquérants du Pacifique, film qui préfigure par certains aspects la vision réductrice des films de cannibales italiens apparus une dizaine d’années plus tard. Ainsi, nous nous retrouvons face à des indiens certes vus de façon sympathique, mais néanmoins assez caricaturaux, peints grossièrement, et auxquels on attribue quelques rituels simplistes pour faire bonne mesure (sans parler des figurants qui s’amusent beaucoup -et pas que ceux en pagne, d’ailleurs- à grimacer et à surjouer leur mort dans les batailles). Mieux exploitée, la variété des décors naturels est superbement mise en valeur, de l’océan au sommet d’une montagne en passant par de vastes plaines brumeuses, des marécages gluants ou la forêt luxuriante. Rien que pour cela, le film d’Elorrieta mériterait largement une sortie DVD dépoussiérée. Plus convenus, les quelques stock shots animaliers sont aisément excusables car les bestioles n’interfèrent pas avec les personnages et se contentent de rajouter une petite couche exotique. En somme, à défaut de respirer l’authenticité, pêchant sur les mêmes points que bien d’autres petits budgets, Les Conquérants du Pacifique parvient tout de même à dépayser, ce qui est un bon avantage lorsque l’on prétend réaliser un film d’aventure basé qui plus est sur un évènement historico-culturel aussi important que la découverte du Pacifique. Elorrieta a du métier, et on le ressent. Son film s’inscrit dans une veine aujourd’hui assez rétro du cinéma, à la fois naïve tout en étant menée avec beaucoup de sérieux. Dans sa tonalité plutôt enfantine, il rappelle beaucoup ces films de “mondes perdus” dans lesquels le danger, s’il est bien présent, repose sur des ingrédients imposant le respect. Une nature inconnue, déjà, mais aussi des habitants… Dinosaures ou indiens suscitent finalement le même respect : les deux sont les maîtres des lieux, et à moins qu’ils ne soient véritablement trop dangereux les explorateurs mettent un point d’honneur à ne pas saccager leur milieu. Bien sûr, les “mondes perdus” jouaient davantage sur la peur, ce que ne peut faire Les Conquérants du Pacifique, qui remplace cet aspect par des négociations ou par des batailles entre hommes d’honneur, bref par des éléments du film d’aventure. Mais dans le fond, il n’y a pas de grande différence : dans les deux cas, les réalisateurs voient leurs films comme des moyens d’évasion du quotidien. Faire un peu rêver le public en le replongeant dans une époque devenue mythique. Ce n’est du reste pas un hasard si le vrai “méchant” du film est l’autoritaire Enciso, que l’aventure intéresse moins que le pouvoir. Un comportement bien trop terre-à-terre. Et en y songeant, ce n’est pas non plus un hasard si la vision du populaire Balboa est si lisse. Ainsi, il n’entre pas en contradiction avec les volontés panaméennes (et espagnoles), et il permet au film de reproduire l’image -d’Épinal- de ce temps où “l’aventure était au détour de chaque chemin” comme le dit fort justement le résumé de la jaquette VHS écrite par un gars qui a préféré rester vague plutôt que de voir le film. Et il a bien eu tort, le bougre, puisqu’il a raté un joli film d’aventure, très dense, réussissant à respecter -avec un certain aveuglement calculé je vous l’accorde- son sujet historique.