L’Inspecteur ne renonce jamais – James Fargo
The Enforcer. 1976.Origine : États-Unis
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Après avoir tué deux employés de la Western Gas et s’être emparés de leur véhicule, Bobby Maxwell et sa bande pillent un entrepôt d’armement. Sur place, ils sont surpris par l’inspecteur Di Georgio, qui manque de tout faire capoter. Gravement blessé durant son intervention, celui-ci succombera à ses blessures à l’hôpital, sous les yeux de Harry Callahan, son partenaire habituel, absent ce soir-là pour cause de suspension par sa hiérarchie. En délicatesse avec son supérieur, le capitaine McKay, et nanti d’une nouvelle équipière, l’inexpérimentée Kate Moore, Harry mène l’enquête sur cette bande qui se réclame du mouvement “Force du peuple révolutionnaire” et qui menace de perpétrer des attentats si elle n’obtient pas rapidement 1 million de dollars.
Véritable manne financière pour la Warner Bros, l’inspecteur Harry Callahan (curieusement rebaptisé Callagan dans la version française) revient logiquement aux affaires pour une troisième enquête. A Don Siegel et Ted Post succède James Fargo, vieux complice de Clint Eastwood depuis L’Homme des hautes plaines, qui bénéficie des largesses de la star, toujours disposé à mettre le pied à l’étrier à ses fidèles collaborateurs. Si les réalisateurs changent, la recette, elle, ne change pas. Ou si peu. Toujours aussi expéditif dans un environnement où même les hommes de Dieu défient la loi, Harry Callahan tend néanmoins à s’adoucir au fil du temps, poursuivant en quelque sorte la “réhabilitation” du personnage amorcée dans Magnum force.
Depuis L’Inspecteur Harry, il est de coutume que Callahan se retrouve avec un nouveau coéquipier sur les bras, chacun étant issu d’une minorité. A l’italo américain du premier film et à l’afro américain du second, succède une femme. Les temps changent, les mœurs aussi, et Harry doit faire avec. L’heure est à l’égalité des sexes, et la police ne veut pas être en reste. Fidèle à lui-même, Harry voit toujours d’un mauvais œil ces changements qui résultent davantage de manœuvres politiciennes que de décisions mûrement réfléchies. Relégué au service du personnel le temps d’une suspension relative à ses méthodes expéditives et extrêmement coûteuses pour la municipalité, il ne se prive pas de dire sa façon de penser avec sa verve coutumière à Mme Grey, membre du bureau du maire. Il raille l’inexpérience de Kate Moore, jusqu’alors cantonnée aux seules tâches bureaucratiques, qui sur le terrain peut non seulement lui coûter la vie à elle, mais aussi à son partenaire. Une envolée qui ne manque pas de sel lorsqu’on sait le sort peu enviable généralement réservé aux coéquipiers de Harry Callahan. Il règne sur eux comme une malédiction qui s’étend même à ses ex coéquipiers, comme en atteste la destinée de Di Georgio. Quoiqu’en ce qui concerne ce dernier, le problème peut être pris à l’envers, à savoir que ce n’est pas tant le fait d’être le coéquipier de Harry qui s’avère dangereux, que celui d’exercer le métier de policier.
Harry a pleinement conscience de la dangerosité de sa profession, tout comme il a conscience de devoir parfois dépasser les frontières de la légalité pour pouvoir rendre justice. Dans ce contexte là, sa misanthropie légendaire prend tout son sens, et aurait même tendance à écorner son image de super flic. Franc-tireur invétéré, son individualisme s’accommode mal de la présence d’un coéquipier, ce dernier venant lui rappeler son rattachement à une institution régie par des règles strictes. Il n’est pas anodin qu’à la fin des deux films précédents, ce soit un Harry Callahan délesté du poids de son coéquipier qui triomphe des méchants. Seul, il peut jouer selon ses règles, n’a de compte à rendre à personne, et surtout n’a à se soucier que de lui-même. On peut d’ailleurs voir dans ses méthodes expéditives le plus sûr moyen qu’il ait trouvé pour ne pas se prendre une balle perdue. Lors de ces climax aux allures de duels, le western n’est jamais bien loin, Clint Eastwood retrouvant pour l’occasion ses airs de pistolero intraitable.
Cependant, la donne change quelque peu dans cet épisode. Comme s’il était épuisé de toutes ces luttes intestines menées contre une hiérarchie aussi butée qu’incompétente (le capitaine McKay est dépeint comme un incapable doublé d’un opportuniste), Harry a tendance à baisser la garde. Voyant de prime abord d’un sale œil son partenariat forcé avec Kate Moore, il lui oppose une morgue de façade qui ne fait guère illusion. Il se montre même étonnamment aimable à son égard, se gardant de tous commentaires sexistes à son endroit. A tel point qu’on en vient à envisager la naissance d’une idylle entre les deux. Le film n’ira pas aussi loin, leur laissant comme seul moment d’intimité une bouteille de jus de pommes partagée dans la quiétude d’un parc. A cette époque, il n’est pas encore concevable que Harry s’attache à quelqu’un. Sa cuirasse a beau présenter des fêlures de plus en plus visibles, il demeure encore ici cette machine à rendre justice coûte que coûte, que la bêtise de sa hiérarchie lui ôtant le droit légal de le faire ne suffit pas à enrayer. De fait, il n’agit pas tant pour venger son ex coéquipier Di Georgio que par refus d’abdiquer face à la racaille, au contraire des hautes autorités prêtes à satisfaire aux exigences des terroristes. Ces derniers sont d’ailleurs traités par-dessus la jambe par un scénario qui leur laisse peu de latitude pour s’exprimer. Ils n’ont aucune consistance, et ne servent qu’à fustiger ces pseudos révolutionnaires tellement aveuglés par leur cause qu’ils en viennent à être à la merci de mercenaires pour peu que ceux-ci sachent les caresser dans le sens du poil. Et le final d’opposer deux formes d’idéalisme pour une issue connue d’avance, jusque dans la mélancolie de façade affichée au moment du générique de fin.
Sans être déshonorant, cet Inspecteur ne renonce jamais est loin d’égaler ses prédécesseurs. L’ambiguïté des débuts tend à disparaître au profit de la quasi infaillibilité du célèbre inspecteur. Toutes les réserves qu’il émettait au début du film quant à l’introduction d’éléments inexpérimentés au sein des forces de police trouvent leur justification à la fin du film. Au bout de trois épisodes, ses rudes manières tournent au gimmick et ne questionnent plus autant le spectateur puisqu’il agit toujours à raison. Quant à son ennemi, il ne se trouve plus seulement dans la rue mais douillettement installé dans un bureau, totalement déconnecté de la réalité du terrain. Plus que jamais, Harry se pose ici en héraut du peuple et pourfendeur de l’hypocrisie politicienne. Preuve s’il en était encore besoin de la récupération du personnage par le public.