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Jugé coupable – Clint Eastwood

jugecoupable

Jugé coupable. 1999

Origine : États-Unis 
Genre : Thriller dramatique 
Réalisation : Clint Eastwood 
Avec : Clint Eastwood, Isaiah Washington, James Woods, Denis Leary…

Dernier jour de vie pour Frank Beechum (Isaiah Washington), condamné à mort pour le meurtre il y a six ans d’une jeune fille enceinte. Tandis qu’il doit passer par toutes les étapes de la procédure avant l’exécution par injection, la ville est en émoi. La presse est bien entendue de la partie, mais un seul journaliste sera invité à venir interviewer Beechum, qui s’est toujours déclaré innocent. Cette primeur aurait dû aller à Michelle Ziegler, si celle-ci ne s’était pas tuée la nuit précédente dans un accident de voiture. En remplacement, le patron Alan Mann (James Woods) et le rédacteur en chef Bob Findley (Denis Leary) ont nommé Steve Everett (Clint Eastwood). C’est un gros risque, puisque Everett, ancien alcoolique, a vu son étoile pâlir il n’y a pas si longtemps, lorsqu’il mena une croisade pour prouver l’innocence d’un violeur qui de son propre aveu se révéla finalement coupable. Il dispose d’une journée pour préparer son interview, ce qui ne sera pas chose aisée compte tenu de ses engagements familiaux, décisifs pour l’avenir de son couple, et de la toute fraîche découverte de sa liaison extra-conjugale avec la femme de son patron, Bob. Pour couronner le tout, Everett est encore victime de ses intuitions, qui lui disent que Frank Beechum est bel et bien innocent.

Au milieu d’une décennie 90 globalement terne, Clint Eastwood est l’un des rares réalisateurs à s’être imposé. Il était temps. Démarrée vingt ans plus tôt, sa carrière de réalisateur, pourtant pas avare de très bons films, ne lui avait pas valu jusque là la reconnaissance méritée, celle qui fait de vous une pointure à peu près libre au sein d’Hollywood. Au cours des années 80, Clint fut donc contraint de tourner quelques films jugés vendeurs par ses distributeurs et coproducteurs, sa propre société Malpaso ne lui permettant pas d’assumer tout le côté commercial (et parfois financier) de ses œuvres. Ce fut à coup d’Impitoyable, de Sur la route de Madison, d’Un monde parfait et de tous les éloges et trophées qui vont avec qu’il parvint finalement à être considéré autrement que comme le fils spirituel de Sergio Leone et de Don Siegel. Au terme d’une décennie ayant transformé son image, popularisant sa facette plus humaine, le risque était de se mettre cette fois-ci à se reposer sur ses lauriers, considérant comme acquise toute tentative de faire des films intimistes, basés sur des personnages. C’est ce qui se passe avec Jugé coupable, dont la solennité, la classe du style et des acteurs cachent une certaine paresse dans le raisonnement. Nous avons là affaire à un film rempli de thèmes trop souvent utilisés (ce qui ne veut pas dire qu’ils ne doivent plus être traités), et amenés avec des ficelles un peu trop grosses. Le personnage joué par Eastwood lui-même est le premier à tomber dans cet écueil : Clint nous refait le coup du malheureux devant se reconstruire personnellement et professionnellement et qui dispose d’une ultime chance, fort délicate à saisir. De ce postulat débouche comme on pouvait s’y attendre l’opposition entre le travail et la famille, qu’Eastwood ne parvient pas à rendre intéressant, et ce même si sa propre fillette incarne sa fille à l’écran et même si le sujet peut faire songer à sa propre vie. Trop banal, cet axe contient tous les ingrédients habituels pour que l’homme incriminé se sente comme un mauvais père : l’oubli d’une sortie prévue de longue date, les reproches de la mère et le bobo de la fillette qui va se terminer par un “je veux ma maman” déchirant pour le cœur de ce paternel trop absent.

C’est ainsi que Clint cherche à faire naître l’empathie pour son personnage, ce qui se révèle quand même un peu trop gros, surtout que de l’autre côté, celui du travail, le défi à relever (sauver un condamné à mort !) justifie amplement que ce jour précis soit employé à autre chose qu’à une sortie au zoo. Une façon comme une autre d’absoudre le personnage de Steve Everett et de le transformer en héros du jour. Il y avait pourtant un moyen pour éviter cette simplification : se montrer un peu plus insistant sur le libertinage d’Everett, qui cette fois ne saurait être justifié par quoi que ce soit. Hélas, ce n’est pas là-dessus que l’accent est mis. Everett admet ses torts très tôt, et cela ne semble pas le travailler plus que cela. L’adultère est donc réduit qu’à n’être un élément secondaire du problème familial ainsi qu’un moyen de justifier l’antipathie muette et justifiée éprouvée par Bob Findley pour son journaliste, accentuant la pression sur Everett, décidément poussé dans ses derniers retranchements. Avec une telle inimitié, il a d’autant moins le droit à l’erreur pour l’interview qui s’annonce. Son patron sympathique, le gouailleur Alan (James Woods s’amuse beaucoup dans ce rôle) le protège encore, mais cette fois ce sera la dernière. Clint en fait tout de même un peu trop… Et le comble est atteint avec l’intuition d’Everett sur l’innocence de Beechum, qui cette fois réduit tout au quitte ou double extrémiste : ou Everett sombrera corps et bien, se retrouvera sans boulot, sans famille et sûrement de nouveau alcoolique, ou bien une nouvelle vie s’offrira à lui avec le Pullitzer, en ayant en plus sauvé un homme de la mort. Une seule chose empêche Jugé coupable et son personnage principal de tomber dans le mélodrame : la distance et la sobriété, marques de fabrique d’un Clint Eastwood qui pour ses personnages n’a jamais eu recours à l’épanchement lacrymal. Ainsi, Everett traverse ces épreuves stoïquement, masquant leur caractère artificiel et imprégnant le film d’un certain standing.

