La Clepsydre – Wojciech J. Has
Sanatorium pod Klepsydra. 1973Origine : Pologne
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Un wagon délabré et brinqueballant et un contrôleur aveugle. Un sanatorium sinistre aux couloirs déserts et lugubres. Un lit posé au milieu d’une pièce dans lequel git Jacob. Ou dort. Car il est mort, ailleurs, mais il ne l’est pas, ici, explique le docteur. Là, il dort.
Joseph, son fils, est venu le voir à moins qu’il ne soit venu se voir, lui.
Il déambule dans la bâtisse et rencontre son passé, son enfance.
Il passe une porte et le voilà dans la boutique familiale.
Il grimpe à une échelle et il retrouve Adela, rousse flamboyante qu’il observe, nue, derrière un paravent.
Regards. Découverte. Il est adulte mais il ne l’est pas.
Il se couvre la tête d’un casque de pompier. C’est un enfant. Ou c’est un adulte qui revit son enfance. Ou c’est un adulte qui rêve son enfance.
Des Juifs vendent du tissu. Des Juifs chantent, des Juifs parlent.
Puis Joseph rencontre des Noirs. « Des noirs, en cette saison ! » dit-il, étrangement.
Il est sur un bateau à roues à aubes posé dans un pré, navire vieillissant là, loin de tout fleuve, de toute rivière, loin de la mer.
Il rencontre Bianca, dont la mère supporte le poids de fantômes et de fantasmes.
Il rejoint une galerie de mannequins costumés, rien moins que Maximilien d’Autriche, l’empereur du Mexique, et sa cour. Un mannequin tombe, son visage se brise, libérant un œil factice et un ressort. Puis du sang.
Joseph voyage dans l’espace et dans le temps.
Il est avec son père, puis avec sa mère, glisse sous un lit pour rejoindre l’extérieur, regarde par les fenêtres, observe par toutes les ouvertures possibles, traverse la vie, la sienne, celle de ses proches.
Joseph erre. Dans la réalité retrouvée, dans le rêve devenu réalité, dans un passé qui est présent et un présent qui ne l’est plus.
Joseph est le Juif errant, perdu chez lui, perdu en lui, dans les méandres de son esprit et dans celui de Bruno Schulz, le peintre et poète polonais au destin tragique (assassiné par les SS en 42) qui écrivit les nouvelles dont s’inspira Has pour réaliser son film.
Joseph est à la recherche de son père.
Il le retrouve plusieurs fois. Des réminiscences du passé. Un être très proche, très vivant, mais qui s’éloigne aussitôt et tourne au coin d’une pièce obscure.
Un homme qui vit et travaille dans une pièce pleine d’hommes et d’enfants, pièce qui, l’instant d’après, est vide, poussiéreuse, et envahie par les toiles d’araignée.
Le temps s’arrête, recule, avance en méandres tortueux. Une clepsydre est d’ailleurs une horloge à eau.
Mais elle semble incapable de contrôler le temps.
La logique s’y perd…
Le sanatorium est fantomatique et pourtant le docteur y couche avec l’infirmière.
Un homme coiffé d’un casque colonial propose des œufs d’oiseaux rares apportés par des indigènes nommés Honduras et Guatemala.
Un enfant appelé Rodolphe tient un carnet de timbres et cite des noms de pays ou de ville en compagnie de Joseph. Java, Sumatra, Bornéo, dit l’un. Pernambouc, dit l’autre.
Les images sont souvent très belles et très travaillées, comme une suite de tableaux dans lesquels s’égarerait un homme en quête de vérité. Sur lui-même, sur son père, sur la vie et la mort.
Has a étudié la peinture aux Beaux-arts avant d’étudier le cinéma à Cracovie. Il compose ses cadres en y soignant les décors, les lumières, les déplacements des différents protagonistes.
Il n’en oublie pas son histoire au passage mais la déréalise pour la rendre onirique. Le spectateur erre dans cet univers autant que le personnage principal. Il s’y perd, sans les repères habituels du cinématographe. Déstabilisé par une structure complexe, qui multiplie les va-et-vient entre les lieux, les moments et les gens. Qui multiplie les fusions d’espace et de temps. Les confusions, aussi.
C’est assez surréaliste.
Certaines séquences peuvent faire penser à Jodorowski, d’autres à Gilliam, d’autres encore à Argento.
Fellini et Tarkovski ont aussi été évoqués. Mais en fait, c’est assez unique et, tout comme Le Manuscrit trouvé à Saragosse, autre film marquant de Has, assez fascinant. Souvent déroutant. Parfois éreintant.
A dire vrai, on ne s’y retrouve pas toujours dans ce labyrinthe inquiétant.
Mais on reste accroché à ce personnage. Et on le suit dans ce dédale, quitte à s’y perdre.
La Clepsydre est poétique, onirique, fantastique, surréaliste.
Pour ma part, je dois bien avouer que je n’y ai rien compris.