CinémaPolar

En quatrième vitesse – Robert Aldrich

enquatriemevitesse

Kiss Me Deadly. 1955

Origine : États-Unis 
Genre : Thriller / Science-fiction 
Réalisation : Robert Aldrich 
Avec : Ralph Meeker, Albert Dekker, Paul Stewart, Maxine Cooper…

Roulant de nuit vers Los Angeles, le détective privé Mike Hammer se fait héler par une jeune femme affolée. “Souvenez-vous de moi“, lui dit Christina, sa mystérieuse autostoppeuse, juste avant l’accident délibérément provoqué par une autre voiture.
Hammer se réveille à l’hôpital, où sa secrétaire Velda lui annonce que la police fédérale veut l’interroger à propos du meurtre de Christina. Car Evello, gangster notoire, cherche alors à acheter Hammer en lui offrant une voiture. Mais le garagiste Nick, tout dévoué au détective, découvre que le véhicule a été piégé. Hammer recherche Lily Carver, qui partageait l’appartement de Christina, et il l’emmène chez lui. Les sbires d’Evello s’en prennent à Nick, qui préfére se laisser tuer plutôt que de trahir son ami, puis ils enlèvent Hammer et le séquestrent chez le docteur Soberin. Pour le faire parler, celui-ci fait une injection de penthotal, mais Hammer réussit à s’enfuir.

Dans une scène clé d’En quatrième vitesse, un inspecteur de police exprime son mépris et son dégoût à l’égard du “privé” avec une brutalité aussi agressive qu’inhabituelle dans les films policiers : voilà Mike Hammer, jusque là le héros du film, traité d’aventurier de bas étage, de “fouineur de linge sale” stupide et dangereux, incapable de maîtriser ou même de comprendre une situation qui le dépasse complètement. Il y a là de quoi dérouter les admirateurs des mythiques figures de détectives privés créées par Raymond Chandler ou Dashiell Hammett : même souillés et meurtris au contact d’un monde corrompu, Philip Marlowe et Sam Spade, modernes chevaliers partant en croisade dans les bas-fonds, restent néanmoins du bon côté.
Il n’en va pas de même chez Mike Hammer, né sous la plume de Mickey Spillane, grand spécialiste de sadisme à grand tirage. Cette dégradation de l’éthique du “privé” est un signe des temps. Hammer est un pur produit de son époque, l’ère post-atomique et maccarthyste. Le jugement sans complaisance du policier est de toute évidence celui du réalisateur Robert Aldrich et de son scénariste A.I. Bezzerides : pour un intellectuel américain, Hammer, avec son insolence dans la légitimité des actes, est le type même de l’anti-héros fasciste, d’autant plus dangereux que sa violence est fascinante.
Cette ambiguïté fondamentale n’est pas des moindres mérites de Kiss Me Deadly, dans lequel la critique européenne (et surtout la critique française) a vu un signe fulgurant du renouvellement du cinéma américain. Aldrich n’a peut-être pas tenu ses promesses par la suite, mais il a en tout cas démontré ici, avec une magistrale virtuosité, qu’il était possible, à partir d’un banal scénario, aux poncifs usés jusqu’à la corde, de réaliser un film absolument neuf et original.

Au premier degré en effet, Kiss Me Deadly peut apparaître comme un thriller assez simpliste et plutôt naïf. Mais c’est plutôt une macabre allégorie de l’époque contemporaine qu’il faut y voir. La violence habituelle au genre est ici traitée avec un détachement glacé et semble aussi vide d’émotion que si une bombe atomique avait balayé le monde. Hypnotisé par le rythme implacable des images, le spectateur, plongé dans ce qui commence comme une sordide histoire criminelle, est bientôt entraîné dans une quête irrationnelle et cauchemardesque. Mais Aldrich, par l’usage qu’il fait de la caméra subjective (par exemple lorsque Hammer est assommé par derrière au moment où il s’apprête à ouvrir le fameux coffre), l’oblige malgré tout à s’identifier au détective privé : c’est en notre nom qu’agit Hammer. En 1955, en pleine guerre froide, il était audacieux d’insinuer qu’un assassin patenté et agréé par la loi, tel que Mike Hammer, pouvait fort bien, par sa suffisance, déclencher l’apocalypse. Que Hammer ait été le jouet d’une femme constitue une preuve supplémentaire de sa crédulité ignorante : l’ignorance détruit tout, et même l’humanité entière lorsqu’elle nous pousse à ouvrir la boîte de Pandore.
Cette distance volontaire de Robert Aldrich par rapport à ses personnages est encore accentuée par le style de jeu de Ralph Meeker, tellement au premier degré qu’il en devient grinçant et irréel.

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.