Charlie et la chocolaterie – Tim Burton
Charlie and the Chocolate Factory. 2005Origine : États-Unis
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Deuxième adaptation du livre de Rold Dahl après celle de Mel Stuart en 1971, Charlie et la chocolaterie version 2005 témoigne de la nouvelle approche de Tim Burton face à ses propres thèmatiques, qui restent récurrentes et n’ont pas changé d’un iota par rapport à ses premiers films. La seule différence étant l’apport non négligeable de liens familiaux pour des personnages enfantés par un réalisateur qui justement avait fait de l’isolement la caractèristique centrale de la plupart des héros (Batman, Edward, Jack Skellington, Ed Wood…). Mais le Tim Burton du vingt-et-unième siècle a lui-même fondé une famille, et c’est ainsi que comme il l’a toujours fait, il transpose son propre état d’esprit dans ses films.
Charlie et la chocolaterie nous narre l’histoire de Charlie Bucket, rejeton d’une famille pauvre, qui gagne le droit d’aller visiter la très mystérieuse chocolaterie du non moins mystérieux Willy Wonka, en compagnie de son grand-père ainsi que de quatre gamins bien plus pourris que lui, accompagnés d’un de leurs parents.
Il s’agit donc d’une confrontation directe entre d’une part des familles et d’autre part un homme complètement coupé du monde. Pour ce qui concerne les différentes familles, Burton, tout comme l’avait fait Mel Stuart avant lui, se plie aux stéréotypes et à la condamnation systématique de tout ces gamins gâtés et égoïstes. La peste fille-à-papa qui veut tout posséder, l’autre mâcheuse de chewing-gum qui recherche avant tout à écraser les autres dans un esprit de compétition permanent, le gros allemand qui passe son temps à manger, et enfin l’insupportable geek élévé à la télévision et aux jeux vidéos. Tous ceux là sont les fruits logiques d’une éducation trop laxiste ou au contraire trop stricte, des éducations qui dévoilent la mentalité de parents cherchant soit à se débarasser de leurs enfants en acceptant toutes leurs volontés, soit au contraire à vouloir en faire des gagnants au sens le plus reaganien du terme. Bref ce sont des matérialistes, sans aucune imagination, sans aucune humanité, sans émotions, des gens purement interessés par leur apparence et leur propre bien-être. A ce titre, leur condamnation systématique démontre que Tim Burton ne s’est en rien renié, malgré qu’il soit devenu lui-même père de famille. En revanche, on pourra lui repprocher deux choses au sujet de ces représentations familiales : d’abord, la construction de son film, clairement faite pour être compréhensible par tous. La visite de la chocolaterie ne sera en réalité qu’une suite de sketchs où les quatre sales moutards se feront élminer un à un, à chaque fois à cause de leurs défauts principaux, eux-mêmes à chaque fois condamnés par les chansons très ironiques des ouvriers Oompas-Loompas. Ce ne sont pas les chansons en-elles mêmes qui sont répréhensibles, non (les textes sont ceux de Roald Dahl), et d’ailleurs malgré le côté surexplicatif déjà présent, le film de Mel Stuart s’en sortait plutôt pas mal, mais ce sont leur chorégraphie et leur mise en musique par Danny Elfman. Franchement laides et absolument pas drôles, ces scènes musicales saborderont l’aspect “comédie musical” d’un film qui du reste ne propose pas d’autres chansons que celles des Oompas-Loompas.
L’autre défaut tient au personnage de Charlie, trop parfait et trop lisse pour être honnête. Tout le début du film lui est consacré et nous montre à quel point c’est un brave petit qui malgré la misère excessive dans laquelle il vit ne se laisse jamais décourager, qui ne se met jamais en colère, qui préserve sa famille grâce à l’éducation au combien parfaite qu’il a reçu de ses fantasques grand-parents et de ses humbles parents… Burton a beau user de sa mise en scène lyrique habituelle, il ne fait que rendre ce gamin encore plus horripilant de perfection. Même la visite dans la chocolaterie ne le fera jamais être envieux. Il reste toujours un brave petit, timide, chose que n’avait imaginé ni Roald Dahl ni Mel Stuart. Heureusement, à force d’être débordé par les quatre autre morpions qui visitent la chocolaterie, Charlie sera mis au second plan par Burton.
