La Nuit des pétrifiés (aka Au Service du Diable) – Jean Brismée
La plus longue nuit du diable. 1971Origine : Belgique / Italie
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Rédiger cette critique me pose un problème que j’ai du mal à contourner : comment rendre compte des qualités et des défauts de La Nuit des pétrifiés en essayant d’être le plus objectif possible ? Parce que si le film n’est évidemment pas exempt de défauts, il appartient à un genre et à un style qui est si cher à mon cœur que ses défauts deviennent à mes yeux d’évidentes qualités… Du coup il vous semblera sans doute étrange que je parle de ce petit film d’horreur occulte typique des années 70 comme d’un chef d’œuvre intemporel qui marqua à jamais le septième art de sa virtuosité flamboyante.
Si c’est effectivement ce que je pense, mon honnêteté m’empêche toutefois de décrire ce film en ces termes élogieux. Pourtant il n’en reste pas moins que La Nuit des pétrifiés est un très bon film fantastique qui ravira les fans du genre.
Le film débute par un prologue très étrange, mais qui a le mérite de tout de suite nous plonger dans l’ambiance. L’image est en noir et blanc, avec une teinte sépia, et l’histoire se passe pendant la seconde guerre mondiale et les bombardements font rage. Une femme pousse des gémissements. Elle est enceinte, et son mari, un officier nazi : le Baron Van Rumberg, attend avec angoisse la naissance dans la pièce à coté. La femme finit par mourir en couche, mais l’enfant vit. Cependant lorsque la sage-femme lui annonce qu’il s’agit d’une fille, le père transperce l’enfant de sa baïonnette après l‘avoir baptisée.
Quelques années plus tard, la guerre est terminée et on retrouve le Baron vieillissant à accueillir sept touristes égarés dans son château. Lors du repas il leur apprend être victime d’une malédiction : un de ces ancêtres ayant signé un pacte avec le diable, toutes les filles aînées de la famille Van Rumberg seront des succubes…
Après cette introduction choc qui nous montre quand même un gros plan d’un bébé poignardé, le film prendra des allures plus classiques, en apparence du moins. Ainsi le déroulement de l’intrigue n’échappe pas aux quelques clichés inhérents au genre : le groupe de touristes s’égare alors que la nuit tombe, puis demande son chemin à un vieil homme sinistre qui se trouve là comme par magie. Lequel homme sinistre désigne évidemment un château non moins sinistre comme le lieu idéal où passer la nuit.
Les différents personnages qui composent le groupe de touristes sont assez caricaturaux, il y a le prêtre, le cynique cartésien qui ne croit pas au surnaturel, les jeunes femmes impressionnables et les hommes rivalisant de courage pour obtenir les grâces des jeunes femmes… A priori rien de très original dans tout ça, de même quand un majordome (sinistre également) informera les touristes d’un air grandiloquent des différents drames qui ont marqués l’histoire du château. Bref du classique, mais ces éléments en apparence commune échappent assez habilement à la lourdeur habituelle des poncifs grâce à une mise en scène plutôt soignée. Le réalisateur a ici la judicieuse idée de recourir à ces techniques narratives déjà bien rôdées pour rendre son film efficace. Et toute la description du château prend alors des airs de train fantôme généreux qui a largement de quoi combler les amateurs. Les spectateurs suivent donc avec une mine réjouie l’exploration du château, les salles aux contours gothiques qui rappellent fortement les films des mythiques studios de la Hammer, les instruments de tortures médiévaux entreposés au grenier… Via ces stratagèmes, le film distille petit à petit une ambiance très particulière, qui évoque à la fois les récits d’Edgar Allan Poe par ses décors et un certain surréalisme issu des éclairages très travaillés du film.
Mais La Nuit des pétrifiés ne se résume pas à ça, au contraire le film regorge de très bonnes idées. Comme tous ces meurtres très astucieux, tous reliés aux sept péchés capitaux, et que la succube perpètre avec un machiavélisme des plus réjouissants. Des meurtres souvent montrés par une caméra parfois complaisante, même s’il ne faut pas s’attendre à des effusions de sang et des débordements gores. Surtout que les effets spéciaux cheap ont quelque peut perdu en crédibilité. Mais bien loin de nuire au film, cela lui apporte en plus une touche de charme désuet qui ravira les spectateurs nostalgiques.
Mais si les effets spéciaux sont quelque peu datés, les maquillages et le jeu des acteurs se révèlent au contraire excellents en tous points. Daniel Emilfork et son visage si particulier n’a pas du tout besoin de maquillage pour jouer un Satan des plus savoureux. Saluons à ce titre la VF qui le dote d’un délicieux accent de l’est très seyant (même si ladite VF est relativement approximative dans d’autres passages du film). Ensuite, Erika Blanc, non contente de posséder des formes à se damner, se révèle très bonne actrice. Elle est très convaincante dans son rôle alternant des passages où elle joue la séduction, apparaissant alors lascive et sensuelle, et les passages terrifiants ou elle nous glace les sangs au moyen d’un maquillage blafard du plus bel effet.
Si l’on ajoute encore une musique, très belle, dont le thème sirupeux et envoûtant colle parfaitement à cette atmosphère gothique héritée du cinéma italien des années 60, on a là un film très réussi. Jean Brismée signe donc avec La Nuit des pétrifiés une authentique réussite du film fantastique belge (chose assez rare pour qu’elle mérite d’être soulignée !).
Et j’invite donc tous les amateurs de films d’horreur à découvrir ce petit bijou hélas trop méconnu.