Doppelganger – Avi Nesher
Doppelganger. 1993Origine : États-Unis
|
Le jeune écrivain Patrick Highsmith (George Newbern) accueille chez lui Holly Gooding (Drew Barrymore), une colocataire. Il la juge très belle, gentille, et commence à tomber amoureux. Malheureusement, elle est aussi lunatique, s’offrant à lui un soir avant de nier l’avoir fait le lendemain en lui disant que ce n’était pas elle, mais l’autre. L’autre qui ? Et bien le doppelganger, pardi ! Le double maléfique qui a valu à Holly d’être suspectée du meurtre de sa mère, et qui va lui valoir avant peu d’être accusée de la tentative de meurtre sur son frère, aliéné en asile psychiatrique. En bon amoureux, Patrick aurait tendance à croire Holly, mais l’intervention du médecin de celle-ci et d’un brutal agent du FBI le font un peu douter.
Ambitieux, l’ancien militaire israélien Ani Nesher ! Pour Doppelganger, son second film américain après Timebomb, il ne vise rien de moins que concevoir un thriller psychologique et fantastique divisé en une foule de sujets qui à eux seuls suffisent généralement à remplir un seul film. Le thème de la double personnalité n’est, il est vrai, pas tout neuf, et notre réalisateur ne souhaite pas plus s’aventurer dans une repompe du Dr. Jeckyll et Mister Hyde de Stevenson que se frotter aux classiques du père Hitchcock. En revanche, il demeure attaché à l’idée d’une part sombre en chaque individu. C’est ce qui constitue le fil rouge de son film, et qui le poussa à engager Drew Barrymore dont les dérives alcooliques et stupéfiantes l’incitèrent à croire que l’actrice en connaissait un rayon question ambivalence. Reste que l’originalité selon Nesher prend la forme d’un maelström de pistes et de genres qui ne parviennent finalement qu’à rendre le film confus voire certaines fois carrément absurde. Il y a d’abord une histoire de sentiments familiaux : abusée par son père lors de sa jeunesse, Holly connut sa libération lorsque son frère âgé de 11 ans assista à l’un de ces abus et défenestra le paternel. Cet évènement ressurgit dans le film lorsque le père de Holly que l’on croyait donc mort ressurgit en chair et en os. Il y a aussi une histoire d’héritage : le meurtre de la mère Gooding (jouée par la propre mère de Drew Barrymore) laissa à Holly et à son frère aliéné un important héritage financier, qui pourrait encore s’accroître au cas où il n’y aurait plus qu’un seul héritier. D’où les suspicions qui portent sur Holly au moment où son frère est agressé. En sortant du cercle familial, nous nous retrouvons dans une histoire d’amour impossible entre la jeune femme suspectée de schizophrénie et son hôte écrivain, tiraillé par le déroutant discours de Holly et par la jalousie de sa collègue Elizabeth (Leslie Hope), moins importante à ses yeux. Ce qui nous amène alors à nous questionner sur la vraie nature du doppelganger : vraie entité démoniaque physique parvenue dans notre monde, esprit maléfique s’emparant du corps et de l’esprit de Holly, ou simple cas de maladie mentale ? La nature du double maléfique devrait se retrouver au cœur des enjeux, et pourtant il n’en est rien. Patrick Highsmith lui-même, pourtant le plus concerné, ne s’en soucie pas trop, perdu dans son aveuglement amoureux (quel stoïcisme lorsque Holly lui annonce l’existence de son doppelganger !) et n’écoutant que d’une oreille distraite les dires du médecin de Holly. Et à vrai dire cela passerait même au second plan, tant le double en question se montre discret, se limitant au meurtre de la mère dans un flash-back et à l’agression du frère.
En voulant traiter trop d’éléments à la fois, Nesher se montre superficiel et le film finit par agacer à force de soulever tout un tas de questions sans jamais entamer aucune réflexion pouvant servir à amorcer une réponse. La substance philosophique propre aux films de schizophrénie reste imperceptible, le réalisateur semblant trop fasciné pour réfléchir à ce concept. Pour faire simple, disons que Nesher cherche à compenser le vide de son film par une fuite en avant en complexifiant la psyché de son héroïne plus que de raison. Fatalement, il était inévitable que son dénouement paraisse ridicule, puisque toutes les interrogations doivent trouver leurs explications dans une scène constituant le climax. Ainsi le final de Doppelganger est irrémédiablement nul. On y trouve en vrac les pires artifices de dénouement imaginables : des déguisements, un grand méchant qui croyant la bataille gagnée s’empresse d’énoncer ses plans en riant, révélant au passage certaines incohérences du récit, un héros gentilhomme venu au secours de sa belle, et surtout, comble du mauvais goût, un déferlement spectaculaire prenant ici la forme de créatures monstrueuses certes conçues avec brio par l’atelier KNB mais qui font plonger le film dans une surenchère totalement opposée à la trop grande contemplation qui s’était jusqu’ici imposée. Les seuls incartades vaguement spectaculaires précédant ce final se limitaient à quelques scènes de rêves, procédé facile là encore destiné à combler un profond déséquilibre entre exposition et développement.
Malgré tout, Doppelganger réserve de beaux moments capables de faire passer la pilule du vaste ratage que constitue le traitement de son sujet. Drew Barrymore tire son épingle du jeu en parvenant à alterner plusieurs niveaux d’interprétation, réussissant ainsi à maintenir les doutes jusqu’à la catastrophique scène finale. Tour à tour timide, provocatrice et mystérieuse (avec voile et lunettes noires semblables au look sophistiqué de la Holly jouée par Audrey Hepburn dans Diamants sur canapé), elle parvient au moins à donner l’illusion d’un personnage fouillé. Les décors et la photographie variable (des éclairages bariolés à la Argento au réalisme des bas quartiers en passant par les ténèbres totales) auraient également pu illustrer la complexité de Holly tout en déroutant le spectateur, peu habitué à voir des films aussi contrastés. Chose également valable pour le personnage secondaire qu’est la collègue de Patrick, une forte tête cynique et rationnelle à l’opposé de l’usage habituellement fait des seconds couteaux. Enfin, la mise en scène évite tout effet tapageur (hormis dans le final, donc) et humour malvenu. Le reproche pouvant être adressé à Nesher est plutôt rare : pour une fois, il est regrettable qu’un réalisateur ait cherché aussi ostensiblement à prendre ses distances avec les classiques. Doppelganger sort des sentiers battus, mais il finit par se perdre.