Hotel Rwanda – Terry George
Hotel Rwanda. 2005Origine : Royaume-Uni / Etats-Unis / Afrique du sud / Italie
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Terry George est un auteur pas comme les autres dans le monde du cinéma. C’est d’abord en tant que scénariste que l’homme a su se faire connaître. C’est en 1994 que Jim Sheridan adapte Au nom du père, histoire vraie qui met en scène Daniel Day Lewis dont le personnage est enfermé à tort, considéré comme un terroriste de l’IRA par les Anglais. Terry George se voit adapté une seconde fois par Jim Sheridan en 1998, avec toujours Daniel Day Lewis dans le rôle principal, et toujours sur fond d’histoire irlandaise, avec The Boxer, magnifique histoire d’un homme qui a fait de la prison pour servir au mieux l’IRA et qui essaie de remonter la pente malgré les tensions au sein même de sa patrie.
Deux films qui furent salués unanimement par la critique de par leur capacité à mettre en scène une histoire récente dont l’Irlande continue à marcher sur les cendres.
Propulsé à Hollywood, Terry George, qui s’est essayé à la réalisation avec Some Mother’s Son, film mettant en scène deux mères prises dans l’histoire de l’Irlande entre l’IRA d’un côté et Thatcher de l’autre, crée la série Washington Police (2000) qui connaîtra quatre années de bons et loyaux services. En 2002, Hollywood lui demande de signer le scénario de Mission Evasion, film adapté du roman Hart’s war écrit par John Katzenbach qui décrit un camp de prisonniers américains durant la Seconde Guerre mondiale. Le film reste moyen.
Vient alors 2005 et un nouveau scénario. Terry George veut retrouver son envie d’écrire des films engagés, qui fassent réfléchir. Bien plus que scénariste (il est aidé par Keir Pearson pour l’écriture), il signe la mise en scène et en est producteur. Devenir producteur est pour lui une nécessité. Les majors veulent lui imposer l’acteur principal (Denzel Washington, Will Smith…) mais Terry George veut Don Cheadle. Au final, Terry George produit lui-même son film, aidé de producteurs indépendants. L’homme est complètement engagé dans son film, ça se sentira.
Hotel Rwanda n’est pas un projet nouveau. Déjà, dès la fin du génocide, en 1994, des documentaristes se sont intéressés au cas de Paul Rusesabagina. Mais ce dernier veut plus, il veut toucher un plus large public. Sa rencontre avec Terry George en 2001 va marquer le début d’une adaptation nécessaire sur ce qui s’est passé au Rwanda.
Le film commence alors que nous découvrons Paul et son assistant en train de faire des achats pour remplir les réserves du Mille Collines, hôtel de luxe de Kigali. Il passe alors chez son fournisseur, Hutu convaincu, qui fournit des machettes en plus de nourritures et autres alcool.
Paul est lui aussi Hutu mais marié à une Tutsi. On traverse Kigali en découvrant des manifestations d’Hutus appelant à la haine contre les Tutsis.
La première question qui se pose à la vision de ce film est de se demander quel rôle va jouer Paul dans le conflit qui est en train de se préparer. Les haines sont déjà visibles, et les personnages entrent de plein fouet dans une réalité qu’ils ont toujours refusé de voir.
Pour Paul, ce qui se prépare est impossible. Il est Hutu, sa femme est Tutsi, ses voisins et amis sont Tutsis aussi, et pour lui, ça n’a jamais été un problème de vivre ensemble. D’autant plus que le vivre ensemble, il le côtoie tous les jours à l’hôtel où il travaille en tant que manager. Tout le gratin de la capitale se presse dans cet établissement, journalistes étrangers, généraux de l’armée rwandaise, colonel de l’ONU, la diversité est son quotidien.
Alors que son beau-frère et sa belle-sœur viennent lui demander de les protéger, il les renvoie chez eux en leur disant qu’ils ne risquent rien, l’ONU est là et les traités de paix vont être signés.
Évidemment, qui pourrait l’en blâmer ? Comment peut-on croire que depuis des années l’État rwandais alors en place est en train d’organiser l’éradication pure et simple des Tutsis ? Quel être humain censé peut-il seulement penser qu’une telle chose est possible ?
On comprend très vite que le choix du réalisateur ne sera pas de montrer les horreurs du génocide qui va se perpétrer. On aura bien des bribes de ces massacres, mais Terry George se contentera de montrer les évènements à travers les yeux de son héros. Mais attention, Paul Rusesabagina n’a rien d’un héros au départ. C’est un homme pris dans le tourbillon de la folie et qui va devoir faire des choix. Commençant par payer les vies des membres de sa famille, le voilà payé pour les vies de ses voisins. La tension est à son comble, on met un prix sur des vies.
Don Cheadle est exceptionnel. Il entre dans le personnage avec une aisance et une sobriété rares. Ce n’est évidemment pas une surprise pour le passionné de cinéma que de voir cet acteur réussir une telle performance, toutes ses apparitions sous la caméra de Soderbergh sont superbes, et parfois même frustrantes comme dans la série des Ocean’s tellement on aimerait le voir davantage encore. Son registre est large, très large, mais là, ce qu’il donne, c’est ce qu’on appelle la méthode Actor’s Studio. Il devient le personnage, il ne se ménage pas, devenant à part entière le témoin d’une horreur incompréhensible.
Terry George réussit à diriger son acteur avec passion, les deux hommes et toute l’équipe se sentant alors investis d’un rôle vital : celui de l’Histoire. Il faut transmettre, il ne suffit pas de raconter une histoire.
