Castle Freak – Stuart Gordon
Castle Freak. 1995.Origine : États-Unis
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A sa grande surprise, John Reilly a hérité d’un vaste château dans une petite bourgade italienne. Il s’y rend en compagnie de son épouse et de sa fille dans le but d’effectuer un inventaire complet. Il n’a guère l’intention de s’y éterniser et souhaiterait le vendre au plus vite, d’autant qu’il entretient des rapports plus que tendus avec sa femme. Une nuit, sa fille, aveugle depuis un accident de la route fatal à son petit frère, est réveillée en pleine nuit par une présence inconnue dans sa chambre. Alerté, John parcourt le château sans rien trouver. Et pourtant il va devoir se rendre à l’évidence, sa fille a raison. Quelqu’un d’intimement lié au lieu rôde dans les couloirs et pourrait rapidement s’avérer dangereux.
Un vent de nostalgie souffle dès la lecture du générique. Un film de Stuart Gordon, coécrit avec son vieux complice Dennis Paoli sous la houlette des frères Band (Charles à la production – distribution, la Full Moon ayant remplacé les studios Empire, et Richard à la musique) et qui met en scène le couple mythique Jeffrey Combs – Barbara Crampton ravive les souvenirs de ces folles années 80. Une décennie magique qui aura seule suffi à faire rentrer le réalisateur chicagoan à jamais dans nos cœurs d’amateurs de fantastique. Réalisé 10 ans après Re-Animator, Castle Freak prend donc des allures de commémoration. Il ne manque plus que le nom de Howard Philips Lovecraft pour que la fête soit totale. Un nom curieusement absent dudit générique mais pas de la jaquette, tant l’association Stuart Gordon/Lovecraft relève du parfait argument de vente. Pourtant, il semblerait bien que l’écrivain l’ait encore inspiré, la trame de Castle Freak trouvant son origine dans la nouvelle Je suis d’ailleurs. Cependant, comme par le passé, il en a tiré tout autre chose, au point de se voir gratifié d’un clinquant « Stuart Gordon’s Castle Freak » qui atteste de la véritable paternité de l’œuvre.
Castle Freak surprend d’emblée par son traitement très premier degré qui confine au classicisme. Située dans une petite bourgade italienne, laquelle se résume à l’écran au bistro du coin et au commissariat, l’intrigue renvoie à tout un pan du cinéma d’horreur italien des années 60. Stuart Gordon ne cherche ni à révolutionner le genre ni à lui offrir une patine plus moderne. Il a par ailleurs, hormis ses deux incartades dans le domaine de la science-fiction, souvent paru réfractaire aux progrès technologiques, ses films paraissant comme hors du temps. Nous apparaissant à la sortie d’un tunnel, la famille Reilly est pourtant loin d’en voir le bout. John et Susan Reilly vivent une profonde crise conjugale née de cet accident de la route qui a coûté la vie à J.J., leur petit dernier âgé de 5 ans, et la vue à leur fille aînée Rebecca. Le fautif ? John, coupable d’un bref moment d’inattention couplé à un taux d’alcoolémie élevé, lequel débouche sur un accident de la route, bien peu spectaculaire au demeurant. Depuis, Susan le bat froid. C’est plus fort qu’elle, chaque fois qu’elle regarde son mari, ce n’est plus l’être aimé qu’elle voit mais le père inconséquent par qui le malheur s’est abattu sur leur famille. Elle en vient à nier la souffrance qu’il ressent, ne s’appesantissant que sur la sienne. De là découle un insoluble problème de communication entre un homme meurtri mais désireux de repartir de zéro avec son épouse, et une femme intransigeante, incapable de lui pardonner. Pris entre deux feux, Rebecca tente de jouer les traits-d’union, en vain. Elle demeure une adolescente dont la cécité lui pèse d’autant plus qu’elle pousse sa mère à l’infantiliser davantage. En outre, elle nourrit une profonde amertume des dissensions entre ses parents qu’elle traduit comme une marque de préférence envers ce frère trop tôt disparu. La famille Reilly ne respire pas la joie de vivre et les événements qu’ils traversent ne conduisent pas à l’apaisement. Face à l’intransigeance et à la froideur de sa femme, John pense au suicide puis sombre de nouveau à l’appel de l’alcool. Il va même jusqu’à tromper sa solitude dans les bras d’une tapineuse locale, qu’il ramène dans les caves du château pour un coït aussi bref que sauvage. Illustration de son profond désarroi, cette scène marque également le point de basculement du film d’une horreur diffuse à une horreur frontale avec en corollaire les soupçons qui se portent sur John au moment de la découverte des cadavres de la prostituée et de la domestique dans les sous-sols du château. Coupable idéal aux yeux d’un commissaire aveuglé par le cocuage dont il fait l’objet – la prostituée n’est autre que la mère de son enfant – John l’est aussi pour sa femme, qui voit là l’occasion idéale de tourner définitivement le dos à ce mari en qui elle ne se retrouve plus. L’ambiance n’est clairement pas à la rigolade.
