De sang froid – Donald M. Jones & Mikel Angel
The Love Butcher. 1975Origine : Etats-Unis
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Caleb est moche, Caleb est handicapé, Caleb est déficient mental. C’est dire si son succès auprès des femmes est relatif. C’est pourtant pas faute d’en fréquenter : en tant que jardinier, sa clientèle semble exclusivement composée de jeunes femmes seules ou délaissées. De jeunes femmes décomposées aussi, puisque sitôt que l’une d’entre elle se montre un peu méprisante envers Caleb, elle est appelée à mourir après une dernière partie de jambes en l’air. L’assassin n’est pas Caleb mais son frère Lester, l’irrésistible séducteur. Point de vengeance fraternelle là-dedans, au contraire, puisque ces meurtres sont l’occasion pour Lester de rappeler à son frère à quel point il est repoussant, tandis que lui est un Don Juan et un macho de l’extrême, jugeant les femmes indignes de sa personne (d’où les meurtres sanctionnant chaque demoiselle après leurs ébats). Précisons tout de même que Lester et Caleb ne sont en fait que les deux entités ennemies d’une même personne.
Ah, la schizophrénie ! Ce n’est certainement pas le sujet du présent film, qui illustre plutôt un cas de personnalités multiples, une affliction bien distincte de la schizophrénie appelée “trouble dissociatif de l’identité”. Sans me lancer dans des détails que je ne maîtrise pas, disons que l’origine de cette confusion tient essentiellement dans les variations subtiles de la schizophrénie au plan de la psychologie, impliquant certes une rupture mentale, mais certainement pas de l’ordre de la double personnalité. Le cinéma a grandement participé à entretenir voire à développer cette idée reçue, et notamment à travers les nombreux films que l’on regroupera sous une appellation commune de “psycho killer”, et qui peuvent aussi bien inclure les différentes versions de Dr. Jekyll et Mr. Hyde, Psychose, Maniac, Fenêtre secrète que les gialli, les slashers ou même les simples films dans lesquels des gens respectables se transforment sciemment en assassins dès qu’ils en ont l’occasion. On pourrait même ajouter à cette liste le mythe du loup-garou, où là aussi s’opère une transformation assez radicale. Bref, il faudrait presque avoir fait des études appropriées pour faire le tri entre les “héros” qui souffrent véritablement de schizophrénie, ceux qui relèvent du trouble dissociatif de l’identité, ceux qui sont psychopathes et ceux chez qui le meurtre n’est qu’un hobby comme un autre. Et à vrai dire, qui s’en soucie réellement ? Aucun de ces films n’est véritablement intéressé par la maladie en elle-même. Seuls importent les symptômes, et leurs conséquences sur la vie du personnage et de son entourage. A ma connaissance, seul le Spider de Cronenberg -inquiétant mais certainement pas horrifique- pourrait éventuellement être médicalement rigoureux.
Tout ça pour dire que Donald M. Jones et Mikel Angel, les deux réalisateurs de De sang froid n’ont pas réalisé un film crédible sur le plan psychologique, et qu’ils ont même voulu volontairement schématiser le trouble dont souffre leur Caleb / Lester (joués par Erik Stern). Même si dans l’intimité la relation entre les deux entités n’est pas sans apparaître comme du Maniac avant l’heure, notamment avec ce mannequin emperruqué censé représenter Lester et avec les éclairages criards, la dualité de ce personnage principal est bien plus proche de la rigolarde Chose à deux têtes que d’autre chose. L’antagonisme entre Caleb et son “frère” est poussée à l’extrême, et ce à un niveau qui ne peut entraîner autre chose que l’amusement. Dans La Chose à deux têtes, l’opposition se faisait avec deux têtes sur un même corps, celle d’un blanc raciste et d’un noir. Ici, chacun dispose de son propre corps, mais la rivalité reste savoureuse dans l’extrême qu’y mettent les réalisateurs. Caleb accumule en effet les tares, jusqu’à ne plus être qu’une caricature du mec infréquentable. Deux touffes de cheveux blancs hirsutes autour des oreilles, des lunettes en culs de bouteille déformants, un dos voûté, une main paralysée, une patte folle, un intellect limité, des vêtements démodés… Il n’est aucunement question d’empathie : les réalisateurs souhaitent bien que l’on rie jaune face à ce personnage tellement décalé qu’une fois plongé dans le contexte des meurtres il en en devient menaçant, alors qu’il n’est même pas l’auteur des meurtres. Le vrai assassin, Lester, est tout aussi caricatural, mais dans l’autre sens : son narcissisme est aussi infini que puéril. Il se juge ainsi tellement séduisant qu’il épice sa tâche en revêtant divers déguisements, bien entendu fort peu subtiles. Un cowboy texan, un vendeur de disque mexicain, un plombier façon porno, un médecin poussiéreux, voilà quelques-unes des personnalités qu’il endosse (si toutefois un cas psychiatrique comme le sien peut en endosser). Le pire étant qu’il réussit à faire s’allonger les filles auxquelles il rend visite.
