La Grande attaque du train d’or – Michael Crichton
The First Great Train Robbery. 1979.Origine : Royaume-Uni
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Rompu aux coups les plus osés et rocambolesques, Edward Pierce (Sean Connery) ambitionne de réaliser le premier hold-up ferroviaire de l’histoire. En ligne de mire, le train qui transporte la solde en lingots d’or des soldats anglais qui se battent en Crimée entre la gare du London Bridge à Londres et celle de la petite bourgade de Folkestone. Une gageure puisque le coffre-fort contenant lesdits lingots ne peut s’ouvrir qu’à l’aide de quatre clés, chacune étant la propriété d’une personne différente entre le directeur de la banque Huddleston et Bradford, son adjoint et le chef de la compagnie ferroviaire qui lui en détient deux. Homme de défi, Edward s’associe à Robert Agar (Donald Sutherland), un spécialiste es coffres-forts, chargé de dupliquer les clés. Il peut également compter sur l’indéfectible soutien de sa maîtresse Miriam (Lesley-Anne Down) et du discret et dévoué Barlow (George Downing). Eux trois seuls sont dans la confidence. La réussite d’un tel coup nécessite la plus grande discrétion. Un crédo qui ne sera pas toujours facile à tenir en fonction des obstacles qui vont se dresser sur leur route.
Écrivain prolifique longtemps caché derrière des pseudonymes auquel le cinéma ne s’intéresse encore que de manière sporadique (Le Mystère Andromède de Robert Wise en 1971 puis L’Homme terminal de Mike Hodges en 1975), Michael Crichton élargit son champ d’action au début des années 70 en passant à la réalisation. Des débuts discrets sur le petit écran avec Pursuit, adaptation de son roman Binary, puis nettement plus marquants avec Mondwest, sa première incursion au cinéma sur un scénario original. A son producteur de l’époque qui lui demandait pourquoi il n’en avait pas fait un roman, il argua que l’histoire était trop visuelle pour fonctionner à l’écrit. Il ne se posera plus la question au moment d’écrire Jurassic Park dont le propos reprend les grandes lignes de Mondwest, la génétique se substituant à la robotique et le T-Rex à Yul Brynner. Il enchaîne ensuite avec un thriller en milieu médical, Morts suspectes, adapté du roman éponyme de Robin Cook. Un milieu qu’il connaît bien, il a suivi des études médicales à Harvard, et qui le fascine au point de produire l’une des séries phares des années 90, Urgences. Pour son troisième film, il voit les choses en grand en adaptant son propre roman – Un train d’or pour la Crimée – lui-même inspiré d’un véritable fait divers de l’époque. Une ambition qui, toute proportion gardée, s’accorde aux desseins de son héros. Pour l’occasion, il renoue avec les fastes du film en costumes, nos plongeant dans le Londres de l’époque victorienne. Un faste qui se retrouve dans sa distribution avec en tête d’affiche l’imposant Sean Connery auquel il associe le fantasque Donald Sutherland pour un duo tout en charme et malice.
La Grande attaque du train d’or s’appuie sur un récit d’une grande linéarité dont tous les tenants et aboutissants nous sont exposés en préambule par l’entremise d’une succession de séquences couleur sépia narrée par Sean Connery lui-même. En gros, l’introduction du film nous présente un problème a priori insoluble que Edward Pierce va consciencieusement s’efforcer de résoudre. Un personnage volontairement opaque qui se vante auprès de sa maîtresse de ne jamais dire la vérité à ses interlocuteurs. Ce qui, mensonge ou non, revient à baisser la garde devant une partenaire totalement conquise et qui goûte fort peu la désinvolture dont il fait preuve lorsqu’il s’agit de la jeter dans les bras de Henry Fowler, dépositaire de l’une des quatre fameuses clés nécessaires à l’ouverture du coffre-fort. De manière générale, Michael Crichton ne cherche pas à épaissir outre mesure ses personnages, lesquels se définissent uniquement par leurs actes. Edward est le cerveau, la clé de voûte de toute l’entreprise. Celui qui ne baisse jamais les bras en dépit des embûches et des menus contretemps, gardant toujours un tour dans son sac pour mener à bien la mission qu’il s’est assignée. S’il n’est pas infaillible – il finit tout de même devant le juge et doit composer avec la trahison de l’un de ses subalternes – Edward sait néanmoins s’entourer d’une garde rapprochée aussi irréprochable que dévouée. Seul, il ne peut rien. Et s’il reste le chef incontesté de par son autorité naturelle, il n’a jamais à hausser le ton pour obtenir ce qu’il désire. Son calme en toutes circonstances, du moins devant témoin, impose le respect. Il éprouve un réel plaisir à mener ce type d’opérations. On ne sent chez lui aucune autre nécessité que celle du challenge à relever. En outre, il se révèle parfaitement à l’aise au milieu des bourgeois sans qu’on ne ressente chez lui une quelconque acrimonie à leur endroit. Son tatouage trahit une ascendance populaire qu’il ne porte jamais en étendard. Edward n’est pas homme d’idéal mais de défi. Sans ostentation et paroles inutiles, il forme avec Robert, Miriam et Barlow un quatuor de rois de l’entourloupe hors pair, aussi insaisissables qu’attachants. Pourtant, dans le contexte de cette guerre de Crimée, leur braquage – sans violence – se teinte d’amoralité. Ils s’attaquent ni plus ni moins à la couronne en dérobant l’or destiné à ses braves soldats alors qu’eux mènent une vie de patachons bien tranquilles au pays. Un parti-pris assumé qui ne vaut pas discours critique de la part de Michael Crichton. Avec ce film, il ne cherche pas à remettre en cause le passé colonialiste du Royaume-Uni, ni à mettre en avant les laissés pour compte. Nos voleurs n’ont rien de malheureux bougres. Ce sont justes de formidables personnages de fiction, aux liens distendus avec la réalité, et dont les actes visent avant tout à divertir.
