La Famille Addams – Barry Sonnenfeld
The Addams Family. 1991Origine : Etats-Unis
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A l’origine, il y a un cartoon créé par Charles Addams dans les années 30. Puis une série télévisée, The Addams Family, apparue dans les années 60 avec l’appui et l’aide de Charles Addams. Une série à succès outre-Atlantique, qui n’atteignit cependant pas la même renommée chez nous, ce qui est d’ailleurs plutôt dommage. Quand le film vit le jour dans les années 90, Charles Addams n’était déjà plus : mort en 1988 des suites d’une crise cardiaque. C’est peut-être justement son trépas qui inspira les scénaristes Caroline Thompson et Larry Wilson à se pencher sur une adaptation filmique de La Famille Addams. Tout deux sont en tout cas des auteurs inspirés par les visions macabres décalées, et ils s’illustrèrent d’ailleurs régulièrement en travaillant avec le cinéaste le plus proche de leur vision : Tim Burton (Thompson travailla ainsi sur Edward aux mains d’argent, puis, depuis, sur L’Etrange Noël de monsieur Jack et sur Les Noces funèbres, tandis que Wilson participa au scénario de Beetlejuice). Ainsi, l’œuvre de Charles Addams ne pouvait pas manquer de les inspirer, autant d’ailleurs que le bonhomme en lui-même, qui au cours de sa vie s’amusa à prolonger sa plus célèbre création à travers sa propre vie privée : collectionneur d’arbalètes, propriétaire d’une pierre tombale utilisée comme table de salon, il se fit aussi remarquer en épousant sa troisième femme dans un cimetière d’animaux avant d’emménager avec elle quelques années avant son décès dans un domaine baptisé “le marais”. Avec un peu d’imagination, certains pourraient même réussir à tirer un film de sa biographie… La Famille Addams avait donc tout pour plaire aux scénaristes du film de 1991, et le décès de l’auteur aida sans aucun doute à replacer son œuvre au goût du jour. Restait à trouver un réalisateur. Vu l’époque, avec du recul, on peut se dire que Tim Burton aurait été parfait, mais toujours est-il que le projet atterrit entre les mains d’un directeur de la photographie talentueux mais encore novice dans les fonctions de metteur en scène : Barry Sonnenfeld, fidèle collaborateur des frères Coen, pour lesquels il travailla sur Blood Simple (Sang pour sang en VF : un titre honteux), sur Arizona Junior et sur Miller’s Crossing.
Un choix après tout pas plus saugrenu qu’un autre, puisque le scénario n’est disons le tout de suite pas très palpitant, reposant tout entier sur les frasques de la famille Addams. Celle-ci se voit ainsi opposée à toute une clique de personnages malintentionnés jaloux de la fortune de cette famille bizarre, portée sur tout ce qui est morbide mais qui s’est séparée voici de nombreuses années de Fester Addams, frère de Gomez, le chef de famille. En utilisant un Fester amnésique et lobotomisé, les rapiats vont essayer d’investir le manoir des Addams pour y trouver la colossale fortune qui repose dans les sous-sols de la demeure. Un scénario franchement léger, et qui de toute évidence ne sert que de véhicule à des gags épars et à l’utilisation des diverses personnalités des membres de la famille. Gomez est ainsi un latin romantique et chevaleresque, complété par Morticia (Anjelica Huston), son épouse, icône funeste entre la femme fatale et Vampira. Tous deux dominent le film de la tête et des épaules, et une large part de la sympathie que peut inspirer l’œuvre de Sonnenfeld est à mettre au crédit des deux acteurs, Raul Julia et Anjelica Huston. Epris l’un de l’autre, ils manifestent leurs sentiments par une débauche de déclarations croustillantes, pleine de sous-entendus érotiques et sado-masochiste. Séparément, ils font en plus mieux que tenir la route : Gomez et son penchant pour le spectaculaire (ses combats à l’épée, ses “bagarres” avec son frère) et Morticia avec son perpétuel comportement de vamp gothique sont l’âme même du film, et à ce titre il n’était pas facile pour les autres personnages d’exister. En effet, quelques membres de la famille sont presque complètement abandonnés : c’est le cas de Lurch, le majordome, qui à part sa ressemblance avec la créature de Frankenstein version Karloff n’a pas grand chose à proposer, tout comme la grand-mère Addams, caricature de sorcière sous-employée. Les enfants s’en sortent quant à eux un peu mieux, notamment la fille, Wednesday, jouée par une talentueuse Christina Ricci qui pourrait aussi bien être la sœur d’un certain Damien Thorn. Pugsley, le garçon, est moins intéressant, mais parvient grâce à ses relations avec sa soeur (leurs jeux de torture) à prendre un peu de relief. Le cas de Fester sera un peu à part du fait de son utilité dans le scénario : plus il redeviendra l’Addams qu’il a été, plus il se révèlera plaisant, avec son aspect balourd et sa personnalité tordue. D’autres personnages viendront avec plus ou de moins de bonheur compléter cette gallérie : on retiendra bien entendu “La Chose”, une main littéralement baladeuse qui passe presque pour l’animal de compagnie, ainsi que le cousin Machin, que la pilosité surdéveloppée et dont la voix suraigüe inaudible n’empêche pas d’éprouver des sentiments.
