La Grâce – Pierre Tchernia
La Grâce. 1979Origine : France
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Duperrier est un homme raisonnable, calme et tranquille, conduisant sa vie en bon chrétien modelé dès son enfance par les images pieuses. Généreux et tempérant, charitable et compatissant, on aurait du mal à lui trouver un quelconque défaut ou à le prendre en flagrant délit de péché, fut-il bénin. Un saint homme pour ainsi dire, ou presque. Et c’est bien là le problème : un jour, Duperrier se réveille avec, au-dessus de la tête, une auréole, cadeau de Dieu à l’un de ses plus fidèles croyants.
Ce don du ciel, s’il le prend tout d’abord comme un hommage à sa vertu, Duperrier va vite s’en trouver embarrassé. Surtout à cause de Madame, d’ailleurs, fervente catholique, certes, mais qui se dit que quand même, un mari avec une auréole sur la tête, ça ne se fait pas et puis ça va faire jaser dans le quartier et parler dans les chaumières… Terrorisée à l’idée du qu’en-dira-t-on, elle convainc son mari de cacher ce signe de sainteté et, bonasse, il s’en va au travail après l’avoir dissimulé sous un chapeau.
Dans l’usine de chaussures où il est caissier/comptable, son directeur le chambre bien un peu mais, finalement, cette vie chapeautée ne gêne personne tant que son travail est bien fait. Pour Madame Duperrier, ce n’est pourtant qu’un pis-aller et son mari décide donc de tout faire pour la satisfaire et perdre le mérite de ce cercle divin : il va pécher… Commençant par l’orgueil, il dérive assez rapidement vers la gourmandise, puis la paresse, l’envie et la colère, faisant un détour par l’avarice avant de finir, inévitablement et devant la résistance de cette satanée auréole qui ne veut plus le quitter, par la luxure…
La Grâce est un téléfilm de Pierre Tchernia tiré d’une nouvelle de Marcel Aymé, tout comme Le Nain, de Pierre Badel, La Bonne peinture, de Philippe Agostini ou Le Passe-muraille, de Tchernia aussi. La qualité cinématographique en est quasiment absente et la platitude filmique est totale. Nous sommes à la télévision française des années 70 et ça se voit : les décors font penser à du théâtre filmé et les trucages pour suspendre l’auréole au-dessus de la tête de Michel Serrault sont assez sommaires. Les mouvements de caméra sont patauds et la mise en scène tout à fait quelconque. Pourtant, La Grâce se suit sans trop de déplaisir, passé les premières minutes nécessaires pour accepter cet univers artificiel. Et ce grâce, justement, à son sujet profondément ironique qui mène un saint homme à se perdre dans les 7 péchés capitaux pour sauver son couple si ce n’est son âme, celle-ci étant de toutes façons visiblement destinée à finir au paradis. Conformiste, confiné dans une routine quotidienne sans aspérités et d’une austérité presque totale, Duperrier découvre un peu la vie en quittant son univers familial décoré de saintes vierges et d’images édifiantes. Il ne rechigne pas à la besogne devant la résistance de son auréole, bouffant comme 4 à la maison, flemmardant au boulot, jurant à présent comme un charretier, s’attribuant tous les mérites tout en enviant les grands de ce monde, avant de finir en micheton surnommé Saint-Cochon d’une quelconque Rue de la Fesse.
La trame est linéaire et le parcours de ce Duperrier confit en dévotion s’adonnant peu à peu à tous les vices donne l’occasion à Michel Serrault d’occuper un rôle à sa mesure. Ami de Tchernia, dont il a été la tête d’affiche de ses films pour le cinéma : Le Viager, Les Gaspards, La Gueule de l’autre et Bonjour l’angoisse, il incarne ici un Duperrier modèle, tout comme il prit les traits d’un Garou-Garou sympathique dans Le Passe-muraille, deux ans plus tôt. A ses côtés, Rosy Varte, dont la carrière fut aussi bien cinématographique que théâtrale et télévisuelle (Maguy), est une femme sans charme très réussie, dont l’intérêt premier est de ne pas se faire remarquer, surtout de la concierge… Roger Carel, par contre, est comme souvent dans le surjeu. Chef de Duperrier, il en fait trop, bouge trop vite, gesticule plus qu’autre chose et n’apporte au final pas grand-chose ; on préfère, et de loin, le reconnaître dans le doublage d’un dessin animé que de le voir à l’écran.
Réalisé pour Antenne 2 il y a plus de trente ans, La Grâce a donc pris un coup de vieux qui nous ramène effectivement plus de trente ans en arrière. On ne croit pas à l’auréole qui a parfois du mal à suivre son saint coquin, on ne croit pas plus à cette usine qui ne voit travailler qu’un modeste porteur de boites à chaussures et gesticuler un directeur fatigant, mais le tout trouve un peu de ce qui fait le charme des nouvelles de Marcel Aymé, ce côté décalé et un peu fantastique portant sur des personnages banals un regard ironique et grinçant. D’un point de vue filmique, c’est donc totalement nul, d’un point de vue divertissement daté mais sympathique, ce n’est finalement pas si mal.
Je te trouve dur tout de même. Mais tu as raison sur un point, tortilla, ça se laisse regarder.Le Passe-muraille, toujours de Tchernia avec Serrault en 1977 ou bien L’Huissier en 1990, il s’en dégage un je ne sais quoi qui le rend sympathique, non?