La Mémoire dans la peau – Doug Liman
The Bourne Identity. 2002Origine : États-Unis
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Au large de Marseille, des pêcheurs aperçoivent un corps flotter à la surface de l’eau. Ils le hissent sur leur chalutier et découvrent que l’homme a deux balles dans le dos, et un numéro de compte bancaire suisse sur la hanche. Quand il revient à lui, l’homme est passablement désorienté : devenu amnésique il est incapable de se souvenir de son nom et de sa profession… Il ne tardera cependant pas à se découvrir d’étonnantes capacités de survie, capacité qu’il devra utiliser au mieux pour échapper a cette puissante organisation qui semble vouloir sa mort…
Le spectateur blasé aura bien vite étouffé un bâillement discret devant ce résumé on ne peut plus classique, qui nous présente une énième histoire d’agent secret devenu amnésique… Ce genre utilisé à outrance par le film et le roman d’espionnage donne communément lieu à des films bien fadasses nourris de poncifs idiots. La présence d’une belle gueule hollywoodienne au casting avait de quoi conforter bien du monde dans cette opinion.
Le scénario, signé Tony Gilroy et adapté d’un bouquin de Robert Ludlum (le pape du roman d’espionnage), bien que relativement efficace, pêche quand même par un classicisme certain. Les ingrédients du genre sont bel et biens présents et se renouvellent peu : le héros charismatique est en quête de son propre passé, il est aidé par une jeune nana débrouillarde et jolie. L’inévitable scène de course poursuite est présente, ainsi que tout l’attirail technologique, etc… dans le fond, rien de bien original donc. Le tout est filmé par ce “yes man” de Doug Liman, catapulté on ne sait comment au poste de réalisateur. Bref, tout semblait réunit pour qu’on obtienne un film d’espionnage bien lisse dont la surenchère pyrotechnique et visuelle aurait grand peine à masquer la vacuité profonde… Sauf que non.
Indéniable bonne surprise, La Mémoire dans la peau se démarque assez bien dans la paysage hollywoodien actuel. Assez avare en bonnes idées de mises en scène, le film lorgne cependant très judicieusement vers le cinéma d’espionnage réaliste tel qu’il était conçu dans les années 70. Période de guerre froide et de crise économique, les années 70 avaient vu leur paysage cinématographique se peupler d’excellents thrillers d’espionnages, où le maître mot était “réalisme” : point d’explosions gigantesques et de voitures clinquantes, mais une intensité et un suspense omniprésents. Voilà la formule que reprend avec succès le film de Liman. Pour se faire, il calque sa structure sur celle, ultra efficace, des romans de Ludlum, à savoir d’une part un grand soin de réalisme dans la description des personnages, des lieux, des péripéties, qui confère surtout au film cette ambiance très froide et si réussie. Et d’autre part un recours massif et décomplexé aux scènes d’actions et d’aventure souvent “over the top”: il s’agit d’en donner pour son argent au spectateur. Combats très secs et violents et courses poursuites dynamiques s’enchaîneront ainsi sans temps morts.
La véritable force du film c’est de réussir à emporter le spectateur dans une course contre la montre qui démarre dès le début du film et ne s’arrête qu’à la fin: la tension ne doit jamais faiblir, et Liman s’en sort assez bien en exploitant son scénario de manière plutôt efficace. Si le métier de Jason Bourne est un secret de polichinelle que le spectateur ne tardera pas à percer à jour, son passé demeure mystérieux et constitue l’enjeu narratif du film. A ceci vient donc se greffer un déluge de scènes d’action, ce qui permet de maintenir constamment en éveil le spectateur (soit par les révélations, soit par l’action) et de faire planer sur le film un climat d’urgence sans cesse renouvelé. Pour ne rien gâcher, le film bénéficie de personnages excellents, que ce soit Jason Bourne parfaitement incarné par un Matt Damon bien moins lisse qu’à l’accoutumée, ou ses multiples adversaires, tous dotés d’une personnalité typée et immédiatement identifiable. Et on signalera aussi une excellente scène de course poursuite urbaine en mini Cooper, qui choisit judicieusement d’éviter là encore le clinquant inutile qu’apporte les voitures de courses étincelantes pour se concentrer sur une mise en scène dynamique et pêchue, qui n’est pas sans évoquer la mythique course poursuite de French Connection de Friedkin…
Ces nombreuses qualités feront ainsi oublier les quelques poncifs inévitables et les rares fautes de goûts du film. Il faudra quand même un jour qu’à Hollywood ils comprennent que présenter un personnage en faisant apparaître sa tête, qui tourne, sur un fond bleu gris technologico-Matrixesque, c’est moche et tout juste digne d’un dessin animé TF1.
Bref, s’il ne révolutionne pas le genre, La Mémoire dans la peau demeure un bon film divertissant et survolté qui fait plaisir à voir.