A l’instar de ces deux derniers personnages, La Famille Addams, le film, sera un métrage qui reposera tout entier sur des scènes bien plus visuelles qu’intellectuelles. On pourra critiquer cette facilité plaçant le script au second plan et ne l’utilisant que pour aligner les situations humoristiques, mais en tout cas, les trouvailles, les gags, se révèlent ma foi très sympathiques. Quelques scènes sont dignes d’éloges : c’est le cas notamment du bal célèbrant le retour de Fester, ou encore du spectacle proposé par les enfants lors du spectacle de leur école. Des scènes très expensives qui n’ont d’autre buts que celui de nous faire apprécier le mode de vie étrange des Addams en ridiculisant quand il le faut celui de la société conformiste et matérialiste. Un thème qui aurait très bien convenu à Tim Burton, mais dont Barry Sonnenfeld n’utilise que le potentiel humoristique. C’est déjà ça de gagné, et au moins sur ce plan là il gagne son pari : La Famille Addams est un film réjouissant, décalé et à l’humour noir façon grand-guignol appréciable. Si rien de tout ça n’est franchement très noir, quelques morceaux ressortent en tout cas du tout-venant des comédies familiales : le gore du spectacle offert par les enfants mentionné plus haut est quelque part comparable à la démarche de celui d’un film comme le Braindead de Peter Jackson dans le sens où il utilise l’exagération théâtrale pour transcender l’aspect choquant d’une effusion de sang (du grand-guignol, quoi). Toute la base du film repose là : les tortures vécues comme des jouissances sado-masochistes, les savoureuses descriptions de maladies ou encore les compliments adressés aux personnages faisant preuve de défauts grave (les Addams qui félicitent ceux qui cherchent à les voler en faisant preuve d’un totale manque de scrupules), tout ça repose sur cette même volonté de désacraliser la noirceur et les penchants macabres pour en faire des éléments comiques assumés, sans toutefois les rendre ridicules. C’est un peu comme si les ressortissants du mouvement gothique à la mode actuellement cessait de se prendre au sérieux pour rire de leur image…
Et puis au rayon des réussites du film, notons aussi que Sonnenfeld, réalisateur mais aussi directeur photo de son propre film (du moins il remplaça un collègue défaillant), réussit à donner une vraie identité à l’ensemble : le manoir est superbe, ses recoins non seulement nombreux et riches en potentiel humoristiques, mais ils sont aussi très beaux, comme par exemple le cimetière à la vue duquel on ne peut que songer à L’Etrange Noël de monsieur Jack que rédigera quelques années plus tard la scénariste Caroline Thompson. De plus, Sonnenfeld n’oublie pas de rendre hommage au cartoon et à la série télévisée : même si il prend certaines libertés avec quelques éléments familiaux (le grand-mère est la mère de Morticia au lieu d’être celle de Gomez…), il reprend tel quelles certaines idées issues du cartoon de Charles Addams, tel que la marmite d’eau bouillante versée sur les visiteurs, ou encore le train utilisé par Gomez pour passer ses nerfs. Et à la série, il utilise le plan dans lequel Fester est capable de faire s’allumer une ampoule en la mettant dans sa bouche. Bien d’autres choses encore sont issues des antécédents des Addams, choses plutôt bien intégrées au récit, qui dès le départ ne visent pas autre chose que l’étalage d’idées comiques.
Bref, Barry Sonnenfeld, s’il ne réalise pas là un grand film, réalise en tout cas une belle succession de scénettes et de gags proposés par un scénario qui ne cherche jamais à viser autre chose. C’est là la limite du film, mais c’est là aussi que réside toute la sympathie qu’il inspire.