De sang froid n’est pas tendre à l’égard des femmes. Il est même franchement misogyne. A une exception près, ce sont toutes des femmes très faciles, ce qui contribue par ricochet à écorner l’image de Caleb. Mais on ne tiendra pas rigueur à Donald Jones et à Mikel Angel de se montrer aussi peu amènes, tant il est évident que les femmes de leur film n’ont pour utilité que d’entrer dans le jeu de Caleb et Lester (et de montrer un peu de chair, aussi, parce qu’il faut bien attirer le chaland). Réunis dans leur antre sinistre, les deux frères (ou plutôt Caleb et son mannequin à la voix de Lester) se livrent à des joutes verbales qui, plutôt que de faire comprendre le traumatisme à l’origine de leur situation et dont on n’a cure -encore une histoire œdipienne- valent surtout pour leur totale incongruité. Caleb raconte des choses sans queue ni tête, tandis que Lester répète qu’il est beau et que Caleb est moche. Un dialogue de sourds qui ne rime à rien mais qui a le mérite d’être surréaliste. On en attendait pas moins. Tout le film s’orne de ce petit côté improbable qui permet de compenser un rythme il est vrai assez répétitif (Caleb se fait jeter, Lester intervient, couche avec la femme et l’assassine, ils se retrouvent ensuite chez eux, et on repart chez une autre cliente de Caleb… les scènes ressemblent en fait à des sketchs), guère rehaussé par les apparitions d’un flic et du reporter qui lui collent aux basques, un tandem qui s’apparente très vaguement à un duo de héros. Ou du moins à un duo de personnages positifs, puisqu’on ne peut pas dire que ces deux clampins brillent par leur perspicacité. Le reporter semblait pourtant parti pour, principalement parce que sa compagne est une cliente de Caleb et que l’on s’attend à ce qu’il fasse barrage à l’assassin avant que le drame n’arrive, reconquérant ainsi le cœur de sa belle avec laquelle il est en froid. Mais, sans en dire trop, les deux réalisateurs auront la très bonne idée de prendre le contrepied des attentes du spectateur. Ce qui fait qu’en fin de compte, aucun des personnages de De sang froid n’aura été à son avantage.
Voilà donc un très sympathique petit film, comme les États-Unis en on produit un bon paquet au cours des années 70. Toutefois, une précision s’impose : si De sang froid est effectivement comique, certains pourront parfois douter que cet humour soit volontaire. Si l’exagération narcissique de Lester ou le look ravageur de Caleb ne suffisaient pas à s’en convaincre, on pourrait le déduire via quelques (très rares) effets de bruitage sortis de dessins animés. Ce doute provient du fait que Jones et Angel n’ont recours à aucun véritable gag, que tout en utilisant des personnages douteux ils ne sortent jamais du cadre du film d’horreur et que de ce fait la frontière semble mince entre le comique volontaire et l’involontaire, d’autant que certains choix techniques laissent perplexes (un meurtre monté n’importe comment, le cadavre étant montré avant l’assassinat, qui n’est alors plus qu’un flash-back). Car les films se prenant au sérieux tout en étant foncièrement ridicules ne sont pas rares, et celui-ci, avec un chouïa moins d’application et moins d’exagération aurait pu faire partie du lot.