La Mort en ligne – Takashi Miike
Chakushin ari. 2003.Origine : Japon
|
Yumi Nakamura est une étudiante tout ce qu’il y a de plus commun, et dont le téléphone portable occupe une place importante dans sa vie, ainsi que dans celle de ses amies. A tel point qu’il devient subitement l’outil de leur mort par le biais d’un procédé fort simple. Elles reçoivent un message vocal (ou visuel) provenant de leur propre téléphone, qui émane de leur propre voix et qui date de trois jours plus tard. Arrivées à cette date, elles meurent inexorablement. Une véritable épidémie qui semble ne pas avoir de fin. A moins que…
En 1998, le succès de Ring de Hideo Nakata sur le sol japonais a provoqué une véritable déferlante de films d’horreur à base de spectres aux cheveux longs, qui s’étend à toute l’Asie. Exploité à outrance, le filon tend à se tarir, faute de véritables innovations et d’une lassitude bien légitime qui s’empare du public. N’ayant peur de rien, Takashi Miike accepte bien volontiers la commande de la boîte de production Kadokawa pour la confection d’un film d’horreur. Réalisateur prolifique et doté d’un sacré grain de folie, il apparaît comme la personne la plus apte à relancer le genre et à en dynamiter les règles.
Oh surprise, La Mort en ligne ne se distingue guère de ses congénères. L’intrigue démarre de manière très classique avec première scène choc pour nous mettre dans le bain. Celle-ci revêt le double avantage de nous désigner clairement l’héroine de l’histoire, témoin impuissant de la mort de son amie, tout en nous exposant le mode opératoire de la malédiction. Une malédiction qui se met au goût du jour puisqu’elle se propage via le téléphone portable. Sorte d’excroissance du conduit auditif, le téléphone portable est devenu l’objet qui symbolise le mieux l’homme moderne. Ce dernier, désireux d’être joignable quel que soit l’endroit où il se trouve, et à l’inverse, de pouvoir joindre n’importe qui de n’importe où, ne se rend pas compte du caractère aliénant de l’objet. Le simple téléphone mobile des débuts a évolué jusqu’à rassembler en un seul appareil, télévision, radio, ordinateur et appareil photo, provoquant une véritable dépendance chez son utilisateur. Dans un tel contexte, que la mort soit au bout du fil ne paraît pas du tout aberrant. Cela relève même d’une grande judiciosité, chaque portable amenant à un autre et ainsi de suite, jusqu’à couvrir tout le spectre de l’humanité. A terme, et suivant le principe des vases communicants, la malédiction pourrait toucher toute la planète, n’épargnant que les rares populations et individus qui ont refusé le diktat de la télécommunication. Mais je m’emporte.
L’ambition de Takashi Miike s’avère nettement plus modeste. Il préfère s’en tenir à la société nippone et à l’habituelle enquête concernant les causes de la malédiction. Pour l’occasion, Yumi trouve un allié de poids en la personne de Hiroshi, dont la jeune soeur a aussi été victime de ladite malédiction. Tous deux remontent la piste de ces effrayants appels pour aboutir à une réalité encore plus horrible. Comme souvent dans le cinéma d’épouvante asiatique, l’horreur prend corps au coeur de la famille. Takashi Miike évoque les sévices que certains parents infligent à leurs enfants en se basant sur le syndrome de Munchausen. Les gens atteints par ce syndrome, qui n’a donc rien à voir avec le fantasque baron du même nom, battent leurs enfants pour ensuite pouvoir témoigner de leur entier dévouement envers eux. Cette pathologie confère une tonalité malsaine au film, que la mise en scène ne parvient malheureusement pas à retranscrire, hormis lors d’un flashback explicatif. Finalement, La Mort en ligne n’est jamais aussi effrayant que lorsqu’il se contente de nous dévoiler avec parcimonie la présence fantomatique, ici dans un placard, là cachée derrière un mur. Le film perd beaucoup à jouer la carte du spectaculaire, comme lors de la décapitation de l’amie de Yumi durant l’émission télévisée. Une scène qui permet à Takashi Miike de poser un oeil critique sur toutes ces émissions sensationnalistes qui font florès un peu partout dans le monde. Il fustige tous ces hommes de télévision et ces charlatans qui s’enrichissent sur le dos de personnes en détresse et un brin naives. Peu leur importe de venir en aide à l’amie de Yumi, seule les intéresse l’audience que sa présence à l’émission peut engendrer. Au fond, ils n’y croient pas du tout à cette malédiction, ils cherchent simplement à capitaliser sur un fait divers qui déchaîne les passions. Et Takashi Miike de jouer à fond cette carte là, jusqu’à ce que l’horreur reprenne ses droits. La mort de l’amie de Yumi est symptomatique du recours constant du cinéma horrifique actuel à l’effet choc pour susciter l’effroi, de façon mécanique et au mépris de toute logique scénaristique. Suite à cette décapitation, difficile de conclure à un suicide ou à un accident, comme c’était le cas pour les autres morts. Pourtant, ce nouveau décès ne fait pas de vagues. Takashi Miike préfère coller opportunément aux basques de Yumi jusqu’à la conclusion -proche- du film. Une fin interminable qui comporte son lot de fausses pistes et de faux-semblants.
La Mort en ligne ne constitue qu’une ligne de plus à la longue liste initiée par le succès de Ring. Moins daté que son homologue par ce choix d’un appareil technologique plus que jamais au coeur de nos sociétés, La Mort en ligne n’apporte pas le vent de modernité attendu à un genre trop balisé. Takashi Miike s’est contenté d’un film techniquement correct, mais beaucoup trop sage au regard du reste de sa filmographie. A croire que l’uniformisation de l’horreur tend à déteindre même sur ses éléments les plus iconoclastes. Dommage.