Mondwest avait déjà fait état du sens du spectacle de Michael Crichton et La Grande attaque du train d’or tend à le confirmer. Si le récit ne réserve aucune surprise notable, il n’en contient pas moins des moments de grand suspense. A ce titre, la grande scène attendue du vol à bord du train en marche tient ses promesses. Aux intermèdes humoristiques apportés par le personnage haut en couleurs interprété avec délectation par Donald Sutherland et l’exténuante tempérance des assauts libidineux de Henry Fowler par Miriam alterne la périlleuse progression d’Edward sur les toits du train. Cascades assurées, non sans quelques sueurs froides, par Sean Connery lui-même. Michael Crichton ne cherche pas à se reposer sur le montage pour rendre la scène plus trépidante, privilégiant au contraire des plans longs pour mieux faire apprécier la difficulté de l’entreprise, aussi bien à l’aller qu’au retour. Un climax plutôt efficace auquel je préfère néanmoins l’opération menée de nuit dans les bureaux de la compagnie ferroviaire. Une séquence qui multiplie les points de vue (Edward en guetteur à l’extérieur, Robert et Clean Willy dans les locaux) et rythmée par le décompte des 75 secondes nécessaires à sa bonne réalisation. Une séquence également jouée à blanc au préalable lors de préparatifs méticuleux dans une chambre d’hôtel où Edward titille l’ego de Robert pour l’inciter à ne pas baisser les bras devant l’ampleur de la tâche. L’intrigue se construit ainsi en quatre actes. Trois consacrés à l’obtention des clés et de durée inégale, et le dernier dédié au cambriolage proprement dit. Le ton se fait plus primesautier voire grivois lorsqu’il s’agit pour Edward de s’acoquiner avec le directeur de la banque Edgar Trent et sa famille. Les allusions sexuelles vont alors bon train entre Emily, de 30 ans la cadette de son époux, et l’imposteur lors de savoureux échanges au tour de l’incontournable tasse de thé. Le souvenir pas si lointain de James Bond vient inévitablement à l’esprit sans que Sean Connery joue la carte de la parodie ou même du clin d’œil appuyé. S’il vise bien évidemment à se servir de la mère, puis de la fille, pour savoir où le maître de maison cache sa clé, coucher avec elle n’entre pas dans ses priorités. Edward demeure un gentilhomme, finalement plus attaché à Miriam qu’il ne veut bien l’admettre, et surtout obnubilé par la finalité de l’entreprise. Il n’y a finalement que ça qui compte, le reste n’étant qu’accessoire. L’accessoire, Michael Crichton en fait néanmoins son sel. A quoi bon réaliser un film qui se déroule au XIXe siècle si c’est pour ne pas s’immerger totalement dans cette époque. A la suite de son héros, il nous entraîne donc dans les salons cossus de ces clubs pour gentlemen où ces derniers se gonflent d’importance entre deux saillies machistes. Nous fait découvrir les bas-fonds où les bourgeois aiment à se divertir en misant de l’argent sur les capacités de leurs chiens à tuer un nombre de rats précis dans un temps imparti. Nous introduit dans les maisons closes où ces mêmes bourgeois aiment à s’encanailler ou nous permet d’assister à une exécution en place publique visant, si ce n’est à divertir, au moins à défouler le peuple. Ce même peuple qui fera un triomphe à Edward à sa sortie du tribunal, trouvant certainement dans son panache et son air goguenard matière à s’extasier.
Avec La Grande attaque du train d’or, Michael Crichton réussit un divertissement grand luxe porté par des acteurs exemplaires au plaisir communicatif. L’absence d’enjeu véritable – on se fait finalement bien peu de mouron pour l’issue du cambriolage – est compensée par les diverses péripéties et quelques saillies humoristiques au mauvais goût assumé. Le film n’est pas exempt de défauts, notamment au niveau du scénario, lequel contient quelques facilités. Roublard, Michael Crichton préfère éluder plutôt que s’appesantir sur des détails qui pourraient enrayer la belle mécanique mise en place. Un choix porté par la quête d’efficacité qui s’avère payant. Si le film n’a rien d’inoubliable, il fait néanmoins passer un bon moment, et c’est bien là le principal.