Le Casse – Henri Verneuil
![]() |
Le Casse. 1971.Origine : France, Italie
|
Cambrioleur de haut vol, Azad rejoint ses troupes à Athènes dans le but de dérober les émeraudes détenues par un dénommé Tasco. L’opération a été minutieusement préparée au préalable par ses complices et associés. Neutraliser le gardien du domaine n’est qu’une formalité pour Ralph et Renzi. Quant au coffre, il ne résiste pas longtemps à la malette magique de Azad. Seul petit contre-temps, la venue inopinée du policier Abel Zacharia dans le quartier qui contraint Azad à se montrer à visage découvert. Il se présente au policier en tant que représentant de commerce en jouets et prétend être tombé en panne. D’abord suspicieux, Abel Zacharia finit par quitter les lieux. Le lendemain, une mauvaise nouvelle attend la bande. Le bateau qui devait les emmener loin de la capitale grecque se retrouve immobilisé pour quelques jours. Azad doit revoir ses plans, et surtout, cacher le butin. Remarquant la présence insistante du policier, il enjoint ses troupes à se séparer. Commence alors un jeu du chat et de la souris entre le policier et le voleur.
Lorsque Henri Verneuil entreprend d’adapter le roman éponyme de David Goodis, il est un réalisateur bien établi. Fort de ses 20 années de métier depuis La Table-aux-crevés, et d’un succès jamais démenti – à tel point que les studios américains les plus prestigieux n’hésitent pas à s’associer à lui – il se sent suffisamment en position de force pour voir les choses en grand. Il s’éloigne donc radicalement de l’austérité de la première adaptation cinématographique du roman (Le Cambrioleur de Paul Wendkos, 1957) et de la complexité des personnages d’origine pour aboutir à un spectacle qu’il espère total. Le choix de transposer l’intrigue à Athènes va dans ce sens. Il s’agit d’apporter du dépaysement aux spectateurs, de l’immerger dans une culture différente, même si cela doit se faire au détriment des réalités géopolitiques de l’époque. Il ne sera ainsi nullement question du régime des colonels alors en place et de la terrible répression qui pèse sur le peuple grec. Que Henri Verneuil ne veuille pas faire du cinéma engagé se conçoit. En revanche, qu’il choisisse de tourner dans une dictature, moins. Tout en évitant de verser dans le dépliant touristique, Henri Verneuil nous montre une Athènes dans sa dimension cosmopolite puisque en dehors de Abel Zacharia, tous les personnages du film sont de passage. La population grecque est réduite à un rôle de spectateur, témoin privilégié de l’affrontement entre le voleur et le policier, allant jusqu’à tourner le dos à leurs traditions (cette foule qui se détourne du spectacle de danse folklorique pour ne pas perdre une miette de la poursuite automobile qui se joue au même moment). Une séquence symptomatique de la démarche de Henri Verneuil qui consiste ici à tout sacrifier pour le spectacle au risque de la prétention. La longue course-poursuite automobile entre Azad et Abel ne peut être vue autrement que comme une bande démo du savoir-faire de Henri Verneuil et du responsable des cascades automobiles Rémy Julienne. Avec cette scène, ils veulent en remontrer aux américains en un concours de bites improductif, car en soi, elle ne change fondamentalement pas un récit qui aurait aisément pu s’en dispenser… si ce n’est apporter confirmation que Le Casse se limitera bien à un duel de stars.