La vraie figure burtonienne du film n’est autre que Charlie Wonka. Replié dans son usine avec ses rarement drôles Oompas-Loompas (des sortes de petits hommes importés des pays exotiques), il ne sait lui-même pas à quoi s’attendre lorsqu’il accueille ces gamins. Il ne sait pas ce qui peut leur plaire, à eux et à leurs parents, et c’est pourquoi le spectacle d’arrivée que Wonka réserve à ses visiteurs, avec ces marionnettes qui finissent en flammes, relève plus des propres goûts de Wonka que d’une quelconque exhibition commerciale. Toute la visite de l’usine est du même tonneau, et là aussi tout reflétera la personnalité étrange de Wonka, à la fois fascinante et trop “colorée”, mettant mal à l’aise et qui, pour parler un langage de confiseur, n’est pas loin de provoquer l’indigestion. Les couleurs fort prononcées, le cadre quasi-sorti d’un dessin animé, rien ne semble réel. Tout est exagération, et à ce titre l’extrêmisme des comportements des moutards se fond bien dans le décor. Wonka en lui-même est donc très étrange : il ne supporte pas les gamins virulents ni leurs parents irresponsables. Il est replié sur lui-même, littéralement dans son monde, et sa quête d’un successeur (le dernier à ne pas céder à ses caprices) n’implique aucunement qu’il soit une quelconque figure paternelle pour Charlie. Au contraire, il n’arrive même pas à prononcer le mot “parents”, et Burton vient expliquer ce fait par des flash-backs retraçant l’enfance opprimée du jeune Willy par son père (Christopher Lee), un dentiste. Willy est donc devenu confiseur à cause de son traumatisme enfantin, et c’est cette rupture familiale qui l’a fait devenir l’homme isolé qu’il est désormais, en même temps qu’une sombre affaire d’espionnage industriel auquel il a du faire face dans ses premiers pas professionnels et qui l’a conduit à se séparer de ses ouvriers (salopard de capitaliste !) et à rester seul. Wonka n’est en réalité qu’une autre version d’un Edward privé de son constructeur, qu’un Bruce Wayne privé de ses parents, ou qu’un Ed Wood privé de reconnaissance. Toute une galerie de personnages de l’oeuvre burtonienne qui demeuraient seuls, et qui jusqu’alors n’avaient aucune alternative. Sans en dire trop, la fin de Charlie et la chocolaterie se révèlera beaucoup moins torturée et témoignera d’un Burton en paix avec lui-même. La famille est désormais au coeur de son oeuvre, et si elle contribue à orienter le cinéma de Burton vers un propos beaucoup moins radical qu’auparavant, elle ne remet en rien en question l’attirance du réalisateur pour les marginaux, pour les rêveurs. Cette nouvelle fascination démontre en tout cas une thématique qui évolue : il releverait de la pure complaisance que de regretter que Burton ne se fasse remarquer que par le pessimisme d’un Edward aux mains d’argent ou d’un Batman, puisque dans ces films germait déjà la volonté chez les marginaux d’être acceptés tels qu’ils sont, volonté alors vaine. Ce n’est plus le cas avec Charlie et la chocolaterie, qui continue l’orientation de Big Fish. Evidemment, le film est loin d’être parfait, ses défauts sont criants, mais pourtant, ce n’est certainement pas un repoussoir (ou alors si il est, cela vient juste de son aspect esthétique) pour tous les amateurs de Tim Burton.
Le film c’est comme une tablette de chocolat, on commence, on trouve cela délicieux mais à la fin on a la nausée et on supporte plus la vue du chocolat. Merci Tim Burton.