Un flic – Jean-Pierre Melville
Un flic. 1972Origine : France, Italie
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Dans une ville de bord de mer, quatre hommes masqués braquent une banque. L’un d’eux, blessé par balle par un guichetier suicidaire, les oblige à revoir leur plan de fuite en toute hâte. Ils réussissent malgré tout à rentrer sur Paris, où ils sont néanmoins contraints de laisser leur acolyte à l’hôpital. Alors qu’ils s’affairent à un nouveau coup – voler l’argent d’un passeur à bord du train Lisbonne-Paris – le commissaire Edouard Coleman resserre son étau autour d’eux.
Jean-Pierre Melville aime la continuité. Quand un acteur lui plaît, il n’hésite pas à le réemployer de film en film, jusqu’à ce que leurs rapports s’enveniment. Ce fut d’abord le cas avec Jean-Paul Belmondo – trois films en commun – avec lequel les rapports s’envenimèrent sur le tournage de L’Aîné des Ferchaux, puis avec Lino Ventura, qui sera notamment de l’aventure L’Armée des ombres, sans doute le film le plus personnel de Melville et à l’issue duquel ils ressortiront irrémédiablement brouillés. En la personne d’Alain Delon, le réalisateur semble avoir trouvé le meilleur émissaire d’un cinéma qui tend de plus en plus vers l’épure et dont leur première collaboration – Le Samouraï – prend valeur de mètre étalon. Qu’il soit tueur à gages (Le Samouraï), truand (Le Cercle rouge) ou commissaire de police (Un flic), Alain Delon demeure une énigme, figure marmoréenne au service d’un cinéma de l’abstraction et quelque peu prisonnière d’une mécanique trop bien huilée.
L’entame du film vaut note d’intention. Il ne s’agit pas tant pour Jean-Pierre Melville de se plier à un semblant de réalisme que de plier ce dernier à ses exigences. Le récit d’Un flic se déploie pour l’essentiel dans un Paris quasi désert, comme vidé de ses habitants. En grand admirateur du cinéma américain en général, et des films noirs en particulier, Jean-Pierre Melville confère à son film des élans westerniens. Il y a bien évidemment cette ville fantôme du bord de mer balayé par l’orage où la seule trace de vie se retrouve concentrée entre les murs d’une agence BNP, mais aussi le duel en bonne et due forme qui clôt l’intrigue entre le Commissaire impassible et le braqueur désabusé. Nous n’avons plus affaire à des personnages mais à de simples stéréotypes que Melville s’échine malgré tout à filmer comme des demi-dieux. De son propre aveu, ces histoires de gendarmes et de voleurs l’intéressent uniquement parce qu’il est facile d’y faire entrer la tragédie. En l’occurrence, ladite tragédie consiste ici à opposer deux amis, chacun ayant choisi un côté de la loi. Deux taiseux dont l’amitié relève davantage de la devinette que de l’évidence. Il émane des rares scènes où ils se côtoient une forme de pesanteur parfaitement assumée. A travers leurs échanges de regards et de quelques banalités sur-explicatives (« tu es mon ami »), Jean-Pierre Melville tente de faire ressentir tout le poids de la fatalité. A ce moment de leur existence, les deux hommes n’ont plus rien d’autre à partager que Cathy, la petite amie de Simon que Edouard détourne bien volontiers du droit chemin. Loin de fournir le terreau à un quelconque élément dramatique, Simon restera dans l’ignorance de ce qui se trame dans son dos, cette relation vient seulement traduire l’espèce de fascination que le patron de cabaret exerce sur Edouard. Quant à Cathy, si elle témoigne quelques scrupules à s’abandonner ainsi dans les bras du meilleur ami de son compagnon, elle n’en reste pas moins fidèle dans le sens où pour Simon, elle va jusqu’à tuer. De ce triangle plus ou moins amoureux, Jean-Pierre Melville ne tire aucune matière romanesque. Le Commissaire Coleman demeure longtemps en périphérie de l’intrigue, multipliant les interventions sans lien avec celle-ci tandis que Cathy joue les potiches de luxe. Jean-Pierre Melville préfère concentrer ses efforts sur Simon et sa bande dont il illustre avec un soin maniaque l’arraisonnement du train Lisbonne-Paris. Une longue scène quasi muette qui vaut morceau de bravoure et démontre toute l’abnégation de Simon pour toucher le gros lot. Filmée avec un grand sérieux, ladite scène révèle néanmoins une dimension ludique par l’usage visible de maquettes pour figurer le train traversant la campagne et d’un hélicoptère tout aussi factice lors des plans larges. Ces passages aux trucages désuets apportent un soupçon de charme à un film par ailleurs trop hermétique et pensé comme une grande tragédie qu’il n’est assurément pas.
Un flic est un film d’une désespérante froideur, à l’image du trio d’acteurs vedettes. Néanmoins, un chouia d’émotion affleure via une poignée de personnages secondaires. La véritable tragédie émane de la trajectoire de Paul Weber, sous-directeur de banque au chômage d’une succursale parisienne, et qui dans l’incapacité de retrouver un emploi à un âge avancé – 60 ans – se lance dans la cambriole. A sa femme, il assure chercher un emploi, s’enfonçant chaque jour un peu plus dans le mensonge jusqu’à ne plus pouvoir s’extirper de ce cercle vicieux. Et puis il y a Gaby, une blonde apprêtée à l’allure androgyne qui sert d’indic au Commissaire Coleman. Son regard embué trahit une profonde détresse liée à sa position instable. Elle renseigne le Commissaire pour que celui-ci ferme les yeux sur son mode de vie. Gaby est en fait un homme qui vit de la prostitution, et Edouard Coleman la traite en conséquence lorsque les événements ne tournent pas à son avantage, la rossant sans ménagement. Personnage en quête de considération, Gaby n’obtient que mépris de la part de ses contemporains, éternelle marginale dans un monde de rustres.
Treizième et dernier film de Jean-Pierre Melville, Un flic témoigne d’un cinéaste en bout de course, prisonnier de son style clinique. Par moment, le film épouse une forme caricaturale, exacerbant toutes les tares sous-jacentes de son cinéma, le tout baigné d’une lumière blafarde et cafardeuse. De son côté, Alain Delon en tirera la matrice de tous ses polars à venir où à leur manière, ses personnages interchangeables de flics seront tous des déclinaisons d’Edouard Coleman.