On retrouve peu ou prou la même chose dans les scènes consacrées à Frank Beechum, ce condamné à mort vivant ses dernières heures avec une grave dignité obtenue par sa foi en Dieu, qui lui permet aussi de faire bonne figure face à une femme éplorée et une fille dont la naïveté et l’innocence ne font que faire ressortir la bravoure de Beechum. Tout comme le sort cérémonieux réservé à leur prisonnier par le personnel du couloir de la mort, d’ailleurs. Pour un peu, on se croirait dans La Ligne verte… Toutefois, derrière tous ces clichés, derrière la description formaliste que le réalisateur donne de la peine de mort, qu’il remet au passage en question via l’argument d’un possible jugement erroné, Beechum permet surtout de réévaluer un peu le personnage d’Everett en dressant son propre sort comme le parallèle, voire l’anticipation de ce qui attend le journaliste si il ne se décide pas à se remuer. Bandit de nombreuses fois condamné mais depuis assez longtemps repenti au moment du meurtre décisif, il est peut-être sans en avoir conscience la véritable motivation d’Everett. Car c’est son passé qui vaut à Beechum de se retrouver là où il est. Cela a beaucoup joué lors du procès, sûrement plus que les témoignages que l’on peut en plus soupçonner de racisme (c’est bien pour ça que Everett croit trouver une faille dans le jugement). Voilà une bonne leçon pour le journaliste, qui dans cette affaire enquête sur un homme rattrapé par son passé, et qui ne s’est que trop tard engagé auprès de sa famille (une femme et une petite fille, comme lui). De quoi le faire cogiter, en effet. Et l’intuition sur son innocence est peut-être venue à Everett en observant le principal témoin, qui de toute évidence s’est complus dans ce rôle de témoin clef, quitte à en modifier un détail déterminant. La réputation de Beechum a fait le reste, de même que l’empressement du tribunal à trouver un coupable pour ce meurtre suscitant la haine de la foule. Everett effectue alors un rapprochement entre le pseudo assassin et lui-même, qui ne manque pas non plus d’ennemis qui veulent le voire tomber. Beechum condamné, c’est un peu lui-même qui est condamné. D’où son abnégation à le sauver. Comme lui, et pour lui, il joue à quitte ou double.

Tout cela constitue un réseau de motivations bien plus pertinent car bien moins facile que les affaires purement personnelles de Everett, et en outre l’empathie envers les personnages s’en trouvent véritablement renforcées, cette fois sans grosses ficelles. Il est dommage que Clint n’ait pas joué ce parallèle avec davantage d’exclusivité, car l’impression sur laquelle on reste est celle d’un gâchis d’autant plus fort que le film aurait aisément pu tenir sur ce seul élément, à un rythme certes plus contemplatif, mais Clint n’avait-il pas livré ses meilleurs films de la décennie (notamment Minuit dans le jardin du bien et mal) sur ce créneau ? Au lieu de cela, le réalisateur / acteur / producteur, suivant certainement le modèle du livre de Andrew Klavan qu’il adapte, se tire une balle dans le pied et se contraint lui-même à l’emploi de ces facilités en condensant au maximum son intrigue, qui est censée se dérouler sur une demi-journée. C’est là le nœud du problème de Jugé coupable : les intentions sont bonnes, mais leur concrétisation ne l’est pas, faute de pouvoir faire la part des choses entre l’intimisme et la course contre la montre que représente l’intuition (et donc l’enquête journalistique) d’Everett. Défaut dont je suspecte Clint d’avoir été conscient, puisqu’il fait ironiser le personnage de James Woods sur le côté théâtral du journaliste repentant qui en une demi-journée doit parvenir à des conclusions que plusieurs années d’investigations policières et juridiques, même biaisées, n’ont pas envisagées. C’est tout à fait l’image que donne le film, et c’est à deux doigts de tourner à l’auto-parodie dans le final où chaque seconde compte. Sans parler du dénouement, où tous les enjeux du film, strictement tous, trouvent leur conclusion en reposant sur des cascades d’improbabilités. Le réalisateur ne nous avait pas habitués à une telle maladresse. Le résultat a en tout cas été boudé par le public, ce qui est peut-être un mal pour un bien, puisque dès son film suivant Clint a revu sa copie en sortant des atermoiements familiaux de l’âge mûr pour entrer dans une autre phase personnelle, celle de l’icône vieillissante, qui nous amènera encore quelques excellents films.

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