Pourtant Terry George reste toujours en retrait de son sujet. Si le génocide se déroule bien en dehors des murs de l’Hôtel des Mille Collines, où plus de 1000 réfugiés se sont entassés, il nous est épargné. Mais ce choix permet surtout au réalisateur d’en venir là où il veut arriver. Si le fond de son film reste bel et bien le génocide, il veut aussi et surtout nous mettre en face de nos responsabilités. Car il est conscient que son film sera regardé en grande majorité par l’occident, ce même occident qui a fermé les yeux sur ces massacres. Le drame continue sous nos yeux lorsque des militaires arrivent en renfort des quelques soldats de l’ONU, restés là avec leur colonel (joué par le superbe Nick Nolte). Les réfugiés se croient sauvés, mais ils ne sont pas venus pour eux. Ils sont venus chercher les occidentaux restés là. La scène est déchirante. Tous ces blancs, journalistes, prêtres, bonne sœurs, touristes, montant dans le bus sous les yeux effrayés des Rwandais restant à l’hôtel, attendant leur mort. La scène est filmée tel un drame, ralenti, musique, larmes, et croyez bien que si ce procédé est usagé, il reste néanmoins efficace. Car si le but est bien évidemment de nous toucher au plus profond de nous-mêmes, il est aussi de nous mettre face à nos responsabilités à tous. Car ce qui se passe là-bas se fait dans la totale indifférence d’un monde occidental qui y a foutu une merde pas possible, anciens colonisateurs n’assumant pas leurs erreurs. Le réalisateur va même plus loin lorsqu’il insinue rapidement que la France arme les génocidaires, débat ouvert depuis quelques années et que la France semble refuser d’avoir.
Si le génocide n’est donc qu’en fond, c’est parce que le choix de narration de faire dérouler l’action dans un hôtel isole le spectateur et l’ensemble des protagonistes. Pourtant, la peur est omniprésente. Spectateurs autant que réfugiés vivent avec la peur de voir arriver des hordes de Hutus, machettes à la main, les massacrer. En fait, nous verrons ces scènes. Paul, assuré de sa sécurité grâce à sa carte d’identité sur laquelle est tamponné Hutu sort de l’hôtel pour aller faire de nouvelles réserves. C’est là que nous voyons les prisonniers Tutsis, femmes faites esclaves, violées, battues. Puis ces corps étendus sur les routes, frappés à la machette. Et que dire de ce caméraman britannique qui ramène cette scène de pure violence où des hommes et des femmes sont abattus aux yeux du monde à coup de machettes.
Bien sûr, on ne peut éviter ce sentimentalisme, et cette fin qui s’ouvre vers l’espoir. Mais franchement, après avoir encaissé tout cela, on ne souhaite que voir ces gens s’en sortir. Car cette adaptation d’une histoire vraie, si elle nous rappelle à nos responsabilités, nous montre aussi qu’être humain, c’est tendre la main dans les moments les plus difficiles. Paul Rusesabagina l’a fait. Il aurait pu tout perdre, faire l’autre choix, celui de la facilité.
Alors certains pourront voir dans Don Cheadle l’icône hollywoodienne, homme qui devient héros et qui sauve des vies au prix de la sienne s’il le faut, je crois surtout qu’il faut y voir un homme qui a refusé de sombrer dans la folie et de s’accrocher à ce qu’il aime et respecte : la vie.
Ce film est une belle leçon nous mettant face à nos responsabilités. Il nous rappelle que les hommes que nous mettons au pouvoir ne sont pas là que pour nous assurer un certain confort de vie, mais aussi pour aider à faire cesser ce genre d’horreurs immondes.
Mais le pire finalement, c’est que ce film est terriblement ancré dans l’actualité, et encore une fois, nous n’avons absolument rien retenu du passé. Ainsi, un jour sans doute, il viendra à l’esprit à un cinéaste de faire un film sur le Darfour (bien sûr, il y a déjà des documentaires), et on se dira, merde, comment avons-nous pu être si indifférents ? Et on passera notre chemin jusqu’à la prochaine fois.
Avec Hotel Rwanda, Terry George signe un film engagé. Engagé dans la paix, mais aussi dans la responsabilisation de tout le monde. Car tout cela aurait pu être évité. Un million de personnes ont été tuées en 100 jours. Et la plupart à la machette. Imaginez.
Et c’est aussi ça il me semble la force du film, c’est qu’en montrant finalement assez peu de toute cette violence, il laisse notre imagination mettre une image sur les évènements, rendant les choses plus réelles. Car sur un public banalisé par la violence, ce n’est peut-être pas un mal d’en montrer moins pour dénoncer plus. Nick Hugues, en 2003, avait aussi réalisé une fiction intitulée 100 Days, sur le génocide au Rwanda. Il avait alors fait le choix inverse, de montrer les massacres, aller au bout de son idée. Je ne crois pas qu’un film peut tenir sur le simple fait de montrer méticuleusement des gens se faire assassiner à coups de machettes, car il en vient à banaliser cette violence. Terry George souhaite réellement coller à son personnage qui découvre l’irréel en même temps que nous. Terry George nous donne là une belle leçon en montrant qu’on peut dénoncer la violence sans forcément en passer par une surenchère d’images violentes.
Hotel Rwanda est dans la lignée de ces films engagés que le nouvel Hollywood avec l’arrivée de Bush au pouvoir tend à construire.
Alors, Terry George lance là peut-être un appel, et il serait pertinent que nous nous y mettions tous, combien de temps allons-nous encore laissés faire, voire même participer à ce genre d’idioties ? Même si le héros reste peu représentatif de ce qu’a été le génocide, il n’en reste pas moins que le film réussit à nous faire réfléchir. Mais nous fera-t-il avancer ? C’est là une autre question.