Kill Castro – Chuck Workman
Cuba Crossing. 1980Origine : Etats-Unis / R.F.A.
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Avant le Vietnam, il y eut la Baie des Cochons, en 1961. Un fiasco total lors duquel les américains et les expatriés cubains de Miami échouèrent à reprendre possession de l’île socialiste de Fidel Castro. Ce raté leur est resté en travers de la gorge, et ils n’ont qu’un rêve : réussir à mettre fin au règne de Fidel. Cependant, depuis les engagements pris par Kennedy à la fin de la crise des missiles de 1962, ils ne peuvent plus le faire par le biais d’une invasion officielle. La CIA doit donc se replier sur la solution du terrorisme. Mr. Bell convoque donc Hud (Robert Vaughn) et Rosselini (Michael V. Gazzo) pour les charger de cette mission. Le premier, vétéran de la Baie des Cochons, est un anticastriste acharné. Le second est un mafieux exproprié lors de la Révolution de 1959. Ensemble, ils embauchent Tony, un ancien marin qui connaît la mer et les côtes cubaines comme sa poche. Mais Tony (Stuart Whitman) est un élément peu sûr, qui n’aspire qu’à vivre paisiblement des revenus de son bar en Floride auprès de sa femme et de son enfant. Pour s’assurer de sa loyauté, Hud et Rosselini dépêche une femme fatale pour le surveiller, puis ils projettent de lui mettre la pression en kidnappant sa petite famille.
En entamant le film par des images d’archives montrant des discours sur Cuba de Kennedy et des apparitions publiques de Fidel, en les entrecoupant de plans montrant un Robert Vaughn rajeunit en train de piquer une colère au milieu des morts de la Baie des Cochons, Kill Castro se pose d’emblée dans la lignée de ces films “défouloirs” destinés à confronter les Etats-Unis aux pages sombres de son Histoire, souvent dans le but de prendre une revanche fictive. La suite dément cette orientation… ou non. Car il est bien difficile de suivre le cheminement idéologique d’un film à ce point instable, divisé en autant de courants de pensées (et donc autant de conflits) qu’il n’y a de personnages. Comment relier le Kennedy de 1961, la Baie des Cochons, à la CIA fictive de 1980 et à un gouvernement cubain dont on ne nous dit rien ? Le film fait fi de toutes les années séparant les deux dates, avec leur cortèges d’évolution géo-politiques stratégiques. Il est très difficile de savoir si le réalisateur et scénariste Chuck Workman soutient ou non une nouvelle invasion de Cuba, si il condamne les liens entre la CIA et les exilés cubains de Miami (rappelons à toutes fins utiles que ces organisations d’exilés, effectivement subventionnées par la CIA, sont aujourd’hui les seules organisations terroristes passant impunément au travers de “la lutte contre le terrorisme”) ou si il condamne l’ingérence états-unienne dans les affaires de Cuba. Dire que son film est confus est un euphémisme : c’est un bordel sans nom ! Bell -l’émissaire de la CIA- trahit Hud avec l’accord de Rosselini, lequel est en fait manipulé par Bell, pendant que Hud trahit Tony avec l’accord de Rosselini, mais leur espionne les trahit à leur tour en prenant fait et cause pour Tony et donc il faut la tuer… Et puis Bell avoue sa trahison à Hud, lequel passe alors un pacte avec Rosselini mais les suspicions demeurent, et Tony qui n’a jamais été dupe ne sait plus quoi faire de l’espionne, mais il est quand même obligé de continuer à jouer le jeu parce que sa femme est aux mains de Rosselini. Et dans le même temps la CIA “vend” ses mercenaires aux services de sécurités cubains… Le coup monté pour “tuer Castro” est marqué par une forte hiérarchie qui se tire dans les pattes à chaque étage, repoussant à plus d’une heure la première approche des côtes cubaines (effectuée par Hud pour récupérer un coffre contenant des journaux… difficile de comprendre). Tout le monde a en fait des objectifs et des motivations différents, dont la moitié sont en fait des tromperies. Et au final, sorti d’on ne sait trop où, on apprend qu’en fait il n’a jamais été question de tuer Fidel, mais que le seul objectif de la CIA était de maintenir des bonnes relations avec Cuba en développant le trafic de drogue… Tout ceci n’a aucun sens, que ce soit au niveau historique ou fictif. Le film ne fait en réalité qu’aligner les rebondissements en rafale au mépris de toute cohérence. Des rebondissements qui ne prennent pas les formes du cinéma d’action, mais qui sont purement dialogués, souvent lors des rencontres secrètes entre deux intervenants. De l’action, il y en a malgré tout dans des scènes souvent hors sujet : un combat de catch sauvage dont le vainqueur doit remporter l’espionne Tracy, kidnappée par un mafieux qui n’a strictement rien à voir avec l’intrigue. Des contre-révolutionnaires à la solde de Hud (un père et son fils) tirent sur des noix de coco pour s’entraîner, le même plan étant répété plusieurs fois au gré des “vides” du montage. Les flash-backs de Hud à la Baie des cochons (pour bien montrer son traumatisme). Des stock-shots de requins qui attaquent Woody Strode, l’ami de Tony et le seul membre d’équipage de son bateau. Une tortue mangeuse d’homme. Une explosion. Un hors-board à fond… Mais le plus beau est certainement cette “invasion” de Cuba menée in fine par un Hud bien décidé à assassiner Fidel, lequel a justement la bonne idée de se trouver dans une villa à 500 mètres de la plage la plus proche de la Floride et des terroristes. Workman n’est plus à une incohérence près…
En fait, la seule solution pour arriver au terme de ce foutoir qu’est Kill Castro est de ne prêter attention qu’aux personnages toujours fidèles à eux mêmes. C’est le cas de Tony, le héros du film, le seul à ne jamais trahir personne et qui du coup subit une trahison tout les quarts d’heure. Avec son total manque d’ambition (il ne veut ni tuer Castro, ni faire du trafic de drogue, ni défendre Cuba) il est le seul ilot de calme au milieu de la tempête. Déjà relativement âgé, Stuart Whitman est d’une mollesse reposante (il doit passer la moitié de son temps au bar à attendre la prochaine crasse) et son personnage délègue ses quelques scènes d’action à son sous-fifre Woody Strode, guère plus énervé mais disposant au moins d’une capacité physique à toute épreuve. A un degré moindre, Robert Vaughn tire également son épingle du jeu grâce à l’obsession anti-communiste de son vétéran, bien moins floue que les projets de Rosselini, Bell ou Tracy. Signalons aussi la présence énigmatique de Sybil Danning, recrutée on ne sait trop pourquoi dans un petit rôle sans intérêt, même pas celui de mettre en valeur son physique. Kill Castro reste une vague énigme : pourquoi faire mine de perpétrer un attentat politique d’ampleur pour une simple histoire de drogue ? pourquoi avoir recruté un mafieux et un anticommuniste pour çà ? comment peut on conclure sans sourciller que la CIA cherche à se rapprocher de Fidel ? pourquoi y a-t-il des images d’archives ?
Cet affligeant ratage soporifique n’empêcha pourtant pas Chuck Workman de faire carrière. Il est aujourd’hui un glorieux réalisateur de documentaires, et participa entre 2000 et 2005 aux diffusions télévisées des cérémonies des Oscars. Quand à son film, il semble être tombé dans les mains de la Troma, jamais trop regardante sur la marchandise à distribuer.