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L’Impossible monsieur Bébé – Howard Hawks

impossiblemonsieurbebe

Bringing up Baby. 1938 

Origine : Etats-Unis 
Genre : Comédie 
Réalisation : Howard Hawks 
Avec : Cary Grant, Katharine Hepburn, May Robson, Charles Ruggles…

Demain est un jour important pour le paléontologue David Huxley (Cary Grant). Il doit recevoir la clavicule intercostale qui doit mettre un terme à quatre ans de travaux pour reconstituer le brontosaure de son musée, et dans la foulée il doit épouser sa secrétaire. Mais aujourd’hui n’est pas un jour à négliger non plus : il doit rencontrer l’avocat Alexander Peabody, représentant d’une riche femme du monde susceptible de faire une donation d’un million de dollars à son musée. Il est donc vital de faire bonne impression, et ce dès la première rencontre avec l’avocat, sur un terrain de golf. Cependant, une balle égarée va contraindre David à faire la connaissance de Susan (Katharine Hepburn), jeune femme extravagante et gaffeuse dont David n’arrivera plus à se séparer.

En 1934, le New York – Miami de Frank Capra est venu établir l’une des plus importantes branches de la comédie au cinéma : la screwball comedy. Bien que le genre dans sa forme “pure” ait disparu pendant la Seconde Guerre mondiale, ses conventions n’ont quant à elles jamais cessé d’être utilisées. Là où il y a de la comédie, il y a de fortes chances de trouver des éléments “screwball”, que ce soit dans La Panthère Rose de Blake Edwards, dans les comédies de Michel Audiard, chez le Monty Python ou même dans les comédies adolescentes bas de plafond. Ce qui est finalement logique, puisque la screwball comedy a fait passer la vitesse supérieure à une vieille tradition humoristique que certains historiens du cinéma retracent jusqu’aux pièces de Shakespeare et à la commedia dell’arte, et qui a par la suite évolué en vaudeville et en slapstick, passant au cinéma par l’intermédiaire de gens comme Buster Keaton ou Charlie Chaplin. Homme de progrès, Capra enregistra le besoin de renouvellement de l’humour au cinéma, à une époque où, peu après l’apparition du cinéma parlant, les gags purement visuels ne suffisaient plus à contenter un public exigeant. Aux mimiques et aux grimaces du slapstick, aux claquements de portes du vaudeville, il ajouta une conception extrêmement dynamique du cinéma parlant, exploité comme si les acteurs cherchaient à rattraper le temps perdu et à dire tout ce qu’ils n’avaient pas pu dire au temps du muet. Bien sûr, cela s’accompagna de l’harmonisation de la mise en scène, désormais extrêmement mobile, à l’image de personnages sans cesse sur les nerfs. Sa plus grande réussite en la matière, Capra ne l’atteignit pas dès New York – Miami, mais deux ans plus tard avec Vous ne l’emporterez pas avec vous, chef d’œuvre qui trouva également le moyen de placer au milieu du tourbillon comique de son intrigue un discours social profond et particulièrement émouvant, bien plus en tout cas que dans New York – Miami, qui disposait des mêmes atouts sans atteindre la même réussite. D’autres grands réalisateurs s’essayèrent à la screwball comedy, tels que Howard Hawks, fraichement couronné du succès de son Scarface. Sorti même pas trois mois après New York – Miami, Train de luxe fut une autre œuvre matricielle du genre. Mais là encore, ce ne fut pas la meilleure de son auteur. Ce titre peut incomber à deux films : L’Impossible Monsieur Bébé (1938) qui nous intéresse ici et La Dame du Vendredi (1940).

