King Kong vs. Godzilla – Ishirô Honda
Kingu Kongu tai Gojira. 1962Origine : Japon / États-Unis
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Depuis Le Fils de Kong en 1933 (tourné la même année que King Kong), le singe géant n’a plus beaucoup fait parler de lui. Et pourtant, il demeure une des vedettes les plus appréciées du cinéma américain, ne serait-ce que parce qu’il symbolise un grand bond en avant dans le domaine des effets spéciaux. Justement, c’est son principal concepteur, Willis O’Brien, qui eut sur ses vieux jours l’envie de le faire revenir sur les écrans. Son idée était d’opposer King Kong à une version géante de la créature de Frankenstein. Hélas pour lui, son projet en stop motion exigeait un budget décourageant pour les studios démarchés. Prise en main par le producteur John Beck, la recherche de fonds dépassa les frontières américaines et échoua sur l’archipel nippon, où la Toho recherchait justement une bonne idée pour célébrer son trentième anniversaire. Ce fut ainsi qu’un des symboles du cinéma U.S. atterrit entre des mains étrangères, O’Brien (qui ne vivrait pas assez longtemps pour voir le résultat final) se retrouvant dès lors écarté d’un projet qui substitua Godzilla à la créature de Frankenstein. Réalisée par Ishirô Honda, réalisateur du premier Godzilla, cette confrontation allait -comme les deux précédentes apparitions du lézard géant- subir les modifications de vigueur pour les salles américaines, orchestrées cette fois à bon droit par John Beck. Toutefois, même si ce dernier a joué un rôle dans la conception du film et qu’il en est co-producteur, on admettra que la version japonaise (celle de cette critique) est la plus légitime, toute l’équipe technique ayant été japonaise. Y compris Eiji Tsuburaya, qui est à Godzilla ce que O’Brien fut à King Kong, et qui s’est chargé de recréer les deux monstres, y compris le sien, revu entièrement. C’est qu’il fallait marquer le coup pour l’anniversaire de la maison mère ! Outre la visite inattendue de King Kong, ce troisième Godzilla est aussi le premier de la série en couleurs, et en “Tohoscope” s’il vous plaît. Pour autant, le luxe a ses limites et la stop motion d’O’Brien ne put être utilisée que pour quelques rares plans facilement détectables.
Dépité par les faibles audiences de l’émission scientifique qu’il sponsorise, un patron apprend qu’un animal géant aurait été repéré sur une île du Pacifique. Voilà de quoi faire remonter le taux d’écoute. Il envoie deux de ses employés pour trouver la bête, baptisée King Kong, et la ramener. Dans le même temps, un sous-marin nucléaire américain se retrouve piégé par un intriguant iceberg lumineux. Cela libère Godzilla de la glace où il était prisonnier. Pour l’arrêter alors qu’il ravage une nouvelle fois le Japon, espérons que King Kong, qui s’est évadé, fera l’affaire.
L’apport d’Eiji Tsuburaya à King Kong vs. Godzilla ne se limite pas à l’aspect pourtant crucial des effets spéciaux. C’est sous son influence et contre l’avis de Ishirô Honda que la décision fut prise de donner au film, et à l’avenir à toute la saga Godzilla, une tonalité plus fantaisiste, loin des allégories nucléaires des deux premiers films. Cette orientation ne pouvait à terme guère être évitée, du moins pas si la Toho voulait garder active sa poule aux œufs d’or. Déjà de mise, mais de façon assez sérieuse dans le précédent volet, l’idée de confrontation avec d’autres créatures ne pouvait que perdurer alors qu’étaient apparus Rodan, Moguera, Baran et Mothra pour le compte du studio, tous sous la houlette de Honda. Le succès du catch à grand spectacle au Japon n’était pas non plus sans laisser une trace. Mais n’anticipons pas plus que nécessaire : si l’aspect comique de King Kong vs. Godzilla est bien présent, si les discours humanistes relatifs à la science y sont globalement absents (seule la conclusion vient nous dire sans périphrase aucune qu’il faut faire attention à la faune et à la flore), cela n’est pas la faute des deux monstres, globalement épargnés par les pitreries ambiantes. Godzilla est égal à lui-même : avec son cri caractéristique, ses épines dorsales électriques, sa queue dévastatrice et son talent de cracheur de feu, il détruit tout sur son passage. King Kong, pour sa part, eu égard à son statut d’invité, est bien reçu et a droit à la part du gâteau. Honda recrée à peu près les évènements marquants du film de Cooper et Schoedsack : le culte qui lui est consacré sur son île, le combat contre un autre monstre géant (ici une pieuvre), le transport en bateau, la destruction d’un train passant sous son nez et l’ascension d’un immeuble avec une demoiselle à la main.