Cependant, Stuart Gordon s’autorise un peu de distraction dans la manière qu’il a de figurer Giorgio, l’hôte inattendu du château et personnage le plus intéressant du film. Courroucé par la piètre image que lui renvoie le reflet d’un miroir croisé lors de ses premiers pas d’homme libre, Giorgio se drape dans un drap blanc qui lui masque le visage. A cela s’ajoutent les chaînes qui l’entravaient tantôt et qui traînent derrière lui partout où il va en une parfaite illustration de l’imagerie enfantine généralement rattachée à la figure du fantôme. Par ailleurs personnage éminemment tragique qui paye pour l’inconséquence de son père, un ancien G.I. rentré au pays en compagnie de la sœur de la duchesse d’Orsini, Giorgio inspire peur et compassion. Si Stuart Gordon se délecte de son aspect monstrueux, propice à quelques scènes gratinées dont un cunnilingus carnassier, variation sérieuse de celui perpétré par la tête du Dr. Hill à la malheureuse Megan Halsey, il s’attache également à son côté humain. Séquestré et torturé depuis l’âge de 5 ans par une mère rendue folle du fait de l’abandon et de la trahison de son mari (nourri au pain sec et à l’eau, il a subi l’ablation de la langue et du pénis et encaisse sans raison des volées de chat à neuf queues), Giorgio demeure cet enfant qui a tout à découvrir une fois libéré de sa cellule. Ses déambulations dans le château témoignent davantage d’une grande curiosité que d’une réelle animosité. Curiosité pour Rebecca, qui pourrait devenir une compagne de jeu, puis curiosité pour John et ce qu’il fait avec Sylvana. La quarantaine bien entamée, Giorgio se découvre une libido et tente maladroitement d’assouvir des besoins trop longtemps contenus. S’il fait montre d’une grande sauvagerie à l’égard de Sylvana, coupable de l’avoir blessé, il développe quelques élans de tendresse envers Rebecca, rendus malsains par le caractère spongieux de longs baisers émanant d’une bouche largement déformée. Prisonnier de son image monstrueuse, Giorgio est condamné à demeurer un être incompris. Même Stuart Gordon oublie sa nature profonde au moment du dénouement et le filme tel un monstre lambda, soudain pourvu de capacités hors normes (il fait des bonds dignes d’un loup-garou au mépris d’une ossature et d’une musculature quelque peu déficientes eu égard à son régime alimentaire de ces quarante dernières années) et d’une incroyable résistance. Une envolée spectaculaire qui tranche avec la langueur savamment entretenue jusqu’alors et qui précipite le film vers une conclusion à la portée rédemptrice des plus banales.
Sans être honteuse, la réunion des vieux complices d’antan se révèle décevante. Stuart Gordon continue néanmoins de cultiver sa singularité en déroulant un film d’horreur sans compromission et ne cherchant jamais à brosser le spectateur dans le sens du poil. A défaut d’originalité, Castle Freak témoigne d’un réel amour du genre qui ne quittera jamais Stuart Gordon, même au plus bas de sa carrière, signe d’un réalisateur libre et investi quoi qu’il en coûte.
Un des films de Stuart Gordon que j’ai le moins aimé. Le cadre du château en Italie et cette image qui me rappelait les téléfilms français de l’époque m’ont fait difficilement entrer dans cette histoire d’héritage. De même on a du mal à voir dans le monstre, une bête créature assoiffée de chair fraiche, martyrisée par sa mère, pour lui faire payer l’abandon de son amant reparti dans sa mère patrie au État-Unis. C’est plus de la pitié que l’on pourrait éprouver pour cette créature. Ça reste un des films de Stuart Gordon que j’ai le moins envie de regarder.
Stuart Gordon cultive sciemment l’ambivalence de nos ressentis vis à vis de Giorgio. Il n’est pas né monstre, il l’est devenu à force de maltraitance et il est perçu comme tel à cause de son faciès peu ragoûtant. Ensuite, de nouvelles brimades alliées à une profonde frustration l’amènent à se conduire comme tel.