Le Sadique Baron Von Klaus – Jess Franco
La Mano de un hombre muerto. 1962Origine : Espagne
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Nichée dans les Alpes, la bourgade d’Holffen est replongée dans ses légendes le jour où deux campeuses sont retrouvées mortes non loin du château des Von Klaus de sinistre mémoire. Il y a de ça quelques siècles, le Baron Von Klaus périt dans les marécages après avoir été damné par un villageois pour avoir torturé et assassiné sa fille. Depuis, une série de meurtres se produit de temps à autres, et les villageois les plus superstitieux les mettent sur le compte du fantôme de Von Klaus, censé hanter le marécage. Pour la police, la vérité est ailleurs… Mais reste à la trouver, puisque Max (Howard Vernon), le descendent de Von Klaus, dispose d’un alibi solide pour la nuit du meurtre des campeuses, et que son neveu Ludwig (Hugo Blanco) n’était pas encore rentré de voyage en compagnie de sa fiancée Karine (Paula Martel).
Petit frère de L’Horrible docteur Orlof, tourné la même année, dans le même style (le directeur photo est le même, Godofredo Pacheco) avec la même tête d’affiche, Howard Vernon, Le Sadique Baron Von Klaus ne doit pourtant pas être vu comme un duplicata de son aîné. Le début de la carrière de Jess Franco est à tous les niveaux encore loin de ce que fera le réalisateur vingt ans plus tard avec la même compagnie Eurociné qui l’accompagna depuis le début des années 60. Il n’y a pas encore d’échanges de rushs entre plusieurs films traitant d’un même sujet. Le cinéma d’exploitation est encore une affaire sérieuse ! Ce qui n’empêche pas que les filons soient exploités à outrance jusqu’à saturation du public. En 1962, la mode est encore au cinéma gothique, et Franco s’y adapte sans trop d’embarras, puisqu’il s’agit là de son domaine de prédilection, celui duquel il ne s’éloignera jamais bien longtemps. Mais avant de sombrer dans le vaste n’importe quoi vers la fin des années 70, Franco est un réalisateur encore fort créatif, même si plusieurs choses font que Le Sadique Baron Von Klaus souffre d’une certaine retenue le faisant avoir recours à des banalités ne jouant pas en sa faveur. Ainsi, le secret de famille révélé dans son dernier râle à son fils par la sœur du Baron Von Klaus est clairement surfait. Dire qu’il ne faut pas s’approcher de la cave, dans laquelle personne n’aurait mis les pieds depuis deux générations, a un effet éminemment contre-productif, puisque dès lors l’attention se braque vers cette pièce (et Franco d’en rajouter quelques couches par la suite), et que par conséquent le suspense n’existe plus guère. Il devient alors évident que les multiples personnages que compte l’intrigue, tous envisagés comme des suspects, seront utilisés avec les détours de l’enquête comme de fausses-pistes dissimulant l’identité du véritable assassin, lequel est libre d’aller et venir à la cave. La liste des coupables potentiels s’en réduit d’autant. Et quiconque est habitué aux rebondissements des diverses branches des récits policiers européens sait que celui que tout désigne a de fortes chances d’être innocent… Bref Franco échoue à tenir en haleine son spectateur, et Le Sadique Baron Von Klaus comporte quelques longueurs imputables non seulement à la maigreur de l’élément policier, mais aussi aux personnalités sans profondeur de tous les personnages (policier consciencieux mais largué affublé d’un ami journaliste blagueur mais malin, villageois superstitieux, serveuse qui a des choses à cacher, jeune femme effrayée…) à l’exception relative de Max Von Klaus. Howard Vernon incarne un homme taciturne, reclus et parfois autoritaire dont la personnalité se fond comme un gant dans l’histoire de sa famille. De ce seul Max Von Klaus naît le fantastique, ou du moins ce qui s’y rattache. Car plus que la révélation de l’identité de l’assassin, qui comme on l’a vu n’est pas un enjeu follement accrocheur, c’est bien de déterminer la place du fantastique dans ces meurtres par rapport à la famille Von Klaus qui importe. Toute proportion gardée, et en gardant à l’esprit qu’ici l’aspect policier n’est pas fameux, le procédé ressemble à ce que Conan Doyle avait fait pour Le Chien des Baskerville : parasiter l’intrigue d’une légende purement fantastique. C’est bien entendu sur ce point que Franco démontre ses talents.
Plus encore que L’Horrible docteur Orlof, Le Sadique Baron Von Klaus laisse voir ce que sera le Jess Franco des grandes heures, celles de Soledad Miranda et des films en roue libre, composés au rythme du jazz. Et du jazz il est justement question ici, puisque cette musique est utilisée pour illustrer les scènes estampillées “thriller”, celles du meurtrier de l’ombre, ou encore celles apparentées au genre horrifique, dans la cave des tortures. Une partition qui peut sembler inappropriée pour ces scènes, mais qui traduit l’éloignement de Franco par rapport à son sujet et son intérêt purement graphique, qui ira en se marquant de plus en plus au fil de sa carrière (contenant là aussi les germes de la déchéance et du n’importe quoi). Cela apporte ici une touche de modernité à un film parfois très vieille école, mais également en plusieurs points fort novateur. La grande qualité du film est qu’il sait se faire hétéroclite, entre ces châtelains maudits très gothiques, ce village enneigé environné de marécages très lyriques et même ces scènes expressionnistes très réussies que l’on rapprochera des krimis anglo-allemands. A la photo, Godofredo Pacheco est loin d’être un tâcheron et prouve que le cinéma fantastique en noir est blanc n’est pas encore bon à reléguer aux oubliettes, malgré les réussites colorées de la Hammer, malgré celles de Corman. Le noir et blanc n’est en rien incompatible avec le modernisme, et c’est cette idée pré-reçue qui transforme les audaces de Franco en agréables surprises. Outre l’emploi du jazz comme manière de rythmer le film, nous assistons également ici au développement du travail sur l’érotisme de Franco, qui pour l’époque se montre très provoquant, voire carrément incorrect lors d’une scène de torture paraît-il fameuse mais hélas expurgée du film tel qu’il figure en France, y compris dans la version sortie par Mad Movies. A ma connaissance, aucun DVD français n’a présenté Le Sadique Baron Von Klaus dans sa version intégrale, incluant également un pré-générique tout autant introuvable, et pas sûr que les différentes éditions VHS parues -qu’il faudrait de toute façon dégotter- ne le présente non plus ainsi. Il est tout de même fort dommage que ce qui doit s’apparenter au climax du film, du moins en ce qui concerne le style de Franco (pas forcément pour la place dans le récit) soit ainsi expurgé, et d’une façon fort flagrante qui plus est. Il n’en reste pas moins que cette amputation ne saurait cacher que le présent film est une œuvre globalement agréable malgré ses bavardages ponctuels, et qui se doit d’être vue comme une préfiguration des futurs délires de Jess Franco, que ce soit dans leurs aspects positifs (liberté totale tant pour l’image que pour la construction) ou dans leurs aspects négatifs (je m’en foutisme parfois rédhibitoire vis à vis du scénario ou des personnages secondaires).