Bien que tout ça soit d’une qualité à la fois dramatique et visuelle nettement moins élevée que dans la version de 1933 (par exemple le transport se fait sur un improbable radeau géant, ou encore la complète inutilité de l’épisode du kidnapping, tout juste bon à faire un clin d’œil), il s’agit d’une marque de respect pour ce monstre qui était alors plus populaire que Godzilla, y compris au Japon. Pour faire bonne mesure, Honda rajoute aussi quelques destructions de son fait, mais cette fois sans l’aveuglement destructeur du lézard : Kong est tel un éléphant dans un magasin de porcelaine. Forcément maladroit et dépaysé. Dans le fond, c’est un bon gars, à l’inverse du Godzilla qui crache son feu partout. En revanche, s’il est déclaré vainqueur en termes de temps d’apparition et de motivations, il cède à son adversaire sur le terrain de l’effet spécial. Ce King Kong là est très laid, avec une fourrure hirsute (en plus brûlée par le feu de Godzilla) et une affreuse texture de visage le faisant ressembler à ce que serait un gorille zombie. Mais le pire est encore la façon dont il est animé : le costume a l’air bien trop grand pour l’acteur qui le revêt, et ses mouvements sont désordonnés. La démarche du singe est très bizarre, notamment pour ses longs bras pendouillants. Son arrivée sur le théâtre du combat final n’est pas à son honneur : endormi et attaché à des ballons (!), il est complétement désarticulé. Godzilla réduit donc le score à 2-1, et tout va se jouer dans les combats directs. Après une première altercation à base de jets de feu contre lancers de rochers, Godzilla semble maîtriser son sujet. La vraie bagarre sera plus spectaculaire et forme un spectacle destructeur d’un très bon niveau. Compte tenu de la relative rigidité des costumes, les corps à corps assurent l’essentiel avec des prises de catch basiques, tandis que les maquettes sont toutes annihilées sans pitié. Toutefois, la réussite de ce match est avant tout due à une bonne gestion des décors reproduisant bien l’échelle de ce combat de titans et permettant à Honda de concevoir des plans de toute beauté, bien aidé il est vrai par l’allure électrique de Godzilla et par l’apport de la couleur. Alors, à qui la victoire ? Quoique cela soit tiré par les cheveux, la Toho l’a attribuée dans une déclaration ultérieure à King Kong, à qui revient l’honneur du dernier plan du film. Je conteste.
En dépit de quelques scories d’origine budgétaire, le duel promis répond globalement aux attentes. Mais pas forcément le film… Car pour concrétiser l’aspect comique désiré sans pour autant ridiculiser ses monstres, Honda doit mettre en avant ses personnages humains. C’est là que le bât blesse. Parce que l’humour en question est tout simplement navrant, basé uniquement sur le surjeu. L’expédition sur l’île du Pacifique est particulièrement pénible, entre les trois crétins grimaçants -leur guide est comme eux- et les japonais maquillés et grimés (avec plumes multicolores) pour jouer un peuple autochtone excessivement caricatural. Du comique bas de plafond guère redressé par des dialogues insipides, qui s’avéreront la spécialité du patron une fois les deux zouaves revenus au Japon. Encore que plutôt que ses dialogues, centrés sur la volonté de réussir à tout prix son coup commercial, c’est une fois de plus la façon grandiloquente dont il les prononce qui est supposée être comique. Une bien terne façon de montrer les dérives du capitalisme. Une seule fois le film fait sourire, lorsque les douanes considèrent King Kong comme un bien de contrebande, et c’est à peu près tout. Hélas plus envahissants que les deux monstres, ces personnages occupent facilement les deux tiers du film pour rien du tout si ce n’est ce simili remake de King Kong. Ils sont aussi flanqués de leurs insipides petites amies, dont on se fout pas mal des réactions face à l’invasion du Japon par Kong et Godzilla, ainsi que par l’armée qui sort les tanks juste pour la forme (ils devraient pourtant savoir que ça ne sert à rien). Notons enfin que la tradition des exotiques cérémonies chantantes et dansantes, par la suite reprise pour de nombreux autres Kaiju (Mothra en tête) s’ouvre avec ce King Kong vs. Godzilla lorsque le culte de Kong est célébré dans le Pacifique. Ce nouveau départ dans la saga laisse pour le moins sceptique, les innovations spectaculaires étant contrebalancées par une chute drastique de la qualité scénaristique. Quant à Kong, il connaîtra sous peu une nouvelle jeunesse, puisqu’en 1966 une série animée co-produite par le Japon et les États-Unis verra le jour, suivie l’année d’après par un film “live”, La Revanche de King Kong (où sous la caméra de Honda il ne fera pas de second round avec Godzilla mais affrontera Mecha-Kong et le Gorosaurus).