Cette dualité irrigue tout le film, et pas seulement dans le cadre de l’affrontement entre Jean-Paul Belmondo et Omar Sharif. Les 20-25 premières minutes – générique inclus – nous montrent un Henri Verneuil méthodique dans la description du casse orchestré par Azad et sa bande. Quasiment pas un mot d’échangé, chacun à sa place si l’on excepte Hélène, le personnage joué par Nicole Calfan dont Verneuil ne sait que faire, et une efficacité redoutable reposant sur une technologie digne d’un James Bond. Un souci du détail qui évoque inévitablement le cinéma de Jean-Pierre Melville, dont Jean-Paul Belmondo a été le premier alter-ego. Henri Verneuil semble assumer la filiation jusque dans l’accoutrement de Azad à sa descente du bateau, engoncé dans une gabardine particulièrement évocatrice. Un vêtement qu’il ne portera plus du reste du film, privilégiant par la suite un plus seyant blouson de cuir. Jean-Paul Belmondo assume un style plus populaire qui se marie bien avec sa gouaille naturelle. D’ailleurs, à mesure que le film s’ouvre aux dialogues et que le groupe choisit de faire bande à part, Le Casse emprunte une voie qui préfigure le basculement de la carrière de son acteur vedette dans la formule qui l’aura popularisé jusqu’à la caricature. Cette manière d’aborder l’adversité avec légèreté, voire insouciance, en multipliant les cabrioles et les tartes dans la gueule. Le tout sous couvert d’un machisme décomplexé qui n’épargne pas les femmes d’une bonne torgnole. Voire plusieurs dans le cas de Dyan Cannon sous couvert d’un gag visuel, les lumières de sa chambre d’hôtel s’allumant et s’éteignant au son d’un claquement dans les mains. Disons que Jean-Paul Belmondo se trouve dans ce film à la croisée des chemins entre les personnages virevoltants et enfantins des films de Philippe de Broca (L’Homme de Rio, Les Tribulations d’un chinois en Chine) et ceux trop sûrs d’eux jusqu’à la condescendance de ses polars interchangeables des années 80. Cela se remarque notamment dans le rapport aux femmes de ses personnages. Dans ce film, Azad se comporte comme un adolescent. Il s’intéresse à Lena uniquement parce qu’elle pose dans des magazines de charme. Lorsqu’elle l’emmène dans une boîte de striptease, il ne tient plus en place, multipliant les mimiques faussement choquées. Et vis à vis de Hélène, il fait preuve d’une grande naïveté, se complaisant dans un rôle de grand frère alors qu’elle espère mieux et plus que ça. Nous sommes loin de la mâle assurance qu’il affichera plus régulièrement par la suite. Cependant, faute de personnages féminins suffisamment développés, ces scènes relèvent de l’anecdotique. Tout cela fleure bon le remplissage, à l’image de ce soudain besoin de retrouver Hélène. A avoir trop cherché à simplifier le roman, Henri Verneuil se retrouve avec une intrigue anémique qu’il a bien du mal à dynamiser.
Par une belle mise en abîme involontaire, Le Casse en vient lui aussi à souffrir du contre-temps engendré par les ennuis mécaniques du navire marchand qui devait permettre à Azad et sa bande de filer en douce. Faute de réels enjeux et d’une interconnection entre les personnages, le film s’en remet entièrement au jeu du chat et de la souris auquel s’adonnent Azad et Abel. Une partie de poker menteur qui se joue par intermittence et qui vise essentiellement à diaboliser la figure du policier. Belmondo oblige, Azad ne se départit jamais d’un fort capital sympathie. Son cambrioleur de haut vol n’est pas un sanguinaire, privilégiant l’esquive à la confrontation. Abel agit à l’inverse. Un brin provocateur à l’abri derrière sa plaque, il tente de pousser ses adversaires à la faute. Il prend un malin plaisir à forcer son avantage jusqu’à la bavure. En tout cas, c’est comme ça qu’il présente la conclusion tragique de son jeu d’intimidation sur la personne des deux complices de Azad. Toujours tiré à quatre épingles, Omar Sharif campe un personnage ambigü et suave à souhait que l’appât du gain rend intraitable. Un antagoniste irrécupérable qui derrière ses bonnes manières et un calme olympien cache un tempérament impétueux. Sous le coup de l’agacement, il en oublie parfois qu’il lui faut Azad vivant s’il veut espérer récupérer les émeraudes. Il faut bien ça pour créer un peu d’incertitude quant au sort du cambrioleur, et ajouter un semblant de tension aux scènes d’action. On notera sur ce point la facilité déconcertante avec laquelle Azad se relève de sa chute au milieu des pierres dont il ressort sans une égratignure, à l’inverse de son combat de coq contre le prétendant de Hélène. Davantage que Belmondo et ses cascades (spectaculaires mais peu périlleuses), Omar Sharif constitue l’attraction principale du film, son élément perturbateur et imprévisible. Toutefois, il se retrouve comme les autres rapidement réduits à sa seule fonction. Il est là pour relancer l’action de manière épisodique et rappeler que Azad n’est pas uniquement venu à Athènes dans le but de profiter des services de ses hôtels de luxe. Mais en définitive, Le Casse ne peut éviter de n’être qu’une succession de scénettes plus ou moins inspirées dont Jean-Paul Belmondo et Omar Sharif occupent alternativement le devant de la scène.
Dans sa volonté affichée d’en remontrer au cinéma américain, Henri Verneuil en a oublié de raconter une histoire. Et sa prétention ne prend jamais vraiment corps à l’écran, puisque si les deux grosses séquences d’action sont bien réalisées, elles ne sont pas non plus estomaquantes. Et surtout elles apparaissent trop pour ce qu’elles sont, la démonstration d’un savoir-faire au mépris d’une construction dramatique. Henri Verneuil fera beaucoup mieux par la suite, notamment avec Peur sur la ville (toujours avec Belmondo) et surtout I comme Icare, deux exemples de récits tenus de bout en bout, à la tension palpable et d’une grande efficacité.