Avec L’Impossible Monsieur Bébé, Hawks se concentre en réalité sur une histoire d’amour propre à son époque, employée par exemple dans Vous ne l’emporterez pas avec vous. Son principal acteur, Cary Grant, y incarne un paléontologue coincé dans son quotidien besogneux jusque dans sa sphère privée. La femme qu’il s’apprête à épouser, sa secrétaire, lui met clairement les choses au point : pas de voyage de noces tant que le travail important du muséum ne sera pas fini et surtout pas d’enfants à l’avenir. Leur mariage incarne avant tout l’union définitive de David à son travail. A travers son interprétation, Grant dresse une véritable caricature du scientifique replié sur son monde, coincé et poussiéreux. Costume impeccable, cheveux toujours bien coiffés, lunettes envahissantes sont les émanation extérieures de sa personnalité que certains taxeraient aujourd’hui de “geek”. Mal à l’aise dès qu’il s’agit de sortir de son univers, il va bien entendu être décontenancé au contact de Susan, qui incarne son exact opposé. Oisive, fantasque, immature et même puérile, elle se prend pourtant d’affection pour le coincé scientifique, qui tout au long du film va passer son temps à rattraper les boulettes de cette riche jeune femme, qui commencent par le simple vol d’une balle de golf lors de la rencontre avec l’avocat et qui va se poursuivre et s’intensifier via des rebondissements saugrenus dont le moindre n’est pas la responsabilité d’un léopard apprivoisé nommé Bébé. Il ne fait aucun doute que David et Susan finiront en couple, même si Hawks se montre assez léger concernant l’aspect émotionnel unissant les deux personnages entre eux. Au milieu de la cascade de gags, du reste fort bien écrite et limpide du début à la fin, le réalisateur peine à vraiment établir une relation autre que celle de la complicité, et compte tenu de la nature exubérante et infantile de Susan, l’impression dominante est plutôt celle d’assister aux jeux de deux grands enfants en colonie de vacances.

Et en fin de compte, c’est peut-être bien ce qu’a voulu Hawks : retranscrire la vision du monde profondément originale de ces deux individus à part. C’est ce qui les réunit malgré la différence de leurs façons d’être. Susan serait alors l’enfant turbulente échappant au contrôle de sa grand-mère (en fait la riche mécène susceptible de donner des fonds au muséum) tandis que David serait au contraire l’enfant trop sage et féru de dinosaures (sujet propre à fasciner les enfants, demandez à Spielberg), qui trouve enfin un moyen de se libérer tout en prétendant respecter les consignes de l’autorité que représente sa fiancée Miss Wallace, qui serait alors une figure maternelle. Réparer les boulettes de Susan et retrouver sa clavicule intercostale volée par George le chien (une quête qu’il prend en apparence très au sérieux) est en fait l’excuse parfaite pour se laisser aller tout en affichant des allures de garçon responsable, scandalisé d’être ainsi sorti de ses règles de vie. Hawks épouse bien la vision profondément innocente de ses deux têtes d’affiche, relativisant beaucoup (forcément, puisque c’est source d’humour) les conséquences de leur insouciance vis-à-vis des convenances, de la loi et de l’ordre. Il les rend ainsi profondément attachant, en même temps qu’il désacralise la société. Il n’est pas étonnant que la screwball comedy soit apparue avec succès au milieu des années 30 et ait disparue sous sa forme “brute” dix ans plus tard… Elle aura vécu pendant une décennie très dure, entre les retombées de la crise de 29 et la Seconde guerre mondiale, servant ainsi d’exutoire à un public populaire désireux de sortir un peu de sa condition. L’orientation prise par L’Impossible Monsieur Bébé est celle-ci, celle de décrire un monde irréel, sans grosse menace, où l’optimisme et la joie sont les maître-mots. Cet objectif se fait avec un cruel manque de subversion, tous les personnages secondaires -si ce n’est la fiancée de David, figure autoritaire que l’on ne voit qu’au début et à la fin- apparaissant comme de sympathiques adultes responsables, attendant que “jeunesse se passe”.

Pour se rapprocher du niveau des meilleures comédies de Capra, celles où l’humour côtoie l’amour et la subversion, il faudra attendre La Dame du vendredi, deux ans plus tard, avec laquelle Hawks versera dans une vision plus adulte, en se plaçant dans le monde du journalisme. Ce qui n’empêche pas L’Impossible Monsieur Bébé d’être déjà un film de haut niveau, bénéficiant d’un scénario sans temps mort plongeant de plus en plus dans la folie douce (à ce titre, le After Hours de Scorsese peut être vu comme un de ses héritiers) et des échanges oraux de ses deux protagonistes, le moulin à paroles Katharine Hepburn et le paniqué Cary Grant. Preuve de la totale réussite du rythme trouvé par Hawks, l’absence totale de musique, devenue inutile lorsque le scénario, le montage et les acteurs sont à ce point dynamiques.

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