CinémaThriller

L’Étrange vice de madame Wardh – Sergio Martino

etrangevicemmewardh

Lo Strano Vizio della Signora Wardh. 1971

Origine : Italie / Espagne 
Genre : Giallo 
Réalisation : Sergio Martino 
Avec : Edwige Fenech, George Hilton, Ivan Rassimov, Alberto De Mendoza…

Accompagnant son mari l’homme d’affaire Neil Wardh (Alberto De Mendoza), Julie Wardh (Edwige Fenech) revient à Vienne, ville où elle avait laissé ses amis et un ancien amant détraqué , Jean (Ivan Rassimov), avec lequel elle avait entretenu une relation sado-masochiste. Déjà fragile du fait des trop longues absences de son mari, Julie commencera à se sentir persécutée lorsque Jean, qui n’a jamais accepté d’avoir été largué, se rappellera à son bon souvenir en venant l’épier et en lui envoyant des billets pas très doux. A cette situation déjà pas très enviable vient très vite s’ajouter la présence d’un tueur ganté qui sévit à Vienne, et qui ne tarde pas à s’en prendre à une Julie décidément malchanceuse. Se peut-il que le tueur soit Jean lui-même ? Rien n’est moins sûr. Seul rayon de soleil dans ce monde de grisaille, Julie peut compter sur le soutien de George (George Hilton), figure protectrice rencontrée par l’entremise de son amie Carol (Cristina Airoldi).

Pour son premier giallo, Sergio Martino ouvre le bal avec une référence certainement pas incongrue dans un genre très porté sur les traumatismes mentaux : une citation de Sigmund Freud. Classique, pense alors l’habitué des gialli, qui a déjà vu passer maints et maints films dans lesquels les souvenirs d’enfance revenait hanter l’héroïne et / ou le tueur. Et pourtant la citation du vieux Sigmund ne traite pas de l’enfance, mais de la violence humaine qui se répète inlassablement de génération en génération. Et le film de Martino n’a pas grand chose à voir avec les gialli psychanalytiques et psychédéliques tortueux qui feront les belles heures de Fulci ou de Martino lui-même. L’Etrange vice de madame Wardh est une timide entrée en matière d’un jeune réalisateur encore en rodage qui se contente d’une histoire très classique, traversée de fulgurances certes gratuites mais pourtant loin d’être dépourvues de tout intérêt. Les plus belles scènes du film sont ainsi des flashbacks ou des cauchemars à forte dimension surréaliste, dans lesquels le réalisateur associe sexe et violence dans des cadres sortant du milieu sophistiqué et BCBG où évoluent quotidiennement les personnages. Évoquant généralement la liaison passée entre Julie et Jean, Martino associe sexe et violence (donc le sado-masochisme) avec une perversité qui préfigure ses meilleurs films, L’Alliance Invisible et Your vice is a locked room and only I have the key (ce dernier titre étant d’ailleurs emprunté à un des mots adressés par Jean à Julie dans le présent film). La très belle Edwige Fenech et le très menaçant Ivan Rassimov brillent tout particulièrement dans ces courtes scènes, avec mention au charme tordu véhiculé par ces ébats pimentés par des éclats de verre entre les corps enlacés. Certes, Martino nous fait tout un cinéma pour des choses qui n’amènent strictement rien au récit (et qui ne font que répéter ce qui a été dit à d’autres moments dans les dialogues), mais puisque le reste n’est pas très palpitant, il est conseillé d’en profiter à sa juste valeur.

La relation entre les personnages de Fenech et de Rassimov sera d’ailleurs à peu près l’ingrédient le plus notable du film, surtout par le biais d’un Rassimov toujours ambigu, à mi-chemin entre le psychopathe (une piste entretenue par la présence du tueur de Vienne) et le post-adolescent naïf mal remis de sa déception amoureuse. Autant le personnage que l’acteur dominent le casting masculin, au nez et à la barbe d’Alberto De Mendoza en mari tristounet et de George Hilton en amant protecteur. Tous deux ne sont que des figures imposées que Martino traite pourtant avec un trop grand sérieux, faisant notamment plonger le film dans le pire mélodrame lorsque George et Julie se déclarent leur tendresse ou tentent de se forger un avenir dans l’adversité. Les grandes phrases et le romantisme bas de gamme entretenus par une musique très “fleur bleue” ne jouent certainement pas en faveur du film, qui avec sa multitude de personnages masculins avait pourtant de quoi se montrer bien plus hargneux, compte tenu de l’isolement de Julie, privée à mi-parcours de son amie Carol et donc livrée à tous les hommes qui l’entourent. Il choisit de ne faire peser les soupçons des meurtres et des persécutions que sur le personnage de Rassimov, les deux autres hommes se contentant donc du rôle de soutiens moraux et développant une sorte de concurrence amoureuse qui n’a clairement pas sa place dans un giallo. Les apparitions du tueur sont un peu diluées dans cette incapacité à utiliser tous les personnages convenablement, tant et si bien qu’on finit par ne plus trop se poser de questions au sujet de l’homme en noir adepte de la lame de rasoir. Prouver qu’il s’agit bien de Jean et s’attacher les sentiments de Julie passe au dessus de l’instinct de préservation qui devrait pourtant animer George et Neil, retirant à L’Etrange vice de madame Wardh une bonne partie de la tension qui aurait dû rythmer le film. Même chose concernant l’étrange vice en question : là où on aurait pu s’attendre à voir la perversité de Julie refaire surface, Martino préfère la limiter dans son statut de bourgeoise bien propre sur elle, cédant aux avances du très lisse George plutôt qu’à celles de Jean. Cela aboutit à davantage de réalisme, d’accord (encore que Edwige Fenech cède par moment à l’exagération), mais les meilleurs gialli ne sont ils pas après tous ceux qui prennent leurs distances avec la réalité ? Ancré dans un réel dont on se soucie peu, le film n’offre pas assez de scènes croustillantes et demeure plombé par sa linéarité. Outre les flashbacks et les cauchemars, Martino place bien plusieurs scènes typiquement giallesques (course-poursuite dans la nuit, érotisme) avec une photographie et une mise en scène adaptées, mais elles peinent à exister. L’Etrange vice de madame Wardh est bien trop sage, et ses qualités reposent sur des séquences superflues, à l’image d’un final original bourré de rebondissements vaseux qui parviennent contre toute attente à insuffler toute la densité qui faisait jusqu’ici défaut.

Après encore un film de rodage, La Queue du scorpion, Martino parviendra à se mettre dans le crâne qu’un scénario de giallo n’est qu’un support pour laisser le metteur en scène tenter des choses inédites. Ce qui fera de lui l’un des meilleurs réalisateurs du genre. Pour l’heure, il est encore un peu trop timoré et, si il n’avait pas été réalisé par l’un des maîtres du giallo, L’Etrange vice de madame Wardh se serait fondu dans une masse anonyme.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.