Keoma – Enzo G. Castellari
Keoma. 1976Origine : Italie
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Pour beaucoup, Keoma est le dernier grand western spaghetti à avoir vu le jour, alors que le genre déclinait à grand coup de tatannes infligés par des films aux penchants de plus en plus comiques. Grand western, je n’irai pas jusque là. Mais il est vrai que le film de Enzo Castellari est certainement l’un des plus ambitieux, et qu’il se dote d’une tonalité très “crépusculaire”, très apocalyptique, qui d’un point de vu formel n’est pas sans rappeler le Django de Sergio Corbucci apparu dix ans plus tôt. S’il n’est pas aussi boueux que ce dernier, il est en revanche assez sombre dans la description de son lieu d’action principal : un village pratiquement devenu fantôme, dans lequel les maisons tombent en ruines sous une grisaille permanente et au milieu de fréquentes tempêtes de sable. Castellari accentue encore cette désolation en ayant recours à une bande-son macabre, dans laquelle le souffle du vent joue un grand rôle. C’est dans ce cadre que débarque Keoma (Franco Nero), un enfant du pays aux origines indiennes qui s’était absenté pendant la longue durée de la guerre civile. La ville n’a plus rien à voir avec ce qu’elle était, et il apprend qu’un certain Caldwell est à l’origine de sa décrépitude, aidé par les demi-frères de Keoma. Son père (William Berger), trop vieux pour combattre, ainsi que son ami George (Woody Strode), un noir anciennement as de la gâchette devenu alcoolique, seront les seuls à recevoir Keoma de façon positive, après qu’il ait porté secours à Lisa (Olga Karlatos), une jeune femme enceinte et atteinte de peste, maladie qui frappe la ville.
C’est donc au chant du cygne du western italien que nous assistons ici, et Keoma, bien plus qu’un simple libérateur, est une figure christique (physiquement également, avec sa longue chevelure, sa barbe épaisse et ses vêtements en haillons) revenant absoudre la ville de ses pêchés quitte à le payer de sa vie. Keoma prône la solidarité (c’est pourquoi il prend Lisa sous sa protection) et aide certains de ses camarades (son père, George) à retrouver la dignité qui fut la leur pour lutter contre l’omnipotence de Caldwell et de ses hommes, dont les trois demi-frères de Keoma, qui n’ont jamais pu apprécier cet indien recueilli par leur père. Les provocations iront croissant jusqu’au climax final, et dans l’ensemble ce n’est pas vraiment son intrigue, déjà-vue, qui confèrera à Keoma son statut particulier. Ce qui ne veut pas dire qu’elle soit mauvaise pour autant : elle demeure intelligente et frappe assez fort dans l’antagonisme profond qui oppose Keoma à ses ennemis, ainsi que dans sa faculté à inciter les bafoués à se relever (on songe parfois à Django, donc, mais aussi au Rio Bravo de Hawks et même à l’oeuvre de Peckinpah). Les acteurs sont tous excellents également. Mais ce sera bel et bien sur le traitement du film, mystique voire parfois à la lisière du fantastique, que reposera l’originalité du film.
Dès l’introduction, Keoma croise une vieille femme, une sorcière qu’il recroisera régulièrement tout au long du film et qui fait en quelque sorte office de prophète du malheur. Les combats eux-même seront d’un maniérisme particulier, Castellari employant systématiquement des ralentis qui si ils se fondent relativement bien dans le style tragique du film restent quand même particulièrement pénibles et alourdissent le film au-delà du raisonnable. Ce sera exactement la même chose pour la musique, des chansons moroses à la Joan Baez, qui participent tellement à la création de cette atmosphère particulière qu’elle charge le film au-delà du raisonnable, d’autant plus que leurs paroles ne font que résumer des sentiments ou des situations qui nous sont connues. Castellari veut trop en faire, et il ira jusqu’à présenter une crucifixion de Keoma, certes très belle du point de vue esthétique, mais encore une fois trop plombante. Le montage lui-même incluera de nombreux flash-backs pas forcément utiles sur l’enfance de Keoma, sur ses amitiés avec George, avec son père, mais aussi sur ses relations avec ses trois frères, qui l’humilièrent de la même façon qu’il continuent à le faire désormais. Les procédés surexplicatifs abondent, et le côté tragique d’apparaître du coup un peu surfait. C’est bien dommage, car Keoma aurait vraiment pu être un grand film. Il reste en tout cas l’un des derniers, sinon le dernier, des westerns spaghettis fréquentables. Et, s’il en était encore besoin, il consacre Franco Nero comme l’un des meilleurs acteurs de cette génération dorée